De: Thomas Vinterberg
Le réalisateur danois découvert avec son chef d’œuvre "Festen" en 1998, a connu une chute d'inspiration durant les années 2000 avant de revenir à un excellent niveau en 2010 avec le superbe "Submarino" qui parlait déjà d'alcool, puis il a enchainé avec les très réussis "La chasse" en 2012 où Mads Mikkelsen excellait dans le rôle d'un instituteur accusé à tard d’attouchement par une enfant, puis le très émouvant "Loin de la foule déchainée" en 2015, La communauté et Kursk.
Thomas Vinterberg construit une filmographie qui garde certains préceptes du dogme qu'il a créé avec Lars Von Trier, un certain réalisme voir naturalisme qui renforce certaines émotions lorsque les scènes prennent. Mais contrairement à son compatriote qui provoque visuellement et cherche souvent à choquer, Vinterberg opte pour des histoires autour de personnages très bien écrits, déchirés par la vie, souvent cassés même. Il apporte un regard à la fois non consensuel et qui cherche le débat. Si dans "La chasse", Vinterberg interrogeait sur les excès de nos sociétés mettant au pilori sans preuves et n'hésitant pas à broyer un homme sans le laisser se défendre, avec "Drunk", il s'intéresse à un sujet passionnant et très original car peu traité de la sorte à ma connaissance.
Le pitch est simple. Quatre amis professeurs dans le même collège et tous ayant passé largement a quarantaine, décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.
Vinterberg n'aborde pas uniquement que le thème de l'alcoolisme. Non son thème principal est celui du vieillissement, du temps qui passe, des responsabilités familiales et des échecs ou espoirs déçus qui font que des hommes de 50 ans se retrouvent fatigués et avec peu d'entrain pour les années qui leurs restent. A ceci, il oppose et filme l’insouciance de la jeunesse qui boit beaucoup, au delà de l'excès et qui s'éclate. A aucun moment il ne fait l'apologie ou ne juge grâce à ce système d'expérimentation où les professeurs vont retrouver de la joie de vivre, vont se désinhiber et même retrouver des projets, être meilleurs au quotidien.
Mads Mikkelsen est immensément bon et les trois autres acteurs qui l'entourent sont bouleversants de justesse et d'humanité.
"Drunk" est souvent très drôle car les situations sont iconoclastes et l’alcool fait faire n'importe quoi parfois et permet de rire, entre amis. D’ailleurs il s'intéresse à son lien social, à cette amitié de ces quatre personnages qui se tiennent les coudes, qui s'aiment et se pansent leurs blessures pour repartir.
Mais vers où ?
Et c'est là que le film devient fascinant. Il montre les limites des paradis perdus et le choix ou pas de s'y enfoncer plutôt que de revenir à une réalité que l'on sait soit peu modifiable soit vouée à se terminer mal car la vie, çà finit forcément mal. Ce regard vraiment particulier sur le sens d'une vie au sein de ses proches, de sa famille, de ses relations fait de "Drunk" un très grand film incorrect.
Thomas Vinternerg nous fait rire l’essentiel du film et met aussi mal à l'aise avec un ton politiquement incorrect mais sans cacher la vérité, l'effet néfaste de l'alcool à haute dose, avec un dénuement total de moralisation et ceci fait un bien fou, dans un monde souvent tellement policé et tellement consensuel.
En refusant d'avoir un regard unique sur l'alcool et d'y appliquer une multiplicité liée à la diversité des individus, de leurs propres histoires, de leur propre maitrise et de leurs fragilités respectives, le réalisateur apporte une vision d'une grande intelligence avec une belle palette de nuances.
Il offre aussi un superbe film sur l'amitié comme moyen le plus fort de ne pas sombrer dans une société qui ne facilite pas l'épanouissement personnel.
Il ne juge pas la drogue mais porte un regard bienveillant sur ces gueules cassées de la vie et leur retour même fugace à l'insouciance, tout en étant conscients que le retour à la jeunesse n'aura pas lieu. C'est un message à la fois plein de nostalgie, de réalisme et de déterminisme. C'est juste excellent comme angle de vue.
La finesse et la transgressivité de "Drunk" restent d'ailleurs longtemps dans l'esprit après la projection.
Si cette année cinéma a été désertée d'une partie de ses films, la subtilité de "Drunk" en font l'un des meilleurs. D'ailleurs le film va probablement faire partie des sorties de fin d'année qui vont sauver le cru 2020 et le rendre pas si vide que cela.
La piste aux Lapins :
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