De: David O.Russell
Avec « Fighter », David O.Russel, réalisateur « des rois du désert », reprend un projet avorté de Darren Aronofsky, le petit génie à l’origine de « Requiem for a dream », « the wrestler » et « black Swan ». Le film devait à l’origine réunir Brad Pitt et Mark Wahlberg. Mais Pitt abandonna Aronofsky au dernier moment comme il le fit sur « the fountain » six ans plus tôt avec le même Aronofsky.
Ce dernier lâcha à son tour l'affaire suite à la mise en scène de « the wrestler », situé dans le milieu du catch et non de la boxe.
Mais Mark Wahlberg croyant dur comme fer au scénario, poursuivit la mise en route du projet, avec les dents, jusqu’à retrouver un remplaçant à Brad Pitt en la personne de Christian Bale et un réalisateur de secours avec son grand pote David O.Russell.
L’acteur doit être fier de sa persévérance. Le résultat s’avère brillant. D’ailleurs le parallèle avec « the wrestler » est assez drôle car David O.Russel utilise le même procédé que Darren Aronofsky, à savoir une caméra à l’épaule, un grain proche du documentaire et un jeu ultra réaliste davantage frères Dardenne que film hollywoodien classique.
Passé cette comparaison, la qualité fondamentale du film repose sur la prestation de Christian Bale, qui nous rappelle qu’avant d’être Batman, il est surtout un acteur caméléon incroyable. Son oscar du meilleur second rôle est amplement mérité. Tout comme dans « the machinist », il a perdu une quinzaine de kilos pour endosser la carrure décharnée d’un accro à l’héroïne. Et au-delà de la performance physique, son immersion dans le rôle est bluffante.
Mark Wahlberg est forcément moins avantagé dans son rôle de faire-valoir mais pourtant lui aussi s’en sort très haut la main. On oublie trop souvent que Wahlberg, notamment chez James Gray, a toujours été impeccable mais éclipsé par un autre rôle moins conventionnel. Il a la malchance d’être un beau gosse musclé, et ce sont rarement les rôles les plus passionnants.
Le film est donc un récit du lutte acharnée de deux frères, l’un ex-petite star ayant raté sa carrière à cause de la drogue et son cadet étant l’espoir de la famille, en passe de devenir une étoile terne et éteinte avant son apogée. Le premier voit dans son petit frère une seconde chance de rattraper sa fierté, de réparer son passé, mais la drogue est plus forte. Tout l’entourage familial, lourd car accroché au héros de la famille, permet de dresser un état des lieux de l’Amérique profonde des quartiers pauvres, une Amérique de gens gros et obèses, sans travail et sans talents, le contraire de l’image véhiculée par les médias américains. Et la peinture n’a rien de l’apitoiement puisque la plupart des personnages dont la mère et les sœurs sont soit intéressées et dans une relation malsaine à leur frère soit dans un rapport exclusif d’adoration castratrice. L’argent ne fait pas le bonheur mais quand on n’en n’a pas, on se raccroche au seul espoir, l’individu de la famille qui peut en gagner. Il représente l’espoir de faire manger tout le monde mais aussi un rêve, une ascension sociale impossible aux autres. Une fierté comme bouclier contre les misères du quotidien.
Le procédé narratif n’a certes rien de bien original et si vous avez vu « Marqué par la haine » avec Paul Newman, « Rocky », « Raging bull » ou « Million dollar baby », forcément, une impression de « déjà vu » vous sifflera dans les mirettes. Mais est ce là l’important ? Est-ce le fait de trouver un sujet original lorsque l’on parle de boxe. Dans tous les cas, il s’agit de personnages sortis du ruisseau qui progressent ou chutent à un moment donné, dans une vie en cassures permanentes, l’origine sociale les rattrapant ou dictant certains de leurs réflexes. Il y est question de combat et d’obstination, forcément. Les combats sont filmés sans ralentis inutiles et avec un réalisme des plus froids, à l’unisson, du reste du long métrage, cru. La sueur ça pue, David O.Russel la montre. Et c’est tant mieux.
Ici l’intérêt, c’est bien entendu la prestation de Bale et l’opposition entre les deux frères. Vivre de ses propres ailes et tourner le dos à sa famille, couper le cordon, est il un acte d’amour ou un acte égoïste ? Ou est la limite ? Faut-il gâcher ses opportunités ou se transcender quitte à trahir les fausses bonnes idées de ses proches ? En ce sens, « Fighter » réussit à détourner certains codes et embrasser davantage une tragédie familiale que personnelle, contrairement aux films précités.
On ressort donc du film grogui et ému, en ayant vu l’un des meilleurs films du genre depuis longtemps, bien longtemps.
La piste aux Lapins :
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