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Photo du rédacteurBlanc Lapin

2021 à 2023 : 15 ans de Ciné du Blanc Lapin, les films qui ont marqué

Quatrième partie et des dossiers consacrés aux meilleurs films du blanc lapins ces 15 dernières années avec un focus sur 2021, 2022 et 2023...





2021



N°13 - Stillwater


En 2015, Tom McCarthy frappait fort avec Spotlight  et ce film sur l'enquête sur les prêtres pédophiles au sein de l’Eglise Catholique. Son film était limite documentaire et reçu de nombreux prix à juste titre.


Aujourd'hui il revient avec un film très original puisqu'il immerge un foreur de pétrole du fin fond de l’Oklahoma en plein cœur de Marseille. Mais quelle drôle d'idée !

On se dit que çà ne va pas prendre, que ceci risque de tomber dans les clichés des américains sur la France ou dans le comparatif balourd entre une Amérique beauf et des situations défavorisées de quartiers. Sauf que pas du tout.


Le film est d'une finesse incroyable, porté par un duo tout aussi improbable.


Matt Damon retrouve un grand rôle comme il n'en n'avait pas eu depuis très longtemps dans cette stature de mâle taiseux, qui ne parle pas un mot de français et se déracine totalement de son Amérique profonde pour sauver sa fille, emprisonnée pour meurtre.


A travers son regard, ses expressions très minimalistes, il réussit à insuffler au personnage un attachement et une histoire, sans avoir besoin d'expliquer son passé. Face à lui Camille Cottin est impressionnante de naturel, avec un anglais impeccable qui lui ouvre les portes d'Hollywood puisqu'on la retrouvera bientôt chez Ridley Scott dans "House of Gucci". Elle est tout simplement excellente de bout en bout en femme moderne, actrice de théâtre qui va aider cet américain complètement perdu qui ne sait pas à qui s'adresser. La construction de leur relation et d'un cocon de protection avec la fille du personnage de Camille Cottin, va dresser un miroir à la relation père-fille que le personnage a ratée. Cette fille jouée par Abigail Breslin est toute en nuances jusqu'au bout et ajoute une autre dimension au film, surprenante.


"Stillwater"est un grand film, ambitieux et qui aborde avec une grande subtilité la construction et déconstruction de liens familiaux, au-delà des frontières linguistiques, des murs de prison ou des océans.


Et c'est une très belle histoire, qui marque et qui reste dans la tête plusieurs jours tellement la mise en scène caméra à l'épaule, en plans serrés et le jeu des acteurs troublants de vérité et de naturel, font de cette histoire un must de 2021. L'action et le côté thriller alternent avec des scènes plus intimistes et donnent à l'ensemble une vitalité, une force qui font que les 2h20 passent très vite, avec une certaine forme d'évidence. L’évidence des très bons films.

Les nuances de "Stillwater" et ses propos plein de délicatesse en font l'une des plus belles surprises de l'année.


N°12 - Sound of metal


De: Darius Marder


Ruben et Lou, ensemble à la ville comme à la scène, sillonnent les Etats-Unis entre deux concerts. Un soir, Ruben est gêné par des acouphènes, et un médecin lui annonce qu'il sera bientôt sourd. Désemparé, et face à ses vieux démons, Ruben va devoir prendre une décision qui changera sa vie à jamais.


"Sound of metal" est porté par l’excellent Riz Ahmed, vu dans Night call, Star wars Rogue One, la série the Night Of, ou Les frères Sisters de Jacques Audiard.


Ici sa frêle silhouette de petit mec énervé va se confronter au mur du silence comme un coup d'arrêt immédiat à une vie, des rêves, une fuite en avant que le personnage orchestrait avec sa copine. Ils étaient restés adolescents et sentaient une liberté mais aussi un stress, celui de ne pas savoir vers où ils allaient. Ce mélange d'inconnu et de kif pour une musique et un art qu'ils adorent, se trouve stoppé net.


Privé de l'audition, de ce qui créait ses plaisirs, son repère au monde et guidait sa passion, le personnage voit alors tout se dérober sous ses pieds.


Dès lors que faire ? L'immersion de ce dernier dans une communauté de sourds muets va alors lui permettre de retrouver l'espoir et surtout de reconstruire un monde, des liens sociaux. Le film est à la fois très rude par la violence de ce qui arrive et cette cassure à laquelle n'importe qui peut s'identifier.


Mais il est aussi porté d'une lucidité sans pathos, et avec de la lumière malgré out, juste que ce n’est pas celle qu'aurait souhaitée le personnage, c'est un chemin imposé.


Le réalisateur, Darius Marder, dont c'est le premier film de fiction à 48 ans, décide de nous immerger dans ce monde du silence en usant des bruits, des sonorités telles que le personnage les perçoit dorénavant puis en nous faisant écouter le vrai son par les personnages extérieurs. Ceci donne au récit une dimension très particulière et au delà d'une excellente direction artistique et d'une direction d'acteur là aussi brillante, le film provoque un sentiment très étrange.


On est pendant deux heures aux côtés de ce jeune homme qui se bat pour ne pas perdre un monde dont il a été expulsé du jour au lendemain pour toujours. Son combat est très émouvant et encore une fois très sobre, pas de mélo. Mais surtout le film provoque à plusieurs reprises une émotion que je n'ai jamais ressentie de la sorte auparavant grâce au thème et au traitement de ce dernier.


Rares sont les films qui allient aussi bien le fond de leur propos et la forme.


Un des grands films de 2021 assurément.


N°11 - Don’t Look Up

De: Adam McKay


Le pitch : Deux piètres astronomes s'embarquent dans une gigantesque tournée médiatique pour prévenir l'humanité qu'une comète se dirige vers la Terre et s'apprête à la détruire.


C'est donc l'un des casting les plus hype de l'année que se aie Netflix avec accrochez-vous Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett, Jonah Hill, Timothée Chalamet, Mark Rylance, Ron Perlman ou Ariana Grande pour les plus connus.


Et c'est un uppercut irrévérencieux très réussi pour Adam McKay, réalisateur oscarisé de l'excellent The Big Short en 2015 et qui a depuis officié sur la série Succession.


Le réalisateur livre un film extrêmement rythmé, grâce à la bonne idée de la menace d destruction du monde et un jeu d'acteurs au sommet, tous étant au top et Di Caprio renouant avec la comédie dans laquelle il a finalement peu eu d'occasions à part Attrapes moi si tu peux  de Spielberg. Mais surtout le film est extrêmement drôle et passe au vitriol toute la sottise humaine de la société d'aujourd'hui, chacun en prenant plein la gueule.


Les politiques passent pour des demeurés incompétents qui surfent sur le marketing inconscients des dangers qu'ils sont e charge de régler par des décisions courageuses. Sauf qu'ils n'y comprennent rien et s'en contrefoutent tandis que les journalistes font du sensationnalisme et du show ou alors si ils sont plus sérieux, manquent de courage face aux autorités. Quand au quidam moyen, c'est un bon gros consommateur rivé à son smartphone et complétement décérébré. Bref, il n' a personne à sauver tant l'humanité est devenue décérébrée et l'homme ultra égocentré.


Aux Etats-Unis le film n'a visiblement pas fait rire tout le monde et son accueil est divisé, certains se sentiraient ils visés ? Rassurons les ! C'est une satire donc c'est exagéré, comme le Docteur Folamour en son temps... et le problème c'est que se sentir autant visés et le prendre aussi mal, c'est louche non ?


Adam McKay  utilise la farce ironique limite nihiliste avec une telle rage que çà fait franchement du bien. Ce n'est pas démago, c'est juste faire rire à partir élèvements qui vous rappelleront des situations pathétiques hélas déjà vues en moins trash et c'est là que le film devient limite flippant. Les fake news et le complotisme, sont évidemment passés au lance flammes.


C'est comme i vous regardiez Mars Attacks en réussi, le film de Burton ayant été l'un de ses premiers pas très inspiré.


Le film est étonnamment sombre, on aurait pu remplacer la comète par les catastrophes climatiques à venir.


Une remarquable réussite dans un style très difficile, celui de faire rire en regardant en face es défis qui attendent le monde.



N°10 - La Nuée

De: Just Philippot

Le pitch : Difficile pour Virginie de concilier sa vie d’agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour sauver sa ferme de la faillite, elle se lance à corps perdu dans le business des sauterelles comestibles. Mais peu à peu, ses enfants ne la reconnaissent plus : Virginie semble développer un étrange lien obsessionnel avec ses sauterelles...


Le film de genre à la française revient en force avec plusieurs films acclamés en festival dont "La Nuée", premier film de Just Philippot, qui embrasse les cauchemars de monstres mais aussi les réflexions autour du monde paysan et de la grande difficulté économique que ces derniers encaissent. Et c'est là que le film est original, son scénario, écrit par Jérôme Genevray et Franck Victor est très très bien ficelé, faisant monter la pression par strates successives et sans relâche, en intercalant des moments plus axés sur la violence sociale que vit l’héroïne, jouée par Suliane Brahim, sociétaire de la Comédie-Française.


Souvent en France, il est de bon ton qu'un réalisateur écrive aussi son scénario. Sauf que ce sont deux métiers très différents et qu'on n'a pas forcément le même talent pour les deux. En prenant ce récit via ce découpage des taches entre deux excellents scénaristes et un jeune réalisateur totalement tourné vers l'immersion dans l’étrange, le résultat est indéniablement l'une des plus belles pépites que le cinéma français sortira en 2021 !


Suliane Brahim incarne un personnage trouble dont on n'arrive jamais à savoir quelle sera sa direction entre folie ou raison, entre faire passer en premier ses enfants ou ses insectes. Le lien qui l'unit à ces bêtes est particulier car axé sur sa propre survie, celle de pouvoir vivre de son exploitation. Elle est prête à sacrifier tellement que le scénario surfe sur l'inconscient collectif que l'on a de grands psychopathes du cinéma d'épouvante. Sauf qu'ici le psychopathe travaille avec des monstres en pleine campagne. Strange.


La maitrise incroyable du récit, de la mise en scène, avec une économie de démonstration et peu de scènes horrifiques en soit, montre à quel point "La Nuée" est très original et différent de ce que l'on connait.


La spirale fantastique du film le rend fascinant et terrifiant.


On a hâte de voir la suite de la filmographie tant des scénaristes que du réalisateur et de l'actrice principale.


Un belle et forte surprise et une proposition de cinéma qui fait du bien car elle innove avec talent.


N°09 - The Father

De: Florian Zeller


Florian Zeller est un auteur de théâtre et un écrivain à succès devenu réalisateur de grand talent avec ce premier film, The Father, encensé par la presse et qui a valu un second Oscar du meilleur acteur à Anthony Hopkins dans le rôle d’un père perdant la mémoire sous nos yeux et étant géré par sa fille, jouée par l’excellente Olivia Colman (La Favorite, The Crown). 

Un second oscar du meilleur scénario a couronné le film à très juste titre.


The Father est tout simplement bouleversant de bout en boit car il repose sur un concept brillant. Il nous fait vivre à nous, spectateurs, le perte de repères temporelle, la confusion des lieux, des dates et même des individus en nous insérant dans la tête de cet octogénaire en perdition.

Anthony Hopkins est hyper impressionnant et amène une empathie incroyable pour lui sans aucune forme de pathos ou de condescendance. Il est d'une justesse incroyable avec en face de lui une Olivia Colman tout aussi inspirée.


Le film aurait pu être uniquement lourd et angoissant. Certes le sujet est grave et ne prête à aucune légèreté mais il est amené avec tellement de talent dans le scénario à tiroirs que le film vous scotche devant l'écran et ne peut pas vous laisser indifférent.


Le film trotte d'ailleurs dans la tête un peu plus longtemps car il vous renvoie à votre propre situation, celle de vos parents, grands-parents voir la votre si vous vous projetez. Un sujet si universel méritait un traitement aussi fin, réaliste et regardant les choses en face. Amour de Michael Haneke avait aussi cette force de l'inévitable, du déterminisme de notre finitude à tous tout en charriant des flots de sentiments.



N°08 - Le sommet des Dieux

De: Patrick Imbert

Le pitch : A Katmandou, le reporter japonais Fukamachi croit reconnaître Habu Jôji, cet alpiniste que l'on pensait disparu depuis des années. Il semble tenir entre ses mains un appareil photo qui pourrait changer l’histoire de l’alpinisme. Et si George Mallory et Andrew Irvine étaient les premiers hommes à avoir atteint le sommet de l’Everest, le 8 juin 1924 ? Seul le petit Kodak Vest Pocket avec lequel ils devaient se photographier sur le toit du monde pourrait livrer la vérité. 70 ans plus tard, pour tenter de résoudre ce mystère, Fukamachi se lance sur les traces de Habu. Il découvre un monde de passionnés assoiffés de conquêtes impossibles et décide de l’accompagner jusqu’au voyage ultime vers le sommet des dieux.


Quelle idée gonflée pour un réalisateur français que d'adapter un manga culte de Jirô Taniguchi, auteur de "Quartier lointain", "L'homme qui marche" ou "Le journal de mon père".

"Le sommet des Dieux" fait partie de ces œuvres fascinantes de simplicité et de beauté et la première force du film est de synthétiser 1000 pages de mangas en 1h30 et de garder toute l’essence de l’œuvre pour la rendre accessible au plus grand nombre.


L'animation est tout d'abord fidèle au roman graphique et d'une grande fluidité, permettant de toucher du doigt toute la poésie de ces aventuriers limite nihilistes qui se dépassent pour gravir des sommets quitte à y mourir et qui le font pour l'ivresse du dépassement, pour s'extirper de leur propre vie vers un idéal à la fois fascinant et qui les surpasse.


"Le sommet des Dieux" parle de l'humilité de l'homme face à la nature et se mue en réflexion philosophique sans jamais tomber dans le démonstratif ou l'explication de texte.

Patrick Imbert insuffle un rythme, un suspens qui vous prend aux tripes et vous balance une décharge d'humanité qui fait un bien fou.


La profondeur des thèmes et leur extrême pudeur font de cette adaptation l'un des grands films de 2021.


Arriver à capter le gigantisme des paysages, le danger qui se dérobe sous les pieds, le vertige des risques pris, juste avec des dessins. C'est un tour de force très très respectable.

"Le Sommet des Dieux" allie un scénario et une narration intelligente, une illustration graphique fidèle et qui capte toute la réflexion sur de grandes questions existentielles, et se termine sur l'impression d'avoir vu un très grand film.



N°07 - Le dernier duel

De: Ridley Scott


Pour ce nouveau scénario signé par Matt Damon et Ben Affleck, Ridley Scott renoue avec le meilleur de son cinéma et livre un film miroir à son premier chef d’œuvre et premier long métrage, "Les duellistes".


Ce qui frappe d'abord est son sens aigu et clair pour filmer des scènes de batailles d'une rare violence avec brio. Papy Scott n'a rien perdu de son talent et même, ce que je pouvais lui reprocher sur Gladiator  et des scènes d'action très brouillées où on ne voyait rien, ici et bien c'est l'inverse. On voit toute la brutalité du moyen âge et le peu de cas donné au sens d'une vie.

Ridley Scott use donc d'une histoire vraie, le dernier duel à mort autorisé en France par le Roi en 1386, pour décrire trois versions d'un même récit sous l'angle des trois protagonistes, le mari bafoué, joué par Matt Damon, l'épouse clamant qu'elle a été violée, Jodie Comer, et l'accusé de viol, incarné par Adam Driver.


Et là, avec la même technique que sur le Rashomon d'Akira Kurosawa, le maitre britannique livre son meilleur film depuis 15 ans. Car les scènes sont vues avec de légers décalages de points de vues et chaque personnage prend en épaisseur, en nuance ou au contraire en brutalité et veulerie.


L'évolution du récit est fascinante car l'angle change. Le personnage chevaleresque et soucieux des femmes passe à une brute obligée de faire la guerre pour gagner de l'argent. On y voit la construction d'une rivalité sur le favoritisme fait à l'un et le refus de tout ou l'humiliation infligé à l'autre. Il est alors plus question d'image que d’honneur ou de défense du bon droit. Pareil pour l'accusé violeur dont la vision propre est nuancée dans son regard même si Scott assume de le désigne coupable ou non coupable dans les faits. Il distille juste le malaise que certaines soubresaut donnent aujourd'hui comme The Morning Show.


Ridley Scott  fait de son film un brulot féministe dénonçant la crasse de la culture du viol de cette époque et nous ramène au chemin encore à parcourir justement en montrant la vision du mâle et son absence de conscience.


C'est à la fois brillant et très moderne que de parler de sujets très contemporains avec autant de finesse et de recul sur notre propre histoire culturelle.


Le dernier duel est une fresque médiévale pleine de surprises, mise en scène avec brio et portée par un casting quatre étoiles au premier rang duquel Jodie Comer, héroine de Killing Eve, explose comme une énorme star.


N°06 - The Nightingale

De: Jennifer Kent


Le pitch : Tasmanie, 1825. Clare, une jeune irlandaise, poursuit un officier britannique à travers la Tasmanie pour se venger d’actes de violence qu’il a commis contre elle et sa famille, avec pour seul guide un aborigène.


Disponible sur OCS

Avec Aisling Franciosi, Sam Claflin, Baykali Ganambarr

On reconnait un grand film assez rapidement. Lorsqu'au bout de cinq minutes, on est happé par la mise en scène, le scénario, le jeu, l'ambiance.

"The Nightingale" est une totale réussite. La réalisatrice Jennifer Kent, repérée avec le film d''épouvante Mister Babadook  en 2014, revient avec un film qui parle de condition féminine (ou plutôt d'absence de condition) dans une Australie d'une violence inouïe au 19ème siècle.


Elle décrit le racisme à l'état brut et pur. La violence des morts et des situations est forte mais impactante. On comprend toute l'horreur d'un comportement génocidaire de colons anglais bas du front et capables du pire, de nier l'humanité d'une femme ou d'un autochtone. La bêtise, la cruauté et la stupidité humaine, de ces blancs se sentant supérieurs et civilisés mais détruisant un autre peuple et s'abaissant à l'état de bêtes, c'est hélas le lot commun des envahisseurs sur tous les territoires du monde tout au long de l'histoire de l'humanité.


Jennifer Kent  le montre crument et nous fait toucher du doigt la fragilité de la vie, l'absence de valeur donnée à cette vie par ces connards qui ont pavé notre histoire commune et l'ont façonnée. Alors forcément, on ne s'étonne pas de la violence actuelle car l'homme est un loup pour l'homme et encore le loup vit en meute. Ici bien des personnages sont immondes mais mention spéciale est à adresser à celui joué par Sam Claflin, qui trouve enfin un bon rôle. C'est d'ailleurs une bonne idée de confier ce rôle de sadique sans aucune conscience à part celle de son égo, à un beau mec, plastiquement séduisant mais à gerber de par son comportement.

Puis la réalisatrice nous plonge en pleine nature et jungle sauvage, hostile mais non du fait des animaux mais plutôt des hommes blancs qui la traversent avec brutalité. D'ailleurs le symbolisme de l'arrivée à la ville et de l'immersion dans un monde encore plus dangereux est extrêmement réussi.

Aisling Franciosi  campe cette jeune femme pleine de rage et qui n'a plus rien à perdre. Mais là où plein de réalisateurs auraient transformé ce film de vengeance en thriller rythmé par une musique omniprésente, Jennifer Kent apporte tant un regard de femme vraiment nouveau sur le genre que des choix de mise en scène radicaux.

La violence n'est pas embellie ou scénarisée avec des choix de couleurs, de ralentis ou autres astuces. Non, elle est brutale, arbitraire et on ne l'attend pas, on la subit. Par ailleurs, l'absence de musique ancre encore plus le long métrage dans une absence d’artifice. C'est ce qui permet au film d'atteindre un niveau supérieur à la moyenne artistique, via également son choix de format d'image carrée, très resserré.

Cette guerre entre Aborigènes et britanniques en Tasmanie est un sujet relativement inédit et une période, un lieu de l'histoire rarement évoqué au cinéma.


Le film est nuancé quant à la psychologie de ses deux protagonistes, la femme et l'aborigène, interprété magnifiquement par Baykali Ganambarr, au regard inoubliable d'humanité, de révolte et de dignité. Leurs mentalités meurtries vont apprendre à se comprendre et à s'associer pour faire naitre une amitié. C'est là que "The Nightingale" décolle littéralement par le souffle de l'émotion qu'il apporte. La grande dignité du récit, âpre et de la volonté de survie pour se venger puis pour l'autre, c'est ce qui fait que le film devient très beau, très fort sans aucun sentimentalisme.


La puissance de "The Nightingale" est qu'il fonctionne comme un uppercut drainant des thématiques sociales très fortes, brulot pour la tolérance entre les peuples autant que divertissement rempli de suspens teinté de déterminisme voire de nihilisme. Cette dimension de vengeance d'une femme et d'un homme à qui on a tout pris sans aucune retenue, sans aucun contrôle, en leur marchant dessus, en niant leur existence, fait du film un objet cinématographique marquant.


Une grande réalisatrice est née, signant un excellent film à voir de toute urgence !



N°05 - Drive My Car

De: Ryusuke Hamaguchi


Il faut faire un certain effort pour vouloir voir ce "Drive my car", film japonnais de 3 heures soit une complexité à trouver ce temps dans un agenda. Le film était l'un des chocs du dernier festival de Cannes et il est reparti avec le prix du scénario alors qu'on le voyait dans les favoris pour la Palme d'Or après son accueil critique unanimement dithyrambique.


Et c'est vrai que "Drive my car" est un très grand film, une réussite majeure qui fait exploser à l'international un grand cinéaste japonnais, Ryusuke Hamaguchi.


Moi qui déteste les films longs, j'ai trouvé le film fluide et certes baigné d'un rythme particulier mais sans scènes en trop.


Le réalisateur arrive à nous parler du deuil, de l'acceptation de la disparition de l'être aimé avec une très grande finesse dans son scénario justement, d'où cette récompense cannoise hyper logique.


On y suit un acteur de théâtre reconnu qui vit avec son épouse scénariste de télévision, qu'il adore avant qu'un drame le pousse loin de chez lui pour la mise en scène d'Oncle Vania à Hiroshima, avec des acteurs parlant des langues différentes dont la langue des signes. Et afin de ne prendre aucun risque d'accident, le festival qui l'accueille exige qu'une jeune chauffeur conduise sa voiture pendant toute la durée des préparatifs et de la représentation.

Bien sur la durée du film est utilisée pour développer divers personnages secondaires qui donnent énormément d'humanité et de touches fines au tableau que dresse l'auteur.


Surtout il fait se croiser deux être extrêmement seuls qui n'arrivent pas à faire un deuil, à passer à autre chose et qui sont emprisonnés tant dans leur vie passée, leurs souvenirs que l'absence de mots mis sur leurs erreurs, sur les regrets qui les dévorent, ce qu'ils auraient voulu dire au disparu, comment ils auraient pu éviter le drame. Le déterminisme et la fatalité qui se sont abattues sur ces personnages aboutissent à un message de vie et surtout un recul brillant sur comment exister dans un monde où l'être qui était tout pour soit n'est plus là.


Le film réussit à construire cette relation devant nos yeux sur la base de l'écoute. L'écoute de l’auteur dont l'épouse lui raconte ses histoires avant d'en faire des scénari et on comprendra pourquoi plus tard, l'écoute d'une cassette audio pour apprendre son texte, l'écoute par le chauffeur de tout ce qui arrive à son client avant d’interagir, l'écoute de l'acteur lorsqu'elle se confie, l’écoute des sept acteurs de théâtre qui lisent leur texte encore et encore afin d'atteindre une perfection de jeu...le scénario se renvoi des références, des clins d’œils et fonctionne de façon incroyable lorsqu'il explique les scènes passées et redéploie des scènes vues plus tôt qui prennent tout leur ses à la lumière de l'évolution de l'histoire.


Quel hommage aux conteurs et à la force de la parole pour panser les blessures et renaitre. Quel hommage à l'art en tant que tel, à cette pièce de théâtre d'Anton Tchekhov dont le héros dit à un jeune acteur que le texte lui répond quand on se l'approprie et qu'on lui parle, comme un être fascinant et vivant. Et là où "Drive my car" est très très fort c'est qu'il illustre ce propos qui pourrait être ultra théorique via quelques scènes plus loin qui ouvrent l'histoire et vous font dire "ouha, sacré dispositif scénaristique !".


"Drive my car" est donc un film brillant d'intelligence, à la fois envoutant, sensuel et limpide. Et non le film n'est pas du tout chiant, loin de là. Il s'y passe de nombreuses choses même si elles sont souvent racontées mais c'est justement tout le thème et le tour de force du film.

La suggestion provoquée par les mots et le récit que font les personnages, récits qui s’enchevêtrent, est d'une ampleur assez bluffante, et d'une profondeur assez rare.



N°04 - Nomadland

De: Chloé Zaho


Voici enfin le film multi récompensé d'un lion d'Or à Venise, Oscar du meilleur film, 3ème Oscar de meilleure actrice pour Frances McDormand (Madame Joel Coen) et Oscar de la meilleure réalisatrice pour Chloé Zaho, seconde réalisatrice oscarisée, d'origine asiatique qui plus est.

A tous ces titres le film est mémorable mais il serait limitatif de le considérer uniquement par ce biais prestigieux. Car si Nomadland a autant séduit, c'est surtout parceque c'est un grand film, d'une puissance rare.


Chloé Zaho avait déjà montré avec The Rider  son attachement aux grands paysages montagneux et désertiques d'Amérique. Elle en fait ici un quasi personnage à part entière et s'intéresse à un thème et une population dont on ne parle jamais.


Nous allons suivre durant près de 2h une femme d'une soixantaine d'année qui a perdu son travail et son mari (elle est veuve) dans une région désindustrialisée d'une cité ouvrière du Nevada, rayée de la carte lorsque l'usine a fermé.


Mais plutôt que de tenter de se reconvertir sur place, elle a préféré prendre la route avec son van et vivre sans domicile fixe, en alternant des petits boulots au fil de son voyage.


On ne comprend qu'à la fin la raison de ce chemin et de ce (non) choix de vie. Car si le personnage vit de peu et s'est vue contrainte de tout abandonner pour des raisons d'argent, son périple s'avère aussi être une échappée qui l'empêche de faire le deuil et lui permet de ne pas couper totalement avec le passé. Ces paysages sont autant d'occasions de s'intérioriser.

Le film n'est ni misérabiliste ni bourré de pathos, à l'image de son actrice principale, au regard qui évoque à la fois la tristesse et la ténacité, Nomadland  nous fait découvrir des vies brisées qui se sont trouvées un mode de vie empreint de liberté et de volonté de ne pas trop s'attacher au matériel des choses, voire aux souvenirs. C'est toute l’ambiguïté du film que de voir ces personnages tenter de s'en sortir, se serrer les coudes et créer une vrai communauté, mais aimer également ce mode de vie comme une réponse à la société qui les a jetés sur le côté et comme une déclaration de vie face à un passé qui les a brisés à un moment ou un autre.


Le fait d'embaucher des non acteurs, des personnes qui vivent vraiment en nomades rend le film particulièrement authentique. Chloé Zaho  aime les silences et illustre la grande solitude de ces âmes vagabondes tout en montrant le lien qui les unit, les fragilités qui créent leur communauté et ce besoin immense de s'oublier dans les étendues désertiques et les paysages à couper le souffle, plus grands qu'eux mêmes. Ils donnent évidemment une résonance toute particulière à leur solitude. C'est comme si les personnages s’abandonnaient à la nature, préféraient l'absence d'attache, fuyant le monde normé des vivants sédentaires car il est derrière eux... avec de très bons souvenirs mais une absence d'envie d'en accumuler d'autres sans les proches qui sont désormais disparus. La vie n'aura plus le même goût alors pourquoi tenter de la recréer de façon factice ?


Le message est très beau et fait pleurer à plusieurs reprises par son extrême simplicité naturaliste.

On est sidéré par tant d'humanité blessée, de résilience et de force qui imprègne le personnage de Frances McDormand. La modestie de la réalisation rend le film encore plus fort et plus attachant envers ces personnages fantomatiques que l'Amérique a oubliés depuis longtemps.

Mais surtout le film se veut un hymne à la vie et à la commuions avec la nature, moins désespéré que le thème ne le laisserait penser, avec une nuance de couleurs crépusculaires où la lumière est encore présente et c'est très très beau.



N°03 ex aequo - Gagarine

De: Fanny Liatard, Jérémy Trouilh

Youri, 16 ans, a grandi à Gagarine, immense cité de briques rouges d’Ivry-sur-Seine, où il rêve de devenir cosmonaute. Quand il apprend qu’elle est menacée de démolition, Youri décide de rentrer en résistance. Avec la complicité de Diana, Houssam et des habitants, il se donne pour mission de sauver la cité, devenue son " vaisseau spatial ".


Fanny Liatard et Jérémy Trouilh signent leur premier film et c'est une énorme claque !

Comment parler de banlieue sans verser dans les clichés, sans ressasser les sempiternels constats et en positivant. Gagarine  n'est pas un feel good movie mais une métaphore surprenante dont vous sortirez des étoiles plein les yeux car le film est très beau.


Il a ce qui est rare au cinéma, quelques fois par an, la grâce !


En choisissant de suivre ce jeune homme à peine sorti de l'adolescence qui rêvait de devenir cosmonaute et tente à tout prix de réparer sa cité pour éviter qu'on la détruise, les réalisateurs ont choisi un angle de vue totalement original et différent. Ils rendent un merveilleux hommage à tous les rêveurs, ceux qui pensent que l'imaginaire est plus fort que le réel et permet de tenir. Forcément, je ne peux qu'être touché par cela, moi qui adore Terry Gilliam et tous les fous capables de s'évader avec trois bouts de ficelles et un carton, juste en se projetant dans leurs fantasmes et en laissant leurs créativité intérieure panser tout le reste.


Car Gagarine n'en demeure pas moins un film social. Mais c'est plus sur la communauté de vies que le film insiste. Sur ces familles reliées par un même lieu, une cité qui tombe en ruines mais qui est leur vrai chez eux car ils y ont noué des liens humains, des souvenirs et bien sur, des rêves. La solidarité des uns et le jamais content des autres donne à l'ensemble une vie de village explosé et de vrais gueules.


Le héros gère sa propre solitude et l’abandon par sa mère par cet objectif totalement fou, celui de réparer sa cité voir de s'envoler comme Youri Gagarine.


Alséni Bathily, Lyna Khoudri, Jamil McCraven et Finnegan Oldfield  forment un quatuor de jeunes gens absolument renversants de sensibilité, d'amitié et de solitudes qui s'entrechoquent et s'apprivoisent parcequ'ils ne sont rattachés à rien d'autre que cette cité "Gagarine".


Celà faisait très longtemps que je n'avais pas vu autant de douceur, de poésie d'une simplicité confondante qui donne le sourire et un message ultra positif sans être naïf pour autant.

Le film est qui plus est superbement mis en scène, entre travelling exposant tout l'urbex de ce bâtiment en ruines et les idées d'images très originales qui illustrent ce poème salvateur et onirique.


Bouleversant et en apesanteur. Un très grand film.



N°03 ex aequo - A sun

De: Mong-Hong Chung


Surprenant que Netflix diffuse ce type de film, comme quoi la plateforme diversifie son offre et ne pense pas qu'aux séries de qualités diverses ou aux gros films d'auteurs.

Je viens donc de découvrir un nouveau grand nom du cinéma asiatique. Mong-Hong Chung est taïwanais, il n'est pas à son premier long métrage mais ses films ne traversaient pas les océans. Merci donc à la plateforme au N rouge.


Car je me suis pris une vraie claque de cinéma avec cette histoire de famille déchirée par un drame, qui va se déconstruire et se reconstruire sous nos yeux.

Ne vous fiez pas aux 2h30 de durée, ils passent très vite tant le talent de mise en scène rappelle les plus grands, de la finesse de Wong Kar Wai et l'action plus énervée des grands réalisateurs sud coréens.


Le film fascine dès ses premières minutes lorsque le jeune cadet de la famille participe à une vengeance auprès d'une petite frappe. Il se retrouve emprisonné pour trois ans. Sauf qu'il vient de mettre enceinte une gamine de 15 ans, que sa mère tente comme elle peut de gérer, que son frère ainé, beau et intelligent est le chouchou du père qui méprise son autre fils qu'il considère comme un raté...ambiance.


A cette histoire de famille qui s'est construite sur des déceptions, une absence de dialogue, des culpabilités, va se rajouter tour à tour un fantôme, un thriller noir, une histoire de rédemption et d'acceptation, et au final un chemin vers la lueur.


Mong-Hong Chung a une immense tendresse pour ses personnages auxquels on s'attache immédiatement, qu'ils soient dans l'aveuglement, la violence stérile ou qu'ils soient paumés.

Peu à peu les fils entre eux vont se démêler et devenir d'une limpidité confondante, d'une beauté assez remarquable. A de nombreuses reprises l'émotion arrive là où on ne l’attend pas, avec sobriété mais avec l'effet que font les grands films, ceux qu'on ne voit pas venir et qui vous emportent.


Les messages du film sont universels et au final d'une grande simplicité. Mais aussi A sun  reste un objet de cinéma divertissant malgré l'alternance de minimalisme formel et de ruptures émotives qui prend garde à ne jamais laisser le spectateur se perdre. Il prend certes le temps de décrire les relations et d'instaurer une ambiance très particulière formée de tension et d'espoir. Mais il ne prend pas trop le temps, usant d’ellipses et d'effets d’accélérateurs de l'histoire pour éviter au spectateur de s’appesantir et l'accrocher à l'étape d'après.


Œuvre à l'esthétique parfois radicale, A Sun use parfois de violence graphique mais toujours au moment opportun, jamais pour de l’esbroufe. A Sun alterne le romanesque et d'autres genres de cinéma avec une fluidité étrange.


Forcément, après ce coup de maitre, je ne peux qu'avoir envie de voir ce que Mong-Hong Chung nous réservera pour la suite de sa carrière.



N°03 ex aequo - "La main de Dieu"/"The Hand of God"

De: Paolo Sorrentino 


Sorrentino revient dans sa ville natale pour réaliser son film le plus personnel, qui mêle le destin et la famille, le sport et le cinéma, l’amour et les illusions perdues.


Paolo Sorrentino est l'un des grands réalisateurs italiens du moment, qui tourne à l'international et nous a livrés L'Ami de la famille (2006), puis Il Divo (2008) sur l'homme politique italien Giulio Andreotti, This Must Be the Place avec Sean Penn, La Grande Bellezza sur un écrivain romain désabusé, qui reçoit l'Oscar et le Golden Globe du Meilleur Film étranger en 2014 et enfin le sublime Youth où Michael Caine et Harvey Keitel  interprètent deux amis artistes au crépuscule de leur existence, un film magnifique. Puis il va marquer les critiques avec sa série en deux saisons géniales sur un Pape jeune mais ultra conservateur joué par Jude Law avec The Young Pope puis THe New Pop tout aussi excellente avec en plus le trop rare John Malkovich.

De par ses thématiques variées, sa mise en scène fluide et très esthétique, usant de bande son toujours originale et de scènes surréalistes venant agrémenter des rêves des personnages, Sorrentino a trouvé son style, assez vite reconnaissable.


Vous retrouverez tout ceci dans cette production Netflix, prête à conquérir de nombreux prix début 2022 après son Lion d'argent à Venise en septembre dernier, car c'est probablement l'un de ses meilleurs si ce n'est son meilleur film.


"La main de Dieu" raconte son histoire à lui, totalement autobiographique, d'un jeune adolescent qui trouva sa voie après un drame familial d'une violence que je ne connaissais pas avant de lire sa bio, après le visionnage. En se livrant ainsi, Paolo Sorrentino nous offre un magnifique hommage à la création, à la liberté et l’insouciance de son adolescence et surtout à ses parents.

Toni Servillo et Teresa Saponangelo  sont à tomber par terre et ne pourront que vous rendre fans absolus de leurs personnages, de leurs trahisons, leurs mensonges, leurs fêlures. Le regard sur ses parents de Sorrentino est tendre sans être trop mélancolique car il leur rend vie à travers ces deux portraits iconoclastes. Cette mère blagueuse qui fait des canulars est géniale, ce père volage communiste et banquier est excellent et haut en couleurs. Et toute la familia italienne autour donne lieu à des scènes où l'on est hilares.


Le film est au début très lumineux et très drôle et bien sur le réalisateur choisit la nuit pour les scènes de drame et post drame et le crépuscule pour son entrée dans l'âge adulte.

Filippo Scotti  crève l'écran dans le rôle du réalisateur, à la fois naïf et solaire, qui découvre la vie peu à peu. On peut lui prédire une belle carrière.


Je rassure les non fouteux, Maradona n'est qu'un prétexte à un superbe film sur les illusions perdues de l'adolescence, la fin de l'enfance forcée avec toute une galerie de personnages denses, complexes ou tout simplement tellement originaux que le film passe à une vitesse incroyable.


On touche du doigts la solitude et le manque qui ont amené à façonner l'artiste qu'est devenu Paolo Sorrentino aujourd'hui.


Et c'est d'autant plus émouvant qu'avec ce film, il semble parler à ses parents et leur dire "voyez ce que vous m'avez transmis ! voyez ce que je suis devenu grâce à vous ! Pour tout cela je vous aime ". Il est difficile de ne pas être ému par ce message après avoir tant croqué la vie avec lui dans ce Naples magnifié.


Un film sublime.



N°02 - Annette

De: Léos Carax


Le pitch : Los Angeles, de nos jours. Henry est un comédien de stand-up à l’humour féroce. Ann, une cantatrice de renommée internationale. Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.


Léos Carax est un réalisateur très rare, adulé mais qui ne sort que son sixième film à 60 ans. Le réalisateur de "Mauvais sang", "Les amants du Pont neuf" et le merveilleux "Holy Motors" était attendu au tournant avec cette comédie musicale, maintes fois repoussée et basée sur un travail étroit avec le groupe Sparks.


Le film a divisé à Cannes et va diviser le public entre ceux qui trouvent le film ridicule et ceux qui adorent et crient au génie.


C'est sur que voir Marion Cotillard en cantatrice qui meurt à la fin de chacune de ses pièces de théâtre, çà peut faire penser à sa mort ratée dans The Dark Knight Rises. Ok, mais ce serait vraiment stupide de s'arrêter à cela. C'est vrai que la voir chanter en cantatrice grimée ceci peur agacer certains. Et enfin c'est vrai que le choix gonflé de Carax de représenter l'enfant du couple de la sorte (surprise, je ne vous dis pas) peut désarçonner une partie du public mais il y a une raison, évidente, que vous comprendrez à la toute fin.


Et bien moi je fait partie de l'autre catégorie qui s'est pris une énorme claque de cinéma !

Le cinéma n'est pas mort, il revient à Cannes et de quelle plus belle manière pouvait-il le faire ?

Léos Carax  a l'idée géniale de présenter son film par lui même, muet qui lance le générique avec les Sparks et une chanson qui invite à intégrer le show, "So may we start ?"...et là le film décolle dès le début en chansons et ne quittera jamais le concept. Cà chante tout le temps du début à la fin.


Adam Driver de sa voix grave est juste génial de bout en bout et mériterait un prix d'interprétation.

Certaines scènes sont des moments de fulgurance narrative assez incroyables. La scène à moto, les scènes du comique qui s’adresse au public sont tout simplement brillantes.


Driver est confondant de talent et Carax confondant d'inventivité et de fluidité de sa mise en scène.

Il lie l'histoire de ce couple star d'artistes et leur destin à la construction d'un grand Opéra. Jusque dans les décors, somptueux qui rappellent la scène de théâtre, tout est pensé, millimétré avec une intelligence incroyable.


Léos Carax m'a surpris par un film comme je n'en n'ai pas vu auparavant, pas comme çà.


Annette est d'une poésie sombre, rythmée par une BO des Sparks qui colle au récit avec virtuosité.

Ce récit sur le mal profond né de la jalousie et de la passion, sur l'enfance volée, sur la célébrité est d'un lyrisme impressionnant.


Ce chef d’œuvre instantané est qui plus est très accessible.


Un film sublime et déchirant, d'une beauté rare.



N°01 ex aequo - La loi de Téhéran

De: Saeed Roustayi


Le pitch : En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30 g ou 50 kg sur soi : la peine de mort. Dans ces conditions, les narcotrafiquants n’ont aucun scrupule à jouer gros et la vente de crack a explosé. Bilan : 6,5 millions de personnes ont plongé. Au terme d'une traque de plusieurs années, Samad, flic obstiné aux méthodes expéditives, met enfin la main sur le parrain de la drogue Nasser K. Alors qu’il pensait l'affaire classée, la confrontation avec le cerveau du réseau va prendre une toute autre tournure...


Pour son premier film, l'iranien Saeed Roustayi scotche tout le monde et se fait un nom aux côtés des plus grands dont Asghar Farhadi ou Jafar Panahi.


Dès les premières scènes il dévoile l’ampleur de sa mise en scène extrêmement fluide et qui use du symbole sans en faire des caisses. On y voit des policiers qui arrêtent des centaines de consommateurs de drogue dure, entassés dans un terrain vague entre des silos de bétons, de tous âges par c'est la pauvreté qui les a amenés là. L'exode des cette foule d'anonymes vers d'immenses prisons est juste bluffant car il dit tout de ce fléau ingérable sur place car sa racine est la misère. La première scène est une course poursuite à pied dans Téhéran entre un policier et un dealeur et le final est juste excellent tant il va jouer sur le reste de l’histoire à un moment inattendu.

 Roustayi  aurait pu être considéré comme ultra classique et peu critique de la société (le film est sorti en Iran et a cartonné) mais justement il montre "les bons", ces policiers qui traquent les dealeurs et tentent de démonter un réseau, avec un regard distant.


Le policier, anti héros joué par la star Payman Maadi (vu chez Asghar Farhadi) est jusque boutiste et d'une dureté incroyable. Alors qu'on apprend très vite que les peines peuvent aller rapidement à la peine de mort.


Il nous parle de corruption de la police comme une chose commune mais fait de ses personnages de bons policiers. Pourtant il n'existe pas de vraie solidarité entre ces flics et la cohésion n'existe pas car le régime l’empêche, chacun a peur des conséquences de ne pas être plus blanc et sans reproches que le voisin. C'est raconté avec suffisamment de finesse pour que le régime ne puisse rien redire au propos du film. Mais c'est bien là comme une déconstruction du lien social.

Puis à la moitié du film, le réalisateur renverse la vapeur et va nous parler du dealer, de l'énorme poisson qu'ils recherchent, après avoir décrit avec méthode et suspens les interrogatoires psychologiques et la façon de remonter la filière. Le personnage qui entre en jeu donne alors une dimension différente au film qui passe d'excellent polar à une introspection du milieu carcéral et d'où viennent ces anonymes dealeurs ou consommateurs. Il ne cherche pas d'excuses au mal, il l’explique juste avec humanité et des petites scènes toutes simples qui emportent autant l'émotion qu'elle révèlent une grande maturité de ce grand cinéaste qui nait devant nos yeux.

Après un film haletant, complexe, qui passe à toute allure telle la première scène de course poursuite, le cinéaste brosse un portrait édifiant et d'une efficacité redoutable, sans aucun pathos, juste factuel.


"La loi de Téhéran"est un très grand film politique et social tout en étant surprenant et en tenant en haleine du début à la fin.

Grosse claque !



N°01 ex aequo - Dune partie 1

De: Denis Villeneuve


Dire que j'attendais le film de Denis Villeneuve est un euphémisme tant je suis fan absolu de l’œuvre de Franck Herbert, agacé par la version pudding de David Lynch ou le niveau pathétique auquel la saga Star Wars  a pu atterrir. Il faut dire que le cycle de Dune est tout ce que l'on peut rêver sur grand écran. Le scénario orchestre une lutte de pouvoirs à la Games of Thrones avec un sous texte écologique d'une planète dont on exploite les ressources au point de l'avoir transformée en planète de sable. Par ailleurs on y voit naitre une résistance et un fanatisme religieux autour d'un messie vengeur. Dune est incroyablement contemporain des maux de notre monde actuel, ce qui est le propre d'un grand récit de science-fiction que de faire réfléchir sur nous mêmes.


On a beaucoup parlé de l'impossibilité d'adapter ce roman, de la tentative folle d'Alejandro Jodorowsky avec Salvador Dali, Orson Welles, Alain Delon et Mick Jagger et puis du film boursoufflé et frustrant de Lynch et de la série cheap des années 2000.

Denis Villeneuve a donc eu une riche idée de couper le premier livre en deux. Certes, il ne développe pas tous les personnages, le docteur Yueh et Peter de Vries sont très peu présents et certains personnages ont été effacés du récit comme Feyd Rautha, le neveu Harkonnen qu'incarnait Sting ou l'empereur Shadam IV. De même, le Baron Vladimir Harkonnen  n'est vu que sur quatre petites scènes, Villeneuve choisissant de le montrer de loin, de ne pas s'attarder et de ne pas en faire un méchant caricatural. C'est plutôt bien vu car il est effrayant à la manière de l'empereur dans les premiers Star Wars historiques. Et le temps gagné sur certains personnages est attribué au climax du film et à plusieurs membres des Atreides comme Duncan Idaho (Jason Momoa), le véritable héros de la saga de Franck Herbert, que l'on devrait retrouver (lui ou une version plus jeune) si les films sont un succès et que la saga est adaptée sur ses six tomes, espérons !!!


C'est donc une totale réussite que cette adaptation dont le casting cinq étoiles est pertinent, chaque personnage étant facilement identifiable de par son physique à son caractère. Oscar Isaac est un Duc Léto parfait de bienveillance et de tragédie, Rebecca Ferguson est une dame Jessica peut-être plus humaine que dans le livre mais ceci permet d'amener une émotion que certaines critiques trouvent trop peu présente. Javier Bardem en Stilgar, Josh Brolin en Gurney Halleck, Charlotte Rampling en révérende mère Bene Gesserit. C'est parfait et c'est classe. Surtout ceci permet de poser les nombreux personnages avec une grande fluidité et simplicité.

Mais surtout, Timothée Chalamet est impressionnant dans le rôle de Paul et trouve son meilleur rôle de sa jeune carrière et porte le film. Sa jeunesse physique rend le personnage de jeune prince qui se cherche (et a 16 ans au début du livre) particulièrement crédible.

Ce qui impressionne également dans ce space opéra c'est le visuel monumental des vaisseaux, des palais, d'une imposante sobriété en terme d'imagerie SF mais surtout qui renouvellement cette imagerie comme l’avait fait Villeneuve avec Premier Contact. Les décors sont d'une beauté confondante qui créé instantanément un monde ultra crédible et à la fois assez proche de nous. On peut croire à la réalité de ce monde tant le côté minéral et simple des palais et des vaisseaux est savamment pensé. L'une des grandes réussites du film est son ampleur qui n'étouffe pas les personnages. On les voit évoluer dans des espaces immenses mais jamais ces monuments n'écrasent l'intimité, la proximité des personnages.


Le visuel du fameux vert des sables comme des yeux bleus des Fremen ou même de l'épice, source de la guerre, sont tous très réussis.


Ensuite, à cette beauté et cette sobriété, Denis Villeneuve  va nous présenter des scènes cultes déjà vues mais avec la même précision clinique, libérée du kitch des adaptations précédentes, pour mieux se concentrer sur le décalage entre la planète des Atreides (qui ressemble à la terre) et la planète des sables. Il passe du temps à nous immerger dans ce choc de culture et de civilisation pour mieux expliquer le déracinement de la famille de Paul puis sa confrontation aux résistants Fremen. On y parle alors de surexploitation de ressources naturelles, de colonisation brutale, ce qui place Dune très au dessus de n'importe quelle saga de SF par sa maturité et l'ampleur de ses sujets abordés. Clairement, Dune n'est pas un film avec du comique mais quand on voit la stupidité des tentatives de Disney ou Lucas (hello Jar Jar) de renouer avec Han Solo et se vautrer lamentablement, je préfère l'absence d'humour.


L'humain est au cœur de cet engrenage complexe qu'arrive à restituer de manière limpide Denis Villeneuve.  La confrontation est presque plus entre le destin/le jeu politique et une famille sincère qui cherche à gouverner avec sagesse, entre des infrastructures immenses et la proximité avec ces personnages qui paraissent nus. D'ailleurs une scène avec Leto joue à fond sur la nudité comme pour amplifier l'impuissance et l'écrasante petitesse de l'homme par rapport au complot qui s'abat sur lui.


Villeneuve est un cinéaste éminemment visuel qui sait user de l'atmosphère qu'il créé pour simplifier la parole. Et c'est vrai que ce Dune est beaucoup plus contemplatif car moins ramassé que son prédécesseur mais aussi moins bavard. Exit les longues explications en voix off ou les discours trop longs. Ici, une bonne partie passe par les lieux, les lumières et c'est bluffant d’intelligence.


Ce dépouillement s'allie à la bande-son du cultissime Hans Zimmer, qui signe là de nouveau un score envoutant.


La réussite incroyable de ce Dune, part one est donc tout autant dans son casting impeccable et la psychologie des personnages respectée que le design des lieux et des vêtements qui rend le tout organique et ultra réaliste, à mille lieux des délires cosmiques d'une autre saga que Villeneuve gadgétise de part le brio de sa mise en scène.

Il faut évidemment espérer que le filme cartonne pour qu'il y ait la partie 2 de lancée en 2022 mais aussi une adaptation des autres tomes qui, de livres en livres, nous emmèneront plus loin dans ce monde curieux qui fait réfléchir sur nos propres civilisation à travers plusieurs millénaires si l'on va jusqu'à La Maison des Mères.


Denis Villeneuve a signé un chef d’œuvre de science fiction, d'une grande fidélité au roman de Franck Herbert et qui redonne ses lettres de noblesse à une science-fiction adulte et consciente des thématiques profondes qu'elle charrie.


Dune  est non seulement une non-déception mais surtout une excellente surprise de l'un des plus brillants réalisateurs au monde et vous devez y courir vite pour soutenir le cinéma d'auteur allié au blockbuster, le cinéma divertissant et exigeant, celui qui vous happe et vous emmène très très loin tout en vous faisant réfléchir à la société d'aujourd'hui.


Denis Villeneuve peut être très fier de lui et de ses équipes, il l'a fait, il a réussi à transposer le monstre Dune à l'écran. Mille mercis pour ce film ambitieux et spectaculaire, confondant de beauté, d'une grande intelligence scénaristique et qui est la plus belle adaptation que l'on pouvait rêver. Dune est enfin incarné.



2022



N°15 - La conspiration du Caire


Un peu à la manière d’un Nom de la rose dans un contexte musulman, « La conspiration du Caire » brille par l’intelligence de son scénario, axé sur un rythme et un suspens de tout instant qui pèse sur ce héros malmené, ballotté par le pouvoir militaire en place tout comme les religieux.

Le réalisateur suédois Tarik Saleh, interdit de séjour en Égypte et on comprend pourquoi on voyant le film, signe un thriller de grande tenue qui tout en commençant très doucement explique comment l’Égypte mêle politique et religion de façon très archaïque.


L'individu pèse au final très peu. La vie humaine a une valeur toute relative face à des enjeux d'un cynisme déconcertant. Le rôle du général de Fares Fares, chargé de l infiltration, est très nuancé et d'une morale baignant dans un gris vraiment intéressant.


Mais Tarik Saleh  n'oublie pas le spectaculaire pour autant au sein de cette université religieuse al-Azhar, monde à l'intérieur de la ville et du pays.


La mise en scène accompagne ce jeu de manipulation, de complots tout en délivrant un message politique fort sur l'écart entre les puissants et une population tenue dans sa misère par la religion.


"La conspiration du Caire" est à la fois original, politique et divertissant, un très bon film.



N°14 - Armageddon Time" de James Gray


L’histoire très personnelle du passage à l’âge adulte d’un garçon du Queens dans les années 80, de la force de la famille et de la quête générationnelle du rêve américain.


James Gray est le maitre derrière les drames New-Yorkais que sont "little odessa", "la nuit nous appartient", "two lovers". Puis il s'est éloigné de New-York pour la grande aventure avec le très beau "The Lost City of Z", qu'il mis 10 ans à réussir à produire. Son film de science-fiction Ad Astra, permettait à Brad Pitt d'ajouter en 2019 un nouveau grand rôle après celui obtenu chez Tarantino deux mois avant (Once Upon a Time in Hollywood).


Après ses trois incursions dans des genres non contemporains (film en costume pour The Immigrant, aventures pour "The Lost City of Z" et Science-Fiction pour "Ad Astra"), James Gray revient à New York avec Armageddon Time pour ce film autobiographique qui suit l'éducation du réalisateur dans le quartier du Queens des années 80.


C'est son film le plus personnel et le plus tendre à travers le regard d'un enfant et une figure tutélaire qui était son grand-père joué par le magistral Anthony Hopkins.

Évidemment on ne peut qu'adhérer à ce personnage au crépuscule de sa vie qui va donner quelques leçons de morale bien sentie au petit pour lui apprendre ce que c'est que de résister face aux cons et face au racisme, à l'intolérance, qui ont fait fuir sa famille juive d'Ukraine au moment de l'arrivée des nazis.


Mais plutôt que de livrer une démonstration, James Gray  filme de façon très classique, peut-être trop pour certains, la montée en puissance d'un conservatisme blanc intolérant, personnalisé par le propriétaire du lycée privé du Bronx où il a été scolarisé, un certain Fred Trump, le père de Donald Trump.


Anne Hathaway ou le génial Jeremy Strong  (Succession) jouent les parents de ce gamin pas très docile qui s'intéresse plus à des sujets artistiques qu'à l'école et a un peu de mal avec l'autorité. Son amitié avec un jeune noir défavorisé permet au film de montrer ce racisme hypocrite et cette dualité de chances entre blancs et noirs sans pour autant être lourd ou bavard. Les choses s’insinuent peu à peu et forment un témoignage assez bouleversant d'une forme d'apprentissage des valeurs et de ce que c'est que d'être une personne intègre, ouverte d'esprit et pour qui la notion d'injustice signifie quelquechose.


Le film est mélancolique et pourtant tout en retenue sur les émotions ce qui rend certains passages d'autant plus bouleversants car incroyablement universels.


On voit dans cet "Armageddon Time" les prémices d'un basculement dans une Amérique moins insouciante et davantage repliée sur elle-même, où l'idéologie mettait en avant les battants en laissant de côté toute une partie de la population considérée comme d'une autre catégorie.

La finesse de la mise en scène et des messages impose de nouveau le respect et aboutit sur un grand film.



N°13 - La nuit du 12

De: Dominik Moll


Le pitch : À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.


Dominik Moll revient au sommet avec ce cold case sombre, à la mise en scène et aux choix scénaristiques brillants.


Le choix de Bastien Bouillon en rôle d'enquêteur en chef est très bon, tant cet acteur peu connu a un visage énigmatique. Son regard est assez particulier car on se demande toujours si il n'est pas ailleurs, on ne sait jamais ce qu'il pense réellement. D'ailleurs la froideur apparente du personnage, tout comme celle de ses collègues habitués aux affaires criminelles glauques et au sang est l'un des ressorts du film.


Ils font leur boulot et leur quotidien c'est de traiter d'histoires de meurtres. Ils n'ont donc pas le temps de s'émouvoir et se sont pas là pour celà même lorsqu'ils annoncent à une femme la mort de sa fille de 20 ans. Au début c'est déstabilisant et petit à petit on comprend que Domink Moll ne veut pas faire du sentimentalisme mais nous immerger dans le milieu de la criminelle, nous montrer que les policiers sont en effets vaccinés et habitués à cela et qu'ils raisonnent froidement, méthodiquement.


L’enquête en elle-même n'a rien de passionnant par sa fin mais par le fait que tous les suspects pourraient être coupables mais que la police n'y arrive pas.


Le personnage de Bouli Lanners, toujours excellent acteur, donne une caution plus humaine à cette bande de flics au cuir tanné. L'évolution de son personnage et son ras le bol de tant de noir autour de lui raisonnent comme un écho de ce que vivent probablement ses collègues mais qu'ils gardent intériorisés pour rester concentrés. Moll montre parfaitement cette carapace qu'ils se sont construite.


Et puis le réalisateur parle des dérives du mâle, de l'homme violent pétri de désirs et des relations homme-femme dans une petite ville de province où finalement les gens vivent en vase clos.

Cet excellent polar, chirurgical et calme traite du mal dans toute sa banalité horrifique sans jamais tomber dans la facilité scénaristique et en tenant ses choix de mise en scène et son orientation volontairement désespérée du début à la fin.


Une des pépites de l'année 2022.


N°12 - "Pinocchio" de Guillermo del Toro


Le conte de Carlo Collodi a déjà été adapté plusieurs fois, la dernière version étant celle de Matteo Garrone avec Roberto Benigni et le reboot live de Robert Zemeckis.


La version de Guillermo del Toro est bien supérieure. Le problème est que dans notre imaginaire, le dessin animé de Disney a trusté tout l'imaginaire autour du personnage. Del Toro s'est battu des années pour produire sa propre version et alors qu'il avait mis de côté son projet, Netflix lui a ouvert les portes.


Il faut dire que produire un film Pinocchio entièrement en stop motion soit image par image avec des marionnettes sur fonds vert, comme L'étrange Noel de Mister Jack, est une gageure et coûte cher.


Le résultat est magnifique, les personnages et leurs designs sont évidemment très particuliers et le monstre rappelle le cinéma du maitre mexicain.


La profondeur du visuel des personnage est vraiment différente avec cette technologie et donne un rendus moins lisse que les productions Pixar. Il y a plus de matérialité physique au résultat et je trouve ceci vraiment bluffant.


A ceci s'ajoute un scenario que Guillermo del Toro  a transposé à l'époque fasciste mussolinienne italienne, lui permettant d'adresser d'autres messages de tolérance qui ne figuraient pas sous cette forme dans le conte original. Il apporte ainsi une vision plus sombre comme dans L’échine du diable.


Et puis l'idée géniale est de donner à Gepetto un premier fils de chair et de sang, ce qui rajoute beaucoup à l'histoire et la rend d'autant plus belle.


Pinocchio devient un enfant imposé issu d'un délire alcoolique et se transforme en enfant choisi au terme de bien des aventures.


Le film aborde le deuil et la renaissance avec une simplicité confondante.


En trahissant Carlo Collodi, Guillermo del Toro  nous a fait le plus beau cadeau de cette fin d'année avec un conte plus adulte, plus sombre mais magnifique visuellement et porteur de beaux messages. Une grande réussite.


N°11 - "Great Freedom" de Sebastian Meise


L’histoire de Hans Hoffmann. Il est gay et l’homosexualité, dans l’Allemagne d’après guerre, est illégale selon le paragraphe 175 du Code pénal. Mais il s’obstine à rechercher la liberté et l’amour même en prison...


Si "Great freedom" est souvent glauque par le dureté de ce qu'enduraient les homosexuels en Allemagne lorsque l'homosexualité était punie d’emprisonnement, c'est aussi parceque Sebastian Meise choisit de raconter son histoire uniquement en prison.


Il a l'excellente idée de raconter l'histoire de cet homme et de sa relation avec un c-détenu hétéro mais héroïnomane sur trois périodes, 1945, 1955 et 1968, à la veille de la fin de la pénalisation.


L’oppression subie semble hors du temps tellement elle est moyenâgeuse et dénuée d'une quelconque humanité. Mais le héros est tellement solaire qu'on s'accroche à son sourire et son regard provocateur qui semble dire merde aux autorités en permanence. Franz Rogowski est brillant de bout en bout alors qu'il parle peu, par son visage expressionniste assez bluffant. Face à lui George Friedrich joue un homme rustre et homophobe avec qui il va tisser une relation d'amitié et d'amour assez particulière et hyper émouvante. Mais plutôt qu'une histoire gay classique, "Great Freedom" parle d'un combat pour survivre et aimer entre quatre murs via plusieurs histoire où le héros s'amourache d'autres jeunes gays emprisonnés et tente de trouver un espoir dans ces relations sans avenir car punies des pires souffrances.


Et puis "Great freedom" émeut à bien des reprises par la bonté des personnages ou leur sens du sacrifice pour se serrer les coudes ou sauver un autre détenu. Ce qui marque aussi c'est ce passage direct des camps de déportation nazis aux prisons allemandes à la libération, un fait peu connu de l'histoire.


La découverte des personnages et la construction du duo se fait avec beaucoup de finesse et amène sur une fin bouleversante et romanesque.


L'émancipation est passée par des crimes d'état qu'on aurait tord d'oublier trop vite. "Great freedom" est non seulement nécessaire dans son devoir de mémoire mais il est beau et poétique par moments, suffisamment pour vous donner une bonne claque salvatrice.


N°10 - "Un autre monde" de Stéphane Brizé


Un cadre d'entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l'un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd'hui exécutant. Il est à l'instant où il lui faut décider du sens de sa vie.


Pour clore sa trilogie sur le monde du travail en entreprise après La loi du marché en 2015 et En guerre en 2018, Stéphane Brizé retrouve son acteur fétiche, Vincent Lindon.


L'acteur de 62 ans est toujours aussi sobre et juste mais cette fois-ci Stéphane Brizé lui fait changer de bord et lui donne le rôle du patron de site industriel, cadre supérieur coincé entre sa fidélité sans faille à son entreprise, sa reconnaissance pour avoir connu une belle ascension sociale.


Sandrine Kiberlain est comme toujours excellente en femme ayant sacrifié sa vie professionnelle pour son mari et Anthony Bajon se révèle décidément l'un des plus grands talents de sa génération dans le rôle difficile du fils. Il joue un gamin éduqué dans le culte du succès par son père mais en mode burn out à 20 ans à peine tellement la compétition pour réussir ses études l'a aspirée.


Le film se construit alors de façon assez originale. Le sujet ne surprend pas, on est dans un vrai film de gauche engagé, et les incohérences du capitalisme sans limite sont pointées de doigts comme on s'y attendait. Mais Stéphane Brizé use du cocon familial, ce cocon détruit par l'ambition noble du personnage et sa charge de travail énorme et impossible à refuser. Or c'est ce cocon mal en point qui va porter une lumière dans tout le film et y apporter les plus beaux moments dont une scène de jeu et de rire en famille absolument magnifique de simplicité et de justesse.


Marie Drucker est effrayante en Pdg / CEO qui obéit sans broncher à des ordres venus des Etats-Unis sans aucune justification et qui applique froidement une stratégie qui n'en n'est pas une, au risque de mettre en péril l'entreprise mais juste pour poursuivre son ambition et pour être la bonne élève, comme le personnage de Lindon et ses confrères directeurs de sites croient devoir l'être.


Une entreprise n'est pas une démocratie ni n'a forcément de vocation sociale, raison pour laquelle les entreprises à mission ont été créées ou pour laquelle la notion d'impact est autant à la mode dans les entreprises "modernes". Mais derrière les mots, les green ou social washing, qu'y a t il vraiment ? Un employé n'est ni plus ni moins qu'une ressource humaine, un nom et des coordonnées sur un tableur excel, remplaçable par un autre. "Personne n'est irremplaçable" et c'est le jeu de cette pression concurrentielle sur les coûts qu'imposent des pays à moindres protections sociales, moindres charges aussi et qui au final fait pression sur toute la chaine. On raisonne en chiffres, en data mais quid du capital humain et quid du rôle de l'entreprise sur son bassin d'emploi, d'autant plus lorsqu'elle est bénéficiaire et rentable.


Stéphane Brizé utilise une situation caricaturale avec évidemment certains patrons qui pensent à leur prime parcequ'ils ont vraiment beaucoup bossé avant une forme de solidarité. Mais il montre aussi que tous les patrons ne sont pas des salauds égoïstes et sans cœurs et que c'est justement quand le grain de sable du doute, de la morale s'installe que le mécanisme ripe fortement.

"Un autre monde" parle de morale alors que ce n'est pas une évidence que la morale soit une valeur en entreprise. En démocratie oui. En entreprise et bien çà dépend de laquelle.


L'authenticité du personnage de Vincent Lindon est bluffante et donne à ce drame social une tournure non basique où le manichéisme n'a pas sa place. L'évolution du personnage de Lindon est l'une des très grandes réussites de ce film majeur sur l'absurdité du monde du travail actuel, qui pousse des entreprises à des rendements toujours plus élevés et ne pense pas toujours au maintien en bonne santé mentale et physique de ce qui irrigue son fonctionement même, à savoir ses ressources humaines, justement.


Le style minimaliste du jeu renforce encore plus ce constat terrible de froideur et d'inhumanité dans lequel la concurrence mondialisée pousse les salariés dans leur quotidien et les cadres dans leur obéissance aveugle. Alors évidemment, et fort heureusement, de nombreuses entreprises ne raisonnent pas que comme cela et pensent au bien-être au travail comme un enjeu fondamental, non par bienveillance mais pour leur propre intérêt, tant en terme d'image que de performance. Un autre capitalisme plus "éclairé" ou plus conscient que la globalisation a des limites locales. Mais hélas, c'est loin d'être le cas partout.


Quand le cinéma parle de politique avec intelligence et recul çà donne un grand film.



N°09 - "Elvis" de Baz Luhrmann


Le cinéma de Baz Lurhmann est rare, il tourne peu de films, 5 films en 25 ans et surtout il se reconnaît dès la première scène. C’est enlevé, ca explose, ca brille et c'est démesuré. Ca peux gonfler certains mais de Romeo+Juliette à Moulin Rouge, moi le résultat me plait plutôt. C’est too much certes mais c'est assumé comme un énorme spectacle qui doit en foutre plein la vue. Son Gatsby le Magnifique était d ailleurs sauvé par l'interprétation de Di Caprio et cette épilepsie dans les travellings qui gommait les côtés chiants et classiques du scénario.


Avec Elvis, le réalisateur réussit à m'intéresser à un artiste dont je me fout complètement, qui pour moi est une caricature et dont le style musical m'a toujours laissé de marbre. Il a réussi à m'emballer et me rendre hyper enthousiaste sur son Elvis.


Plusieurs atouts font de ce film un must à voir en 2022. Évidemment la mise en scène est prodigieuse, inventive, disruptive et créative, ce qui pourrait à elle seule valoir le coup même en racontant un biopic bateau.


Mais Baz Luhrmann a eu le talent de faire trois choix pertinents. D'abord il raconte l'enfance d Elvis et nous fait redécouvrir son attachement à la culture musicale noire mais il le fait via une explication de texte d'un personnage immonde. Tom Hanks joue un vrai méchant à contre emploi total en interprétant ce « Colonnel » qui réussit à s'imposer impresario d'Elvis depuis tout jeune jusqu’à lui sucer tel un vampire ces dernières forces et le pousser à la déchéance par appât de gain et avidité. Rassurez vous le personnage est plus nuancé que cela mais il est fascinant de noirceur et le fait qu'il soit le narrateur est une excellente idée.


Ensuite Austin Butler, inconnu au bataillon qui grace à Elvis va jouer le super méchant Feyd Rautha dans la suite de Dune, est tout simplement bluffant. Il est Elvis et c'est lui qui chante et qui a bossé comme un damné son timbre de voix pour assurer le rôle de sa vie qui lui ouvre les portes d Hollywood. Il est très bon tant dans le charme que la naïveté un peu bovine du personnage. Certes le réalisateur australien le magnifie et pense dans ses décors et sa mise en scène au moindre détail pour embaumer son personnage de toute l'aura qu'il draine encore derrière lui 45 ans après sa mort.


Et le troisième choix qui fait d'Elvis un grand film est d'avoir voulu raconter un mythe plus qu'un personnage. A un moment le film se détache de l'homme pour prendre de la hauteur sur les fans, l'entourage immédiat et montrer cet homme hyper généreux et doué tout d'abord rebondir et provoquer l'hystérie alors même que les Beatles et les Stones et tout le mouvement hippie était passé par la. Et la le film raconte l'histoire d'un mythe en construction et comme tout mythe il a besoin d'un échec et d'une renaissance au sommet. Puis le film explique les mauvais choix et l'enfermement dans sa prison dorée de Las Vegas et dans l alcool et la drogue et le film prend une tournure de tragédie grecque assez fascinante.


Baz Luhrmann signe son film le plus mature car avec le plus de recul, le plus complet car traitant de sujets au final très universels, le plus abouti car délaissant parfois son énergie pour mieux embraser le destin tragique du king, qui se suffit à lui seul.

Un grand biopic et un film remarquable.



N°08 - "Nightmare Alley" de Guillermo Del Toro


Après son lion d'Or à Venise en 2017 avec "La forme de l'eau", et quatre Oscars en 2018 dont ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur, Guillermo Del Toro est de retour.


Nightmare Alley est le remake du film "Le Charlatan", réalisé en 1947 avec Tyrone Power. Il suit un bonimenteur faisant croire dans son spectacle truqué qu'il avait le pouvoir de lire dans les esprits. il s'aide pour ceci d'une psychologue et d'une diseuse de bonne aventure. Le film suivra la marche vers la gloire et la chute du personnage. On imagine sans mal Del Toro dans un tel univers.


Son casting est comme d'habitude impressionnant avec Bradley Cooper, Cate Blanchett, Toni Collette, Willem Dafoe, Richard Jenkins, Ron Perlman et Rooney Mara !


Le film est clairement l'un des meilleurs de Del Toro et il ne comporte pas de monstres ou plutôt il en regorge mais ce sont bien des humains plus viles les un que les autres. Sur un scénario à rebondissement qui parle de parvenu, de manipulation et de traitrise, Del Toro nous dépeints des monstres individualistes au milieu d'un cirque magnifiquement restitué, aux couleurs et l'imaginaire baroque jusqu'à des bureaux très art déco tout aussi splendides.


Le casting comme les décors sont tomber par terre et servent au mieux un jeu d'acteurs de premier plan au service d'un thriller noir comme l'âme de ses anti héros.


Une splendide démonstration que Guillermo del Toro est un grand maitre qui cette année 2022 a pondu deux bijoux avec son Pinocchio.



N°07 - "The Innocents" de Eskil Vogt


Le pitch : Un été, quatre enfants se découvrent d’étonnants pouvoirs et jouent à tester leurs limites, loin du regard des adultes. Mais ce qui semblait être un jeu d’enfants, prend peu à peu une tournure inquiétante...


J'ai loupé le film à sa sortie en février mais la sortie en VOD me permet de rattraper ce film norvégien assez fascinant et extrêmement réussi. On y aborde les supers héros comme dans beaucoup de films du genre pour parler d'un sujet plus mature et profond.


Ici le réalisateur aborde les affres de la petite enfance lorsque des gamins isolés de 6-7 ans se découvrent des pouvoirs mais les utilisent pour certains de façon négative, agressive voire criminelle. Qu'est ce qui se passe dans la tête d'un être pas totalement formé dans sa personnalité lorsque ce dernier découvre qu'il a une puissance, une possibilité d'agir sur son environnement. Le film est très bon dans ce qu'il traite de l'absence totale de morale et de retenue des enfants qui peuvent être d'une cruauté ahurissante. Je peux en témoigner pour en avoir été victime enfant. Le harcèlement des enfants envers d'autres masque cette absence de cadre intellectuel pas encore suffisamment forgé.


"The Innocents"  traite donc de cela avec très peu de dialogues car la caméra suite les quatre enfants à hauteur d'enfants.


Eskil Vogt use d'effets spéciaux avec parcimonie et fait montrer le suspens, la pression d'abord par des scènes anodines puis en montrant l'absence de limites et la noirceur de l'un des protagonistes, va installer un climax anxiogène à souhait mais inscrit dans un quotidien de petites familles scandinaves de banlieue sans histoire.


La vision cauchemardesque de ces petites têtes blondes n'est pas une première au cinéma mais ici il y a une vraie originalité dans la mise en scène progressive où chaque évènement apporte une graduation supplémentaire dans ce que l'on craint qu'il arrive.


La maitrise de ce film et son résultat auquel on pense longtemps après font de ce film une grande réussite de 2022.



N°06 - Revoir Paris

De: Alice Winocour


A Paris, Mia est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle de l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.

Sur un sujet aussi casse gueule que les attentats du 13 novembre 2015, qui restent pour tous encrés dans notre mémoire, il était très difficile de témoigner du traumatisme des victimes sans tomber dans un film pleurnichard, voyeuriste ou pathos.


Et pourtant, Alice Winocour, qui avait déjà montré toute sa finesse et sa sensibilité dans l'excellent Proxima, réussit l'impossible.


"Revoir Paris" reprend des éléments qu'on connait des témoignages, notamment des personnes cachés au Bataclan, des victimes abattues de sang froid alors que les tueurs passaient entre elles mais elle les transpose dans un restaurant et mixte les histoires. On sait que les personnages sont de fiction et que la situation n'est pas exactement la même mais elle arrive ainsi à faire percevoir toute l'horreur des divers attentats pour les victimes. Et au lieu de jouer sur un effet malsain de suspens ou d'horreur déplacée, elle va suivre l'une des victimes durant les mois qui suivent, jouée par une Virginie Efira décidément au sommet de son talent.


L'actrice porte le film sur ses épaules avec une telle retenue, une telle dignité et exprime son désarroi, ses interrogations, sa perdition avec un tel talent qu'elle mérite amplement un César en 2023.


Virginie Efira s'affirme comme l'actrice française du moment qui sait tout jouer avec un réalisme confondant.


"Revoir Paris"est un film magnifique de sensibilité et d'intelligence. L'émotion et les larmes sont difficiles à réprimer et pourtant la pudeur est très présente de bout en bout. Le scenario est également très intelligent car il met en scène la perception différente des victimes selon leur origine sociale et leur place dans la société et çà c'est très très fort. Comment des "invisibles" de la république ont vécu une telle tragédie alors qu'ils en vivent aussi au quotidien. Là aussi la réalisatrice aurait pu s'enliser dans un discours bienveillant et bateau mais non il est simplement universel et efficace.


Le film parle de comment se reconstruire avec d'autres vies brisées et faire face ensemble, être résilient et se relever.


C'est un très beau film, porté également par un Benoît Magimel décidément de retour au 1er plan et çà fait rudement plaisir.


La délicatesse du film et la force de son message sont la plus belle réponse que le septième art pouvait livrer face à la barbarie.



N°05 - Licorice Pizza

De: Paul Thomas Anderson


Le grand Paul Thomas Anderson est l'un de mes réalisateurs préférés, un de mes chouchous, et aligne les réussites avec "There Will be Blood" avec l'excellent Daniel-Day Lewis, "Boogie Nights", "Magnolia", "Punch Drunk Love", et bien sûr le film sur le créateur de la scientologie, l'excellent "The Master".


Et puis c'est le drame...il nous sort un "Inherent Vice" vraiment mal ficelé, pas drôle, censé se rapprocher de Las Vegas Parano mais un peu chiant. Hélas, si son "Phantom Thread" avec Daniel-Day Lewis  dans son dernier rôle de cinéma, a séduit la critique, j'y suis resté de marbre. Ce film sur la création trop froid, trop classique dans sa mise en scène, oubliait l'émotion, trop confinée. L'élégance manifeste de "Phantom Thread" ne le rendait pas aimable pour autant, extrêmement rigide. J'espère donc ne pas me prendre une troisième déception avec son prochain film.


Et bien soyez rassurés si vous aviez le même sentiment que moi, "Licorice Pizza" est LE film qu'on attendait du maitre ! C'est son retour à un cinéma plus accessible, plus doux et d'une tendresse, d'une légèreté qu'on désespérait qu'il retrouve. On pense évidemment à "Punch Drunk Love" et "Boogie Nights" car le film est unique en son genre, "insolite" et surtout souvent très drôle !


On y suit un lycéen vivant dans la Vallée de San Fernando dans les années 1970 et ayant connu le succès en tant qu'enfant comédien. Le lycéen est incarné par Cooper Hoffman, le fils de Philipp Seymour Hoffman, grand ami de PT Anderson et immense acteur ayant joué pour lui très souvent (Boogie Nights, Magnolia, Punch Drunk Love, The Master) avant de nous quitter en 2014.


Et vous avez quoi ? Il est brillant comme son papa ! Le mec est confondant de justesse et son duo avec la jeune Alana Haim est tout simplement brillant.


Ils sont hyper attachants et PT Anderson  nous conte une love story sans clichés, sans sirop mais tout de même avec beaucoup de cœur, d'élan, de vitalité. C'est un tour de force d'émouvoir et de donner le sourire dans un feel good movie sans refaire du déjà vu.


Car en plus de raconter cette histoire de deux êtres très jeunes qui se cherchent et préfèrent de jauger et jouer la complicité amicale, PT Anderson aborde des thèmes super intéressants.

D’abord sa reconstitution du Los Angeles des années 70 est excellente avec des stats ou pseudo stars sur le retour comme celles interprétées sur des scènes fabuleuses par Sean Penn et Bradley Cooper,  complètement dingo. Et surtout il nous parle de la fin d'une époque, les 30 glorieuses, où tout état possible, où un gamin de 15 ans aux Etats-Unis pouvait monter sa boite. Mais c'était avant le premier choc pétrolier et l'arrêt net de cet american way of lie. En prenant ce contexte comme toile de fonds, PT Anderson n'est pas nostalgique mais réussit à donner de la fraicheur, de la vitalité et de l'innocence à une histoire d'amour là où aujourd’hui le cynisme a souvent pris le pas et s'est érigé en armure obligatoire de tout à chacun. D'ailleurs ce jugement permanent incitera certains spectateurs à tordre le nez lorsqu'on voit des enfants s'investir et travailler pour créer une boite. Sauf que c'était il y a 45 ans, dans un autre contexte, un autre pays, une autre culture.


C'est donc vivifiant de voir un très grand réalisateur revenir avec son film le plus abordable depuis 15 ans, un vrai film qui donne la banane et dont on ressort le sourire aux lèvres.

Une très grande réussite !



N°04 - "After Yang" de Kogonoda


Le pitch : Dans un futur proche, chaque foyer possède un androïde domestique, appelé « techno-sapiens ». Dans la famille de Jake, il s’appelle Yang, et veille plus particulièrement sur la jeune Mika, assurant pour cette petite fille adoptée d’origine chinoise, un rôle de tuteur, d’ami, de confident.


La science-fiction est un genre ultra visité depuis des dizaines années mais rares sont les films sur l'intelligence artificielle qui visent juste. La Ai de Spielberg était en partie gâché par les bons sentiments du réalisateur et I Robot d'Alex Proyas d'après Azimov, virait trop vite dans le film d'action. Ex Machina d'Alex Garland avait suscité l'intérêt il y a quelques années et Spike Jonze avait livré le chef d'oeuvre HER.


Évidemment il y a LE canon de la SF qu'est Blade Runner et sa suite Blade Runner 2049. Et en série on peut citer notamment Real Humans.


Avec cette proposition l'artiste Kogonoda opte pour une SF sans effets spéciaux, dans un monde très proche du notre, d'une dizaine d'années, ne montrant que l'intérieur des voitures autonomes plutôt que de dépenser du fric de son budget à montrer des voitures volantes.


Et tout le film est construit sur l'intérieur, celui de cette grande maison d'architecte où vit la famille dans le calme, paisiblement, ou celui de ce musée dont on ne voit jamais l'entrée. On ne voit aucun personnage se déplacer vers un intérieur mais on les voit agir ou réfléchir de façon posée dans un espace clos. Ce choix esthétique est là pour accentuer l'impression de futur plutôt paisible, en sécurité ainsi que la place familiale donnée au robot. Puis progressivement le personnage de Colin Farrell enquête sur le pourquoi de la panne de son robot et au fur et à mesure qu'il découvre qu'il avait des sentiments, on va le voir sortir à l'extérieure en pleine nature.


 Cà peut sembler bête et naïf écrit comme cela mais cette mise en scène accompagne la révélation des personnages.


Le fait de montrer cet être comme un "défunt" dont on veut faire le deuil et découvrir le passé caché, faire un travail de mémoire est une idée absolument géniale.


Elle permet de traiter de l'éthique que l'on devra avoir vis à vis de ces êtres que crééra l'homme à n'en pas douter et qui développeront probablement quelquechose de différent de nos sentiments mais dont on ne maitrisera probablement pas la profondeur. C'est par le rapport à autrui et en occurrence à ce robot que les personnages découvrent leur propre attachement et ce qui finalement les liait davantage à cet être synthétique.


After Yang est ce genre de film très calme qui vous cueille par les sentiments et vous fait monter les lames à l’œil avec une approche pourtant sans artifice, sans mélo lourdingue mais juste par construction.


En fait Kogonada réalise son film comme un peintre ajoute de petites touches de peinture à son tableau jusqu'à ce qu'il a dans sa tête se révèle sur la toile.


Le résultat et magnifique de simplicité et d'efficacité. Les concepts déjà vus et revus en science-fiction apparaissent comme neufs et d'une grande finesse.


La sérénité qui se dégage de ce petit bijou de science fiction est assez désarmante de tendresse et de poésie.


N°03 ex aequo - Trois mille ans à t'attendre

De: George Miller


Forcément, un film de George Miller, réalisateur des Mad Max est ultra attendu d'autant plus qu'avec son Mad Max Fury Road en 2015, il a calmé tout le monde avec un chef d'oeuvre de SF d'une beauté confondante et d'une mise en scène aussi décoiffante que brillante, faisant renaitre son héros iconique comme on ne l’attendait pas du tout.


Mais avant d'en tourner un prequel sur le personnage de Furiosa, qui sortira en 2024 et qu'il a commencé à tourner, le réalisateur de 77 ans nous livre un autre bijou que personne n'attendait.

Les films de fantasy qui parlent d'imaginaire, de comment raconter des histoires, comment faire rêver sont au final pas si fréquents que cela. Si on met de côté les films de super-héros, les dystopies, les space opéra, on se retrouve avec peu de réalisateurs qui abordent ces sujets. On pense évidemment à Tim Burton, Caro et Jeunet ou Guillermo Del Toro pour leur talent visuel et les mondes qu'ils sont capables de créer. Terry Gilliam est lui le maitre incontesté des univers fous bercés de rêves folie et si Brazil et L'armée des 12 singes sont des dystopies très axées sur le cauchemar, Bandits bandits, Les aventures du Baron de Munchausen, Fisher King et même Las Vegas Parano parlent de l'importance de se créer des univers, de raconter des histoire et de pourquoi on les raconte. Le summum fut L'imaginarium du Docteur Parnassus dont le thème était précisément la force des histoires pour lutter contre l'adversité du monde réel et évidemment L'homme qui tua Don Quichotte qui résume à lui seul l'ensemble de ces thématiques qui ont traversé l’œuvre de ce grand maitre, mon réalisateur préféré car j'aime, j'adore m'évader et me raconter des histoires pour romancer le réel et rendre ce dernier plus supportable.


C'est exactement ce que fait George Miller dans "3000 ans à t'attendre" en érudit des contes et légendes en donnant beaucoup de lui-même dans le rôle interprété par l'une des plus grandes actrices au monde, Tilda Swinton. Elle joue une professeur de narratologie qui vit seule et vit très bien car son imaginaire est foisonnant et elle connait tout du processus d'écriture et de déroulement d'une histoire pour raconter et emporter le public. Et pour que son film devienne méta et forme une boucle ludique, il lui fait rencontrer un génie joué par un Idris Elba qui trouve enfin un rôle à la hauteur de son talent. Les deux vont beaucoup échanger et parler dans une chambre d'hôtel car elle ne souhaite pas réaliser de vœux, elle est bien comme cela.


Et c'est plus un exercice psychiatrique sur le Djin, le génie qui va se réaliser, ce dernier racontant son histoire et son passé. On pense immédiatement à la beauté de certains films de Gilliam (Munchausen) ou au magnifique The Fall de Tarsem Singh. Les visuels sont magnifiques, inventifs et vous feront vous évader alors même que vous ne vous accrochez pas à ces personnages très vite dépeints psychologiquement et uniquement au conteur qu'est le Djin. Tout le talent de George Miller dans sa mise en scène de nouveau brillante et diverse, marquée de ruptures et de trouvailles à tout instant, c'est justement de vous emporter d'histoire en histoire et de vous immerger dans ce flot de rêves sans vous perdre et en y aoutant des clins d’œils et doses d'humour qui vont aboutir sur la dernière demi heure en apothéose.


Car le film n'est pas qu'un beau livre d’images et s'avère extrêmement doux et émouvant sur sa conclusion, à l'exact opposé de la furie destructrice des Mad Max. On y voit la rencontre de deux solitudes et c'est d'une universalité qui fait décoller le film très très haut.


Il est extrêmement rare de voir un film sur l'imaginaire aussi brillant, aussi passionnant, dévaler sur nos écrans. C'est un énorme MERCI que je donne à George Miller pour ce conte philosophique qui m'a fait rêver, sourire et qui m'a ému par son romantisme classe et adulte.


Autant de talent et d'intelligence concentrés durant ces deux heures comme ce Djin qui tient dans une petite fiole. Un énorme coup de cœur que ce "3000 ans à t'attendre" qui s'avère être l'un des plus beaux films de l'année.



N°03 ex aequo : Un monde

De: Laura Wandel


Ce premier film est une réussite totale. Réussir à parler du harcèlement scolaire de façon aussi vibrante est un tour de force qui se repose sur ses jeunes acteurs incroyables, Maya Vanderbeque et Günter Duret mais aussi sur une mise en scène d'une intelligence remarquable.


En se mettant à hauteur d'enfant avec les adultes et les enfants harceleurs/bourreaux quasi hors cadre, la réalisatrice nous immerge directement dans la solitude que ressent l'enfant victime ou sa sœur de par l'isolement ressenti. Car au-delà d'être rejeté du groupe d'enfants et mis au ban, on voit toute la difficulté de la victime à parler aux adultes, à exprimer la douleur de peur d'être encore plus rejeté ou encore plus maltraité par les bourreaux. La réalisatrice montre très bien les mécanismes de mini société à l'intérieur de l'école qui s'installent et rend son sujet universel en parlant du fait que dès l'enfance, on apprend la dureté de la vie en société et la réalité de l'existence du mal à l'état le plus sauvage. On voit aussi l'aveuglement des adultes du corps enseignant qui ont tellement de sujets à traiter qu'ils préfèrent regarder ailleurs car n'arrivent pas à gérer un enfant qui ne se défend pas.


J'ai moi-même été victime de harcèlement scolaire en sixième et cinquième soit un peu plus tard en âge que l'âge des enfants dans le film. J'ai vécu un enfer durant deux ans d'humiliation permanente, étant tête de turcs de trois ou quatre connards qui avaient besoin de se défouler et de s'unifier contre plus faible. J'étais "différent" car plus sensible, plus rêveur que les autres. J'en ai pleuré et souffert à tel point que ma personnalité en été fortement imprégnée.


En adulte de 47ans je vis les petites injustices de la vie avec plus de difficultés car elles renvoient directement à ces blessures-là. Difficile d'avoir confiance en soit après celà, même 34 ans après. Et c'est rare voir inexistant qu'un film aborde ce sujet. Les enfants ne sont pas mignons. Ce sont entre eux potentiellement des monstres sans aucune retenue car ils n'ont aucune morale à cet âge. Parfois çà dure beaucoup plus longtemps.


J'ai vu toute la noirceur du monde dans les yeux de ces enfants tortionnaires et je ne peux qu'être extrêmement touché par ce film sensible d'une grande humanité qui vous prend aux tripes par sa justesse et sa simplicité.


Pour ma part j'ai mis fin au cauchemar par la violence, à coup de règle en fer sur les doigts d'un de mes tortionnaires, qui pissait le sang, le reste de la classe se mettant de mon côté. Cà aussi ceci m'a forgé en mode viking quand on m'emmerde ou me veux du mal, je frappe, symboliquement parlant. Je ne me démonte jamais pour cette raison, pour le petit bout tout gentil que j'étais et qui s'est fait détruire de cette situation.


Mais c'est triste sur la nature humaine, la nature sauvage avant d'avoir des lignes directrices, une éducation, et dans ce Nomad land d'absence de morale qu'est l'enfance, les adultes ont le devoir de surveiller, d'écouter leurs enfants dans leurs non-dits car toutes les histoires ne finissent pas bien comme la mienne.


"Un monde" est un film nécessaire, court (1h10) et brillant par son impact.



N°02 ex aequo : As bestas

De: Rodrigo Sorogoyen


Le pitch : Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…


Curieux film que ce As Bestas qu'on n'avait pas vu venir. Soyons clairs dès le départ, c'est l'un des très bons films de 2022 à voir absolument.


Marina Foïs et Denis Ménochet sont brillants et prouvent à quel point le cinéma français a de la chance de les avoir, même si ils jouent dans un film espagnol en espagnol !


Rodrigo Sorogoyen avait marqué les esprits avec El Reino, film sur un politicien corrompu lâché par ses pairs et embarqué dans un cercle destructeur sans fin. C'est un nouveau coup de maitre que ce "As bestas" qui traite d'un sujet rare, le racisme des autochtones d'une campagne reculée, pétrie d'identitarisme, envers des "étrangers".


Le réalisateur utilise son histoire pour en fait tourner deux films en un.


Le premier s'intéresse à ce couple confronté à la violence verbale de voisins qui souhaitent qu'ils partent et les harcèlent au quotidien dans une spirale dont on ne connait pas ni la fin ni la forme qu'elle prendra. Face à cet état de fait qu'ils subissent les deux français venus refaire leur seconde partie de vie restent forts, unis entre eux et ne veulent pas abandonner leur rêve, celui de devenir agriculteurs ainsi que les économies d'une vie qu'ils y ont investi. Ce premier film a des accents de thriller et l'angoisse est portée à son comble dans plusieurs scènes choc vraiment marquantes. L'aspect homme fort et brut de Denis Ménochet  est alors essentiel face à cette adversité injuste qu'on ne comprend pas.


Et puis le réalisateur fait s'exprimer cette fratrie d'espagnols joués par les très bons Luis Zahera et Diego Anido qu'on trouve indéfendables et rustres et explique la raison de leur haine, de leur jalousie pour ceux qui ont eu une éducation, une chance de réussir alors qu'eux sont restés miséreux. Là le film devient passionnant car sans excuser la stupidité des individus, il l'explique et rend palpable la profondeur de leur ressenti, et la séparation entre les victimes des déserts ruraux et les gagnants de la mondialisation habitant les villes.


Le second film lui vire à l'enquête et à la foi en un projet de vie envers et contre tous et à la soif que la vie reprenne un lit juste.


La virtuosité du film secoue, étonne par sa puissance. Un grand film.



N°02 ex aequo : L'innocent


Quelle excellente surprise que ce 4ème film réalisé par l’acteur Louis Garrel.


Le scénario à rebondissements s’avère burlesque et gentiment perché avec une tendresse folle pour ses personnages qui ont chacun vécu une brisure de vue mais qui restent incroyablement vivants et positifs.


C’est toute la force de « L’innocent » que de surfer entre comédie rocambolesque et tendresse romanesque et d’aller de l’une à l’autre avec une grande virtuosité.


Les acteurs sont excellents de Louis Garrel en jeune homme triste et inquiet qui déclenche le comique de situation sans le vouloir, Roschdy Zem toujours impeccable et ultra crédible en ex taulard au grand cœur à Anouk Grinberg qu’on est tellement heureux de revoir dans un 1er rôle. Une si longue absence pour l’ex de Bertrand Blier qui a manqué au cinéma français de part sa sensibilité, son visage juvénile et taquin et sa petite voix chevrotante. On l’a revue tout récemment dans « La nuit du 12 » mais là elle explose de légèreté et de blessures mêlées, un très beau rôle.

Et puis « L’innocent » est irrésistiblement drôle par le personnage farfelu qu’on aime immédiatement et qui est joué par Noémie Merlant. Connue pour des rôles très divers dans « Portrait de la jeune fille en feu » ou « Les Olympiades », elle explose dans le registre comique et fait éclater de rire la salle à plusieurs reprises de par son personnage fantasque et naturel avant de nous cueillir par l’émotion.


Louis Garrel a une direction d’acteurs vraiment très réussie qui alliée au rythme du film de casse, à l’aspect comique assumé qui n’oublie pas de nous émouvoir, nous livre l’un des meilleurs films de l’année sans crier garde.


Le cinéma français n’est peut-être pas en forme coté box office mais niveau auteurs de talents je suis très positif en sortant de films comme celui ci.


« L’innocent » est un film enlevé, très drôle, lumineux et qui donne du baume au cœur de part l’humanité qui s’en dégage avec une simplicité désarmante.


Le film fait des étincelles par son énergie, en faisant rire et en analysant avec subtilité le rapport filial et le deuil.


Un vrai tour de force.


N°1 - Une jeune fille qui va bien

De: Sandrine Kiberlain


Sandrine Kiberlain, l'actrice, populaire et très douée, a attendu 53 ans pour réaliser son premier film. Elle l'a travaillé longtemps, peaufiné pour qu'il atteigne ce niveau très impressionnant. Car "Une jeune fille qui va bien" est une excellente surprise. On y suit Irène, jeune fille juive, qui vit l’élan de ses 19 ans à Paris, l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre… Irène veut devenir actrice et ses journées s’enchaînent dans l’insouciance de sa jeunesse.


Le parti pris de Sandrine Kiberlain est déchirant car plutôt que de jouer sur le pathos, elle appuie sur un humanisme évident, le regard joyeux sur une jeune femme pour qui la vie reste à être découverte, naïve et fraiche, désarmante de beauté et de vie. On comprend vite que çà ne peut pas bien évoluer, que le nazisme arrive à grand pas avec la montée des mesures anti juifs, leur ostracisation par petites touches. Elle y dénonce sans lourdeur comment une société accepte l'intolérable au nom de la tranquillité quotidienne, de la volonté que rien ne bouge. Alors pour ne pas être dérangé on accepte que les propos violents, excluants montent dans le débat public et deviennent la norme. Les individus sont alors aveugles et l'es extrêmes ont le libre champs. Ceci ne vous rappelle rien ?


Évidemment le film fait écho à la France d'aujourd'hui qui ne descend plus dans la rue quand l'extrême droite arrive au second tour et qui ne manifeste plus quand un ex chroniqueur d'ultra droite (et tous les autres) squattent le champs médiatique et fédère autour de lui autant de potentiels électeurs par des propos d'une violence inouïe, faisant de l'exclusion le bouc émissaire idéal et çà ne choque plus autant qu'avant parcequ'on s'y est habitués, à force d'entendre cette merde sur les différents médias au même titre que le reste, au nom de la liberté d'opinion et d'expression...


Rebecca Marder, André Marcon, Anthony Bajon, Françoise Widhoff sont tous merveilleux de nuances, de simplicité, écrasés par la tournure de l'histoire, juste avant que le sol s'effondre sous eux, qui n'ont rien fait, juste tenté de vivre heureux avec leurs moyens. Le film est glaçant mais curieusement pas du tout durant son déroulé.


En effet Rebecca Marder a cette lumière en elle qui fascine le spectateur et nous fait l'aimer immédiatement. Son coté taquin voire lutin nous fait chavirer en même temps qu'on prends conscience toujours avec un décalage d’avance que la situation va s'empirer. Mais elle et sa famille espèrent car l'espoir est parfois la seule chose à quoi se raccrocher. Non, çà ne peut pas arriver. Pas en France, pas ici.


La force inouïe du film est que Sandrine Kiberlain choisit de parler de vie, de faire un hymne à la vie et non un gros film pathos de plus. Elle choisit le beau, la lumière de ses personnages pour raconter en creux l’horreur qui va leur tomber dessus. Mais elle ne raconte pas l’horreur, on la connait déjà. Elle est imprégnée dans notre ADN, enfin sauf des nazillons contestant l'histoire.

Pas besoin de cela pour être ému. Mais plutôt de l'avant, de cette belle vie heureuse qui les attendait et qui n'a pas eu lieu parceque la haine ne trouvait aucune limite pour continuer à s’immiscer dans les cerveaux. Par de petites scènes, elle montre aussi comment les français moyens, non juifs, n'ont rien fait et ont laissé faire, pas forcément par détestation des juifs mais parcequ'ils ne se sentaient pas concernés.


Choisir les couleurs de l'été et les sourires, la vie pour raconter l’inverse qui va arriver, c'est l'idée géniale de Sandrine Kiberlain.


En tant que réalisatrice elle trouve de nombreuses trouvailles et situations qui correspondent totalement au personnage d'elle qu'on connait, mêlant le fantasque à des situations du quotidien.

« Une jeune fille qui va bien » allie légèreté et gravité dans un film très poignant, qui reste en tête longtemps de par son côté solaire et la force de son message.


Un film d'une grande originalité porté par des interprètes merveilleux.



2023


N°13 - Le bleu du Caftan

De : Maryam Touzani


Le pitch : Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.


La réalisatrice marocaine Maryam Touzani signe un très beau film avec « Le bleu du Caftan ». Alors qu’on aurait pu craindre un énième film sur un amour homosexuel proscrit, qui aurait pu tomber dans certains clichés et une redite, la realisatrice opte pour un point de vue différent. De la même manière que cet homme qui ne désire pas les femmes est marié à une épouse qui se doute que quelque chose n’est pas normal dans leur relation, le film préfére montrer de façon feutrée qu’expliquer. La pudeur imprègne toute la mise en scène du film par exemple en ne filmant aucune scène de sexe sauf une, qui montre la douleur de cet homme. Les gros plans qui filment la finesse des tissus et le grain des peaux apportent beaucoup à cette intimité dans laquelle beaucoup d’amour règne malgré tout.

Lubna Azabal est toute aussi impressionnante que dans Incendies de Denis Villeneuve. En femme forte qui lutte et sait au fond d’elle la vérité, elle est sublime. Le film est très émouvant sur sa dernière partie et vous laissera un souvenir fort. Un très beau film sur un amour conjugal platonique, sur la délicatesse dans un couple par respect et par sentiments. Un film très élégant.



N°12 - Vincent doit mourir


De Stephan Castang


Du jour au lendemain, Vincent est agressé à plusieurs reprises et sans raison par des gens qui tentent de le tuer. Son existence d’homme sans histoires en est bouleversée et, quand le phénomène s’amplifie, il n’a d’autre choix que de fuir et de changer son mode de vie.


Karim Leklou est brillant de bout en bout, secondé par Vimala Pons, actrice au charme incroyable, qui a du chien et transperce l’écran. Surtout, « Vincent doit mourir » est une nouvelle incursion brillante du cinéma français dans le cinema de genre après Dans la brûme, La nuit a dévoré le monde. La Nuée, Teddy, ou tout dernièrement Le règne animal.


Sur un concept au début limite absurde, le film verse dans le thriller efficace, en mode post apocalyptique français qui raisonne avec à la brutalité de la société depuis plusieurs années, des excès de certains gilets jaunes aux incivilités brutales ou attentats réguliers sur des civils. Le film s’inspire de ce climax pour rebondir sur un film redoutable et au suspens hyper crédible.


Une excellente surprise de cette fin d’année.


N°11 - Tàr


De Todd Field


Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle.


Seize ans après Little Children, Todd Field revient avec ce portrait d’une chef d’orchestre très célèbre dont la vie va basculer lorsque ses excès la rattrapent.


Cate Blanchett est prodigieuse de bout en bout et pourrait remporter son troisième Oscar de meilleure actrice pour ce rôle de femme brillante et dure, qui a perdu le sens des valeurs.


Le film nous parle de cancel culture, du wokisme et de #Metoo mais dans un milieu auquel on ne s’attend pas, celui de l’Opéra classique.


Passées vingt premières minutes un peu lentes où il faut faire l’effort d’entrer, le film vous embarque par son personnage éminemment antipathique mais auquel on passe beaucoup de choses. Car Cate Blanchett incarne un maestro tellement adulé et respecté qu’elle peut tout se permettre, d’imposer à un fidèle collaborateur de tout abandonner pour changer de pays, d’imposer de façon brutale et dictatoriale à une autre de laisser sa place à une plus jeune qu’elle convoite comme maitresse. Ainsi le film se construit par une accumulation de petites décisions d’une froideur sèche, qui se justifient souvent par la rigueur du métier mais qui dérangent par l'absence d'empathie. C’est que le réalisateur aborde non seulement l’ascétisme de ces métiers d’artistes qui sacrifient beaucoup pour leur art mais il y insère aussi le féodalisme primaire lié à toute personne de pouvoir qui abuse de ce dernier.


Le plus cynique est qu’on lui pardonne ces touches de cruauté car le personnage est brillant...alors que bien entendu, ce n'est pas moralement acceptable mais l'humain réagit souvent comme ceci et pardonne plus facilement au détenteur du pouvoir lorsqu'il est excellent dans son exercice. Peu à peu la chute nous rappelle la fragilité de tout être qui pense être au dessus à l’heure des réseaux sociaux où le faux pas peut prendre une ampleur et une rapidité incroyable.


Prendre une femme au sein d’un scandale de harcèlement est une excellente idée car il bouscule la vision que tout un chacun a depuis quelques années et casse les a priori avec pertinence. L’abus de pouvoir est décortiqué avec finesse dans un milieu par définition délicat et où toute fausse note ou bruit non maîtrisé déclenche une cacophonie incontrôlable.


Tàr  est d’une grande maîtrise et surprend, porté par une thématique d’actualité, une actrice au sommet de son art et une réflexion immersive sur le rythme et l’affolement d’un monstre de maîtrise de ce dernier lorsqu’il le perd.


N°10 - La Voie Royale

De Frédéric Mermoud

Sophie est une lycéenne brillante. Encouragée par son professeur de mathématiques, elle quitte la ferme familiale pour suivre une classe préparatoire scientifique. Au fil de rencontres, de succès et d’échecs, face à une compétition acharnée, Sophie réalise que son rêve, intégrer Polytechnique, représente plus qu’un concours... un vrai défi d’ascension sociale.


Suzanne Jouannet est une grande révélation dans ce film à la fois passionnant par sa thématique et surprenant par son angle d’approche. Le reste du casting est également impeccable.


Le réalisateur a la grande intelligence d’être immersif en cinq minutes d’abord en expliquant en quelques scènes brèves d’où vient cette jeune femme brillante et comment elle est repérée. Elle vient d’un milieu paysant et ce sera clairement une exception dans sa classe prépa. On se doute que ce sera l’un des thèmes du film et effectivement cette ligne de scénario sera exploitée par petites touches, au bon moment, portant un regard non misérabiliste sur le monde agricole, posant les difficultés d’une petite exploitation, les difficultés de venir de ce milieu et de gravir des marches dans un autre monde jusqu’à deux scènes miroirs excellentes.


L’une où l’héroïne est confrontée aux clichés de bourgeois sur son milieu d’origine et une idéaologie bien-pensante mais horriblement condescendante sur la notion d’intégration et d’ascenseur social. L’autre avec son père agriculteur qui se confie sur des choix qu’il a fait plus jeune et qui l’ont ramené aux racines agricoles de la famille, expliquant l’importance de la volonté pour défoncer des barrières sociales.


L’essentiel du film détaille le combat quotidien de ces jeunes gens cherchant à devenir l’élite en bossant comme des fous, certains ayant des facilités et les ayant parfois car ils ont baigné dans un cadre aisé, sollicitant en permanence la curiosité et donnant accès à la culture.


Ceci pourrait être un discours cliché mais ici ceci est présenté avec nuance, et un regard détaché et pas du tout revendicatif. C’est juste un constat qui ne fait pas pour autant des jeunes bourgeois imbuvables pour qui tout a été facilité. Là aussi La Voie Royale surprend par sa nuance, montrant des jeunes qui sont certes parfois durs entre eux mais se serrent les coudes aussi, ont de l’affect et une forme de solidarité, très loin des caricatures sur une ultra concurrence malsaine.


La Voie Royale est donc une excellente surprise et l’un des musts 2023 par sa finesse et sa conclusion à la fois positive et sociale. Un grand film.



N°9- Le Procès Goldman


De Cédric Kahn



En avril 1976, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.



Cédric Kahn signe un grand film de procès, à la facture très classique, plus classique que la Palme d'Or "Anatomie d'une chute" mais avec un reflet politique d'une époque, celle des années 70, assez forte en soit pour faire oublier le classicisme.


Car c'est un procès très politique à une époque où l’extrême gauche radicale et violente a commis des attentats et se trouve soutenue au moins en partie par une intelligence parisienne avec des artistes de renom comme Simone Signoret.


Le film est très intéressant puisque le grand demi-frère de Jean-Jacques Goldman, le chanteur, était un personnage haut en couleur, clamant tant ses idéaux révolutionnaires que ses origines juives polonaises. Ce qui surprend c'est que derrière la violence verbale et l'énervement du personnage, qu'on devine avoir continuellement fait des sorties de pistes de par son caractère trempé, il y a aussi un homme qui a des convictions et une forme de morale. Il explicite très bien qu'il met la barrière entre le bien et le mal à un autre niveau que le français moyen puisqu'il reconnait ses braquages mais qu'attenter à la vie d'innocent est impossible pour lui. impossible de part l'éducation qu'il a reçue d'un père héros de la résistance et des principes, des valeurs auxquels il tient. Et c'est tout l’intérêt du film et sa dynamique passionnante que de voir un emballement de la machine judiciaire et de l'accusation, de la police pour avoir trouvé un coupable idéal qui coche toutes les cases mais dont les preuves de la culpabilité sont légères.


Le film s'intéresse alors au racisme qui déjà à l'époque irriguait la société française mais aussi à la difficulté de témoigner lorsque l'on est lancé dans la machine et que la mémoire comme l'auto-persuasion et le contexte de l'interrogatoire peuvent influencer les témoins, sans même qu'il y ait la moindre idée de complot de derrière.


Un film d'une rigueur et d'une droiture d'une grande maitrise.


N°8 - Mars Express


De Jérémie Périn



En l’an 2200, Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera son partenaire androïde sont embauchés par un riche homme d’affaires afin de capturer sur Terre une célèbre hackeuse.


De retour sur Mars, une nouvelle affaire va les conduire à s’aventurer dans les entrailles de Noctis, la capitale martienne, à la recherche de Jun Chow, une étudiante en cybernétique disparue. Noctis est leur ville, une utopie libertarienne rendue possible par les progrès en robotique, emblème d’un futur tourné vers les étoiles.


Visuellement, Mars Express est un succès retentissant et donne après de nombreuses années de vache maigre, un nouveau bijou de l'animation française. Certes nos studios d'animation travaillent pour de grands studios d'animation dont américains mais depuis quand n'avions nous pas découvert un film totalement indépendant et surtout totalement réservé aux adultes. Car même si le film peut être vu par des ados, ses thématiques sont complexes.


Via une enquête sombre en mode course poursuite, le film est à la fois un divertissement qui vous tient en haleine et qui traite de sujets d’éthique quant à l'intelligence artificielle avec un regard légèrement différent et de nombreuses trouvailles visuelles. Très référencé par Blade Runner, Ghost in the shell et autres classiques de la SF, le film sait trouver son propre chemin et sa propre identité rapidement. Et il a sacrément du chien ce Mars Express.


Décidément le cinéma de genre français n'a jamais été aussi brillant, après La Nuée, Teddy, ou récemment Vincent doit mourir et Le règne animal, voici un film cyberpunk d'animation français tout simplement excellent. La place des robots dans le monde de demain est traitée avec une intelligence rare.


N°7- Killers of the flower Moon


De Martin Scorsese


Enfin le maitre Scorsese réunit ses deux acteurs fétiches, Léonardo DiCaprio et Robert DeNiro, excellents l’un comme l’autre dans cette histoire méconnue et passionnante de l’effacement d’une population par les yankees blancs.


Killers of the flower Moon a contre lui sa durée de 3h26 qui en rebutera plus d’un mais il a pour lui ce scénario impeccable et cette maestria de mise en scène qui nous montre l’un des plus grands réalisateurs de tous les temps rétablir l’honneur et le souvenir de ces indiens spoliés jusqu’au bout par la violence capitaliste issue du contrôle du pétrole.


Une ironie alors que ces derniers avaient été asservis après avoir été massacrés par les colons puis les cow-boys. Le film prend son temps pour raconter la fourberie du personnage de DeNiro, vieillard en apparence bon et attentionné pour cette population mais qui n'est en réalité qu'un parrain mafieux liquidant tous les individus sur le chemin de sa cupidité, sans aucune empathie alors qu'il en joue. En ce sens l'acteur des Affranchis et Casino renoue avec ses rôles les plus marquants, Scorsese orchestrant la rencontre du western avec le film de mafieux. Sa mise en scène vive et acérée comme à l'accoutumée a certes quelque chose de classique mais c'est parceque Martin Scorsese est un pan du cinéma à lui tout seul. Son style et son influence sont tels qu'effectivement, on n'est plus surpris par le bonhomme.


Léo DiCaprio campe quant à lui un personnage faible et manipulable, pas très intelligent mais qui ressent des sentiments pour la femme qu'il détrousse et à qui il a fait des enfants. Il est juste d'une bassesse humaine et d'une absence totale de morale qu'il croit qu'on lui pardonnera toujours tout et que surtout, comme tous ses compatriotes blancs, il est supérieur racialement aux hommes et femmes à la peau rouge. Scorsese saisit si parfaitement ce racisme ancré si profondément que les blancs se doivent de jouer la comédie pour récolter les dollars des peaux rouges dont les terres sont irriguées de pétrole. C'est pessimiste et glaçant sur la nature humaine mais c'est une histoire vraie !


L’Histoire américaine est vue sous un angle peu flatteur, celui des génocidaires devenus petites frappes criminelles sans aucun recul ni conscience des atrocités qu'ils commettent. A 80 ans, Martin Scorsese offre son film le plus engagé et enfin une image à tous ces êtres effacés de l'histoire. Sa fresque est grandiose et magistrale. Non Martin, vous ne pouvez pas réaliser encore que un ou deux films.


N°6- Spider-Man : Across The Spider-Verse

De : Joaquim Dos Santos, Kemp Powers, Justin Thompson


Oscar du meilleur film d'animation en 2019, "Spider-Man : New Generation" a été probablement la meilleur adaptation de l'homme araignée au cinéma avec une richesse visuelle, scénaristique et un amour pour le personnage qui a conquis la presse et le public.


Sony Pictures sort donc la suite Spider-Man : Across The Spider-Verse qui est ce sera une première partie puisque Spider-Man : Beyond The Spider-Verse sortira en 2024, pile un an après.


On retrouve donc le spiderman ado black Miles Morales et toutes ses versions différentes issues de mondes parallèles avec du plus par rapport au premier. Oui c'est difficile à croire mais cette suite est encore plus réussie que le 1er volume. On y retrouvez la virtuosité graphique qui mélange plein de styles du comic au manga et c'est toujours aussi bluffant.


C'est aussi très drôle et le multiverse se suit sans aucun problème et ce n'est pas gavant ce qui aurait pu être le risque à force de tirer sur la corde. Il y a encore plus de versions de Spider man mais les réalisateurs ont une excellente idée. Ils font pause assez régulièrement dans le long métrage pour laisser la place à l'émotion. Et çà marche très très bien. Le fait de développer le personnage de Gwen, spider woman permet de féminiser le propos tout en créant des liens forts avec le héros.


Plusieurs personnages sont attachants comme la version quarantenaire de Peter Parker ou évidemment les parents de Miles et le père de Gwen qui permettent au long métrage de décoller émotionnellement avec des superbes scènes, très simples, sur l'amour d'un père ou d'une mère pour son enfant et vice versa. Très beau. Et on ne s'attendait pas à ce que le fil aille sur ces terrains là.


Le film est complètement méta jusqu'à intégrer des images live action des films Spiderman et c'est fait avec une créativité et une intelligence folle. C'est tellement plaisant de voir un spectacle hyper respectueux d'un mythe et de son public et mené par des artistes tellement talentueux, des graphistes aux scénaristes en passant part les metteurs en scène. Le résultat est vraiment très beau, drôle, authentique et émouvant.


Un très très grand film d'animation qui donne espoir dans l'industrie hollywoodienne. Car le public est présent, le film cartonne et fait trois fois plus d'entrées que le précédant et donc le public valide une œuvre de qualité et çà c'est très très important pour le futur. La créativité et l'inventivité stylistique sont la marque de fabrique de cette nouvelle franchise.


Un chef d’œuvre de l'animation.



N°5- Disco Boy


De Giacomo Abbruzzese



Prêt à tout pour s’enfuir de Biélorussie, Aleksei rejoint Paris et s’engage dans la Légion étrangère. Il est envoyé au combat dans le Delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village.


Disco boy est un premier film surprenant par la forme, le fond, rythmée par la géniale bande-son de Vitalic.


Au début on comprend vite que le personnage principal parlera peu et c’est tant mieux.


Giacomo Abbruzzese a choisi deux acteurs aux visages d’une cinégénie incroyable. Franz Rogowski, vu dans Great Freedom et Freaks out, est fascinant filmé en gros plan. Ce regard et ce visage sont utilisés avec un talent incroyable, exprimant tant la page blanche d’un homme qui a tout quitté pour oublier son passé et se mettre au service d’une France qui lui ouvrira de nouvelles portes, que celui d’un homme mystérieux qui va se transformer.


La mise en scène disruptive et créative ainsi que la bande son font le reste. De l’autre côté, il y a ces rebels duNigeria menés par l’acteur Morr N’Diaye, iconisé de façon héroïque, d’une masculinité brute, en pleine forêt. Là le message de rébellion contre les entreprises étrangères dont françaises pillant et polluant le sol, laisse place à un mysticisme envoûtant. Le film choisit de ne pas montrer la violence de ces résistants qui défendent leur terre ou de la légion étrangère qui exécute un sale travail. Le réalisateur préfère tout suggérer avec des idées géniales de mise en scène.

Giacomo Abbruzzese opte pour une histoire hallucinée qui parle de fantômes, de réincarnation avec une poésie et une facilité déconcertante. On y parle de guerre, de personnages déracinés par d’autres qui eux ont choisi de ne plus en avoir. Et ceci est fait dans une déclaration artistique exaltée et totale, loin des normes habituelles, sans surfer sur une hype quelconque, avec une vraie singularité.


Visuellement et d'un point de vue sonore, c’est une expérience et c’est énorme d’envouter par un

mixte de danse, de son, de thématiques et d’image sans verser dans une pause arty et élitiste.

La grâce qui se dégage de l’ensemble mérite que vous couriez découvrir l’une des probables pépites de l’année.


N°4 - The Killer


De David Fincher


Après un désastre évité de justesse, un tueur se bat contre ses employeurs et lui-même, dans une mission punitive à travers le monde qui n'a soi-disant rien de personnel.


The Killer est du pur Fincher, précis, clinique, obsessionnel à l’image de son personnage principal qui raconte en voix off sa méthode pour exercer son métier, tueur à gage, sans fautes. Le manque d’empathie du personnage pourtant laissé à la dérive suite à un loupé de contrat, aurait pu rendre le film froid et distant. Mais le grand maître qu’est David Fincher n’oublie jamais l’humour ou le jeu qu’il aime entretenir avec son public. Certes le film a tout pour être un film d’action tendu mais il choisit de déjouer en permanence les attentes du public, avec une longue introduction parisienne où il fait toucher du doigts la patience répétitive et l’ennui du personnage, tout en distillant un regard cynique voire nihiliste qui se diffusera tout au cours du long métrage rappelant ma noirceur existentielle de Seven et Fight Club. Puis l’action déboule à des moments inattendus, violente et brutale, ultra réaliste et vient faire le job d’un film qu’on pourrait considérer comme mineur dans la filmographie du réalisateur de Seven, Fight club, Zodiac, The Social Network, Gone Girl ou coté séries House of cards et Mindhunter. Or il n’en est rien, le film continuant à rester en tête par ses images fortes, son climax très particulier et évidemment le jeu excellent d’un Michael Fassbender dans l’un de ses très bons rôles, lui qui se fait rare depuis cinq ans.


Fincher montre aussi un monde ultra connecté qui jette ses déchets et zappe ou scroll sur la séquence de vie suivante sans s’attacher véritablement au passé et sans prendre le temps de l’introspection. Son personnage agit ainsi de façon mécanique mais n’a pas véritablement de sens à son existence. Comme si le contrôle de tout pouvait donner du sens là où il créé souvent une forme de fragilisation des fondations du quotidien dès lors qu’un grain de sable vient perturber la machine. Ce regard froid sur une humanité qui l’est tout autant ne manque pas du cynisme légendaire que l’on connaît de ce grand maitre des 30 dernières années de cinéma qu’est David Fincher.


La grande classe de mise en scène de David Fincher éclate à chaque plan dans un film à la fois radical sur un tueur méthodique ultra maîtrisé comme Fincher a la réputation de l’être. Ce dernier va dérayer et tenter d’arrêter un système de destruction intrinsèquement programmé comme tel en agissant lui même avec une rigueur flippante et froide pour tout « nettoyer » avec perfection. Évidemment on pense au maitre qu’est Fincher et a sa réputation de tout préparer comme un métronome avec un souci du détail incroyable qui se traduit dans l’effet que provoque sa mise en scène sur le spectateur. Et c’est juste brillant.



N°3 ex aequo - The Fabelmans


Steven Spielberg s'est pris une veste au box-office avec son remake de West Side Story.Après cette incursion dans la comédie musicale, il opte pour un film très personnel retraçant sa propre enfance.


Malgré des critiques américaines élogieuses (92% de bonnes critiques sur l'agrégateur Rotten tomatoes), le film a fait un four et c'est bien triste.

Car le film est les des meilleurs opus de Spielberg. Là où on peut souvent lui reprocher de la mièvrerie et des bons sentiments qui saccagent un certain nombre de ses œuvres, The Fabelmans fait preuve d'une incroyable justesse et d'une retenue dans les émotions qui décuplent encore plus l'impact du long métrage.


Au début les scènes où on voit comment le petit Steven s'est pris une baffe incroyable pour son premier film vu au ciné puis a tenté de refaire des effets spéciaux de bric et de broc et toujours des films et des films montrés à sa famille puis à l'école, intégrant ses camarades et prenant de plus en plus d'astuces inventées sur le tas...toute cette partie du film est drôle et bercée d'émerveillement. On voit naitre la fibre du cinéaste dès tout petit ainsi que tout son imaginaire. C'est très très réussi et léger comme un film d'aventures à la Spielberg. Distrayant et bien réalisé. La scène où il découvre comment diriger un acteur qui n'en n'est pas un est juste géniale et méta et celle où son grand oncle lui parle de l’égoïsme des artistes sonne comme un aveu de culpabilité de Spielberg pour tout ce qu'il a sacrifié dans sa vie personnelle au service de son art.


Puis le cinéaste se livre sur ses blessures familiales et là il va enchainer des scènes mémorables, d'une simplicité affolante et qui pourtant auront du mal à ne pas vous faire pleurer.

Michelle Williams joue la mère du réalisateur et l'excellent Paul Dano  (Little Miss Sunshine, There Will Be Blood, Prisoners, Twelve Years a Slave, The Batman) son père. On va voir comment le jeune Steven voit se détruire l'amour de ses parents l'un pour l'autre devant lui et il le fait avec un brio qu'on ne lui a pas connu depuis longtemps. Je ne vous raconterai pas ces scènes qui se suivent et marquent par leur finesse incroyable, vue de l’œil du fils et du cinéaste en herbe, il ne pouvait pas rendre un plus bel hommage à ses parents. Évidemment il n'y a aucun jugement d'un fils vers ses parents mais énormément d'amour dans le regard d'un cinéaste majeur de 77 ans, qui n'a plus rien à prouver, et leur lance une grande et belle déclaration d'un adulte qui se remémore cette histoire tragique avec le recul nécessaire. Et c'est tout simplement magnifique.

Spielberg aborde aussi l’antisémitisme crasse et alors qu'il n'a pas sui souvent mis en avant cette thématique, il le fait avec toute l'intelligence et la classe qu'on lui connait.

L'un des très grands films de cette année, entre déclaration d'amour au cinéma, à sa mère et son père et récit initiatique d'un homme qui a su très vite voir plus loin et au dessus de la médiocrité pour faire rêver le plus grands nombre. Un film d'une très grande humilité malgré tout. Un chef d’œuvre.



N°3 ex aequo -"Babylon"

De Damien Chazelle



Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, BABYLON retrace l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites.


Le franco-américain Damien Chazelle est de retour pour ce film somme ultra attendu, après ses excellents "Whiplash", "LalaLand", et "First Man".

Prenant place dans les années 20 pendant la transition du cinéma muet au parlant, Babylon est très différent d'autres très grands films ayant abordé cette période et ce milieu comme The Artist ou Sunset Boulevard de Billy Wilder.


Le film commence à toute allure par une orgie et n'affiche son titre qu'au bout d'une demi-heure après une scène faite de profusion d'excès, de vulgarité, de crade, de sexe, de drogue, d'alcool et de dépravation. Et Chazelle monte tout son film à ce rythme effréné parcouru de scène de bravoure absolument époustouflantes qui vous feront rire, vous étonner et vous émouvoir. 3h10 qui passent à une allure folle et sans ennui. Car le réalisateur assume totalement cet excès dans sa mise en scène ou dans des scènes et ce que font ces artistes d'un âge d'or disparu. C'est plein comme un œuf d'idée géniales qui foisonnent de bruit, de son, de visuels extravaguant. Ceci a déplu aux Etats-Unis à une partie de la presse. Moi j'ai adoré. D'autant que le metteur en scène nous balance une immense déclaration au pouvoir du septième art à nous sortir de nos vies quotidiennes pour nous émerveiller. Et sa mise en scène comme ses décors comme ses acteurs comme le fonds du propos sont extrêmement réussis.


Margot Robbie est étincelante dans ce rôle de jeune femme qui brûle la vie des deux côtés et veut devenir une star Diego Calva, acteur mexicain de 29 ans,inconnu du public mondial, est l'immense révélation du film, il est de nombreuses scènes et crève l’écran dans le rôle de ce jeune mexicain cherchant n'importe quel métier à Hollywood du moment qu'il intègre l'usine à rêves. Les plus beaux moments viennent de lui, de son regard amoureux de la jeune star comme de son regard émerveillé par le faste de la machinerie hollywoodienne ou lorsqu'il s'effraie de ce qu'il va devoir gérer ou réparer. Il est très très bon. Enfin l'excellent Brad Pitt, ajoute un autre rôle marquant à sa carrière impressionnante dans cette star du muet pour qui le passage au parlant va être fatal. Il est à la fois drôle et attachant par ses excès mais aussi très touchant lorsqu'il comprend qu'il perd pied et que la révolution technologique va l'avaler.


Damien Chazelle nous raconte d'ailleurs que cette industrie est plus grande que ses stars et ses différents employés qui ne font que passer mais que la machine se poursuit au fil de l'évolution des technologies tout en apportant le même espoir, la même lumière et les mêmes émotions dans les yeux des spectateurs selon leur époque. Sa scène finale et à ce titre brillante. Il insiste sur l'immortalité que les images apportent à leurs interprètes et se drape d'une nostalgie adulte et consciente sur le temps qui passe.


En parlant avec actualité du passé d'un art tout entier, en parlant de la folie des coulisses aux délires cinégéniques à souhait tout en faisant le lien avec la magie des images et de l'effet sur les spectateurs, Damien Chazelle signe un film monstre qui peut être too much pour certains. Pour ces derniers, le rythme sera trop rapide malgré sa durée, pouvant fatiguer, ou dans la surenchère provocatrice mais pour moi c'est tout le contraire. J'ai été scotché par cette célébration flamboyante de l'impact du septième art tout en parlant de ses arrières cauchemardesques dans sa production. Je comprends que le film divise mais pour moi c'est à cela qu'on reconnait certains chefs d'œuvre. Quand la baffe est crue et violente mais qu'est ce que çà fait du bien !

Magistral.


N°3 ex aequo - Je verrai toujours vos visages

De : Jeanne Henry


Le pitch : Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel. Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l'arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation...


La réalisatrice Jeanne Henry, qui a signé le très réussi Pupille, revient avec un film à la thématique très originale, portée par un scénario simple et efficace et une brochette d'acteurs tous d'une justesse incroyable. On a un immense plaisir à retrouver Elodie Bouchez et sa voix douce et son regard plein d'empathie qu'on n'a pas assez vu ces 15 dernières années. Adèle Exarchopoulos, et Leïla Bekhti sont excellentes et livrent un jeu d'un très haut niveau avec un naturel confondant. On de la chance d'avoir des actrices d'un tel talent en France. Revoir Fred Testot ou Miou Miou au milieu de ce casting hétérogène composé de Gilles Lellouche, Jean-Pierre Darroussin, la solaire Suliane Brahim ou Dali Benssalah, qu'on préfère largement ici avec sa brutalité fragile que dans le tristement raté Athéna.


Le film est grand car il est utile. Ce film là devrait être diffusé très largement pour parler du civisme et de ce que doit être un ciment social dans une démocratie moderne. Il aborde frontalement des sujets qui font le terreau de l'extrême droite mais apporte de l'espoir via ces expérimentations fragiles, qui demandent un engagement volontaire des victimes et d’agresseurs. Le film est passionnant de par l'investissement des bénévoles qui sont croqués avec beaucoup d'intelligence via des acteurs qu'on connait et qui portent en eux des valeurs comme Darroussin.


Il l'est aussi de par l'espoir qu'il fait naitre d'une part d'une réinsertion et d'une prise de conscience de l'impact des actes par les agresseurs, de l'impact du mal auquel ils ne réfléchissent même pas. Et du côté des victimes, c'est l'acceptation et non pas le pardon qui est recherché. Comprendre l'autre et le laisser s'exprimer, dans les deux sens. Une méthode qui permet aux condamnés de faire un pas vers la vie civile en réalisant au delà des peines qu'ils purgent, le fossé et les blessures qu'ils ont créés. La technique leur permlet aussi de prendre conscience qu'une partie de la société veut faciliter leur réinsertion. Et côté victimes c'est ce deuil de la douleur et du trauma qui est recherché en les confrontant à d'autres agresseurs que les leurs, pour d'une part avoir un discours de vérité avec eux et d'autre part tuer les chimères et les peurs qui se sont enfouies dans leur subconscient suite aux chocs traumatiques.


Le film est construit avec une grande intelligence et ne verse absolument pas dans une forme d'angélisme sur la rédemption, en montrant que certains agresseurs peuvent rester fermés dans leurs croyances qu'ils ont des justifications ou des excuses à leurs actes. Le film n'est pas binaire. Il est à la fois axé totalement sur la psychologie et la capacité d'écoute mais aussi sur une volonté d'aller de l'avant vers la lumière et un avenir allégé même si rien ne s'oublie totalement.


"Je verrai toujours vos visages" est un grand film choral et un grand film social. La générosité et la spontanéité des interprètes comme la limpidité du scénario et de la mise en scène font du film un moment facile à regarder et hyper intéressant sur le fond car pédagogue sans être donneur de leçons. C'est un film qui redonne foi dans la nature humaine et çà c'est énorme dans un monde où on ne s'écoute plus, où on zappe et scrolle sans réfléchir. Le temps et le dialogue sont ici le personnage principal d'un film en tout point réussi. Courrez-y !




N°2 ex aequo - The Old Oak


De Ken Loach


Le pitch : TJ Ballantyne est le propriétaire du "Old Oak", un pub qui est menacé de fermeture après l'arrivée de réfugiés syriens placés dans le village sans aucun préavis. Bientôt, TJ rencontre une jeune Syrienne, Yara, qui possède un appareil photo. Une amitié va naître entre eux...


A 86 ans, le maître britannique qui était censé avoir terminé sa carrière revient pour un nouveau film. L’homme derrière de multiples bijoux du cinéma social britannique a signé ces films incontournables que sont Kes, Family life, Riff Raff, Ladybird, Land and freedom, My name is Joe, Sweet sixteen, Le Vent se lève (1ere Palme d’Or) ou Moi, Daniel Blake (seconde Palme d’Or).


Ses détracteurs ont trouvé le film mièvre et naïf, trop gentil. Oui mais ceci fait tellement de bien qu'avec une grande sobriété, Loach se tienne encore debout le poing levé. Il est toujours là et il revient témoigner une dernière fois d'un autre drame qui le déchire, celui des migrants syriens confrontés au racisme le plus pur de pauvres gens vivant dans des bassins autrefois miniers, ravagés par le chômage et la pauvreté. Et comme le dit l'un des personnages, les pauvres peuvent effectivement facilement rejeter les plus pauvres qu’eux par peur, par incompréhension qu'on les aides et pas eux, parceque les sujets de politique internationale et de migrations les dépassent, qu'ils voient concrètement que des étrangers débarquent chez eux.


Mais plutôt que de les juger, Loach a la grande intelligence d'expliquer que parmi eux figurent fort heureusement des hommes et femmes au grand cœur et que dans l'adversité le fait de se serrer les coudes entre victimes de la violence du monde, rend plus heureux à défaut de rendre plus forts. Le vieux chêne qu'est Ken Loach a comme arrêter de croire qu'on pourrait faire changer le monde, il est amer mais il tient débout et ne veut pas lâcher l'espoir. Ce qui est magnifique dans The Old Oak et qui m'a fait pleurer à chaudes lames à plusieurs reprises, c'est que Ken Loach filme avec une simplicité et un naturel déconcertant la beauté qu'il y a potentiellement en chaque être humain.


Cette capacité que chacun d'entre nous a de se donner pour l'autre et de regarder moins ses propres problèmes et plus ce qui peut aider soin prochain. Loach n'est pas croyant dans une religion mais il croit en l'homme, en sa capacité à créer de belles choses en s'unissant. C'est peut-être naïf mais d'une part c'est souvent vrai et d'autre part c'est le plus beau message d'espoir qu'il pouvait nous léguer après une filmographie aussi brillante où il a passé son temps à réveiller les consciences. Ken Loach manquera forcément au monde du cinéma, le maitre n'ayant pas son pareil pour provoquer l'émotion tout en parlant des plus démunis avec justesse et empathie.


The Old Oak a été très chaleureusement accueilli en compétition à Cannes 2023 et certains le voyaient comme une potentielle 3ème palme d'Or pour le cinéaste. C'est un chant du cygne admirable de bout en bout, une synthèse de l'essence même de son cinéma et un énorme coup de cœur dans cette riche année 2023. Ken Loach part avec ce dernier opus, d'une grande classe et c'est le plus beau cadeau qu'il pouvait nous faire. Merci Monsieur Loach pour ces 50 ans de carrière et toutes les émotions et les cris de colère que vous nous avez fournies. Merci.




N°2 ex aequo - Anatomie d’une chute

De Justine Triet


Cette deuxième palme d’or française en trois ans, attribuée à une réalisatrice raisonne autrement que celle attribuée au très clivant Titane, que j’avais trouvé personnellement pénible à regarder. Si on passe sur la polémique lors de l’attribution de la palme et que l’on se concentre sur l’œuvre, il est clair que Justine Triet mérite sa palme tout comme son succès en salles puisque le film devrait dépasser le million d’entrées.


Le pitch : Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.


Le choix de Sandra Hüller pour interpréter ce personnage féminin trouble est une idée déjà excellente.


Le visage parfois impassible et énigmatique de l’actrice ajouté au fait qu’elle s’exprime en anglais dans un monde français, atteignent deux objectifs. D’abord on est mis dans la situation d’un juré avec un entretien du doute permanent renforcé par une mise en scène parfois clinique mais d’une redoutable efficacité.


Ensuite on comprend le fait que le personnage soit encore plus paumé que n’importe quel personne accusée de meurtre.


Au fil d’un scénario extrêmement bien ficelé, la réalisatrice nous ballade dans nos propres convictions tantôt penchant pour le fait que l'accusée manipule, après tout le personnage est romancière, tantôt pour le fait qu’elle est innocente via le déroulé de révélations qui soufflent le chaud et le froid. Bref, on ne sait pas et ce qui est brillant chez Justine Triet, c’est qu’elle nous montre la difficulté pour la justice de juger et le façonnement de ce qu’on appelle l’intime conviction.


Swan Arlaud, excellent comme à son habitude, l’exprime très bien en avocat de l’accusée dont le regard trahit le même doute qui nous assaille. Milo Machado Graner, qui joue l’enfant est impressionnant de maturité et livre certaines des scènes les plus poignantes.


Justine Triet réinvente le film de procès en ouvrant les portes du tribunal via des flashs backs, des reconstitutions policières ou le quotidien de cette femme en attente de jugement, dont la vie ne tient qu’à un fil, qui doit gérer son fils, ne pas perdre la foi qu’il a en sa mère, ne pas devenir à ses yeux la meurtrière de son père adoré et bien sûr éviter d’être broyée. Elle est calme, peut être trop, puis elle s’effondre puis combat, doute et à chaque instant on se demande où est la part de maitrise, de jeu et où est notre part de spectateurs jurés paranoïaques.


Un film magistral sur l’ambiguïté d’un couple et sa déliquescence au fil du temps et un film magistral sur la présomption d'innocence.


Et pour sur, une palme très classe.



N°1 - Le règne animal


De Thomas Cailley 


Le réalisateur du très bon "Les combattants" revient enfin : "deux ans après l'apparition des premières mutations de l'homme vers l'animal. La société s'adapte, prend en charge et tente de soigner ses "créatures" dans des centres spécialisés. Mais un convoi a un accident, et les Créatures se dispersent dans la nature…".


Romain Duris et Adèle Exarchopoulos sont accompagnés de Paul Kircher, la révélation du film Le lycéen sorti fin 2022, pour ce film SF made in France.

Et disons le d'entrée, "Le règne animal" est une énorme claque comme on en voit rarement et sera probablement l'un des plus grands films de 2023.

Fable écologique novatrice, le film a reçu un superbe accueil à Cannes car le résultat est époustouflant, d'une grande profondeur de thématiques tout en étant divertissant.


Le jeune Paul Kircher est de la plupart des scènes et il est brillant de naturel, d'animalité. Il est drôle et touchant en adolescent qui comprend ce qui lui arrive et cherche à repousser l'inévitable. Sa connexion avec la nature, son rapport à ces êtres mi-hommes mi animaux est fascinant. Le film aurait pu tomber dans le ridicule très rapidement. Sauf que c'est tout l'inverse en utilisant une forme originale et créative pour mieux traiter du fond, des questions qu’il soulève avec puissance.


Thomas Cailley a pris un risque et quel risque, en ayant l'ambition de porter ce discours métaphorique sur le bien être animal, sur la tolérance vis à vis d'êtres différents, thématiques traitées dans de nombreux films, de films d'auteurs jusqu'aux X-men. Et là, avec sa mise en scène fluide et inspirée, en utilisant la nature comme refuge et cette approche fantastique loin des images de blockbusters américains, il vise extrêmement juste. Mieux, il touche à l'universel de par ces thématiques traitées avec une créativité confondante de beauté. Car ces animaux donc, ne sont pas du tout ridicules, ils sont non seulement crédibles mais ils sont beaux, là où oser ce type d'image était super casse gueule.


Thomas Cailley fait donc un retour triomphal après 9 ans d'absence avec ce film d'une créativité, d'une poésie extrêmement rares. Romain Duris est encore une fois excellent et très touchant et montre qu'il est un très grand acteur, aux intelligences de choix de films toujours bluffante. Dans le rôle de ce père tolérant, altermondialiste et surtout aimant, il nous bouleverse tout au long du film et nous tire des larmes chaudes car pas du tout baignées de pathos. L'autre thème du film, la filiation, est traité avec beaucoup de pudeur et de justesse. Son duo avec Paul Kircher fonctionne à merveille et les quelques scènes avec la géniale Adèle Exarchopoulos amènent leur lot d'humour et de simplicité. Car oui, en plus d'être beau, surprenant, d'embrasser de telles thématiques avec autant d'efficacité et de naturel, le film est souvent drôle.


Le règne animal est une fable d'anticipation au souffle romanesque, dont le charisme des acteurs et la force des images et du récit font qu'on se dit qu'on a vu un chef d’œuvre.


Et c'est un miracle car dans ce genre de science-fiction, qui plus est en France, on pouvait difficilement s'y attendre.


Courez vous rendre voir ce petit bijou d'une confondante beauté, il vous marquera à coup sur.



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