De: Michael Haneke
Voici une palme d'or évidente pour l'autrichien Mickael Haneke, trois ans après sa première palme pour un "Ruban blanc" un peu austère et auteuriste par rapport au reste de sa carrière.
L'homme a toujours eu un regard clinique, notamment sur la violence, d'où ces coups de poings comme "Funny games" ou "La pianiste".
Mais cette fois-ci, il choisit un thème assez rare au cinéma et abordé de façon différente, que ce soit par exemple chez Julien Duvivier dans "La fin du jour" ou Ingmar Bergman dans "Les fraises sauvages". Il nous parle de la fin de vie, de la vieillesse et de la mort, mais pas pour la confronter aux regrets, aux souvenirs ou à la jeunesse comme dans les deux chefs d’œuvre précités. Non, Haneke choisit de nous parler d'Amour, de l'amour d'un couple qui a vécu 60 ans ensemble, et de ce qui se passe quand la vieillesse s'empare d'une telle union, d'une telle proximité, d'une telle intimité. Il nous parle de ce qu'il reste d'un couple qui a traversé tant d'épreuves et se trouve au crépuscule de sa vie. Et contrairement à ce qu'on pouvait attendre de l'autrichien froid et distant, "Amour" porte très bien son nom et nous parle de cette tendresse profonde et de ce lien qui fait que ces deux personnes octogénaires ne peuvent vivre l'une sans l'autre comme mourir l'une sans l'autre.
C'est un film beau et sublime car dépourvu de pathos, de sentimentalisme et bénéficiant du regard sensible d'un réalisateur connu pour son recul et du jeu tout en nuances et en retenue de deux immenses acteurs, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant. Les deux auraient mérité le prix d'interprétation à Cannes mais le règlement du festival interdit au jury d'attribuer ces prix si la palme revient au film. Et pourtant, le film n'existerait pas tel quel sans eux. D'ailleurs Haneke a écrit le film pour Trintignant et a réussit un exploit, celui de faire sortir de sa retraite de 15 ans l'un des plus grands acteurs français, d'abord lassé de jouer autrement qu'au théâtre puis pour les raisons qu'on connait et la disparition de sa fille Marie.
Trintignant est majestueux, sa voix énonce avec clarté son texte avec le ton si particulier qu'on lui connait, face à une Emmanuelle Riva tout aussi classieuse et dont le rôle et loin d'être évident. Les deux acteurs arrivent à faire passer autant la dureté de ces deux êtres qui se connaissent par cœur et ont tout vécu ensemble que la tendresse dans des regards, des petits gestes qui lors de certaines scènes m'ont véritablement ému aux larmes.
Ils sont beaux tous les deux à l'écran et donnent à ce couple et cette marche vers la mort une dimension tragique, fataliste mais finalement pas si morbide que cela. "Amour" est un film parfois dur à regarder car il nous confronte à ce qui nous attend tous, au fait que nous sommes seuls face à la mort quoiqu'il arrive, quelque soit votre entourage. Le film rappelle et pose cette évidence dans une société où le jeunisme n'a jamais été aussi fort et la volonté d'être immortel jamais été autant bercée d'illusion par notre société marchande de rêve. La sobriété et l'unité de lieu du récit, la froideur et la retenue de leur fille interprétée par Isabelle Huppert, l'absence d'enfants et quasiment d'intervention extérieure, permettent justement d'isoler le couple dans un espace où le temps est suspendu. On imagine très bien tout ce qui a pu se passer dans leur appartement parisien, tous les livres qu'ils ont lu l'un à coté de l'autre, les moments où elle a joué du piano pour lui, les silences qu'ils ont su apprécier à deux. Les mots se font d'ailleurs économes à cet âge là car ils n'ont plus besoin d'exprimer le lien qui les unit, il se voit en les regardant se tenir la main et moduler le ton de leur voix pour parler plus doucement.
La générosité d"Amour" est de nous livrer une belle leçon de vie, sur un sujet qu'on évite en général car on préfère ne pas le regarder en face. Un film pudique mais direct sur la fin de vie et le courage qu'il faut pour l'affronter dignement. Haneke a longtemps montré la cruauté de l'être humain dans toute sa profondeur et livre aujourd'hui une belle croyance dans ces mêmes individus et dans l'amour, qu'on définit si mal en général. Il démontre que la vie vaut d'être vécue ne serait-ce que pour ce type de lien, car même lorsque le corps vous lâche et qu'il se détruit, il peut rester cette tendresse jusqu'au bout. Haneke nous parle de ces vieillards qui s'en vont et en ont parfaitement conscience, qui ne veulent pas quitter la scène, qui ont toujours soif de culture, de savoir mais n'ont pas le choix et l'acceptent. Haneke aurait pu se contenter de filmer la déchéance mais il arrive à capter l'empathie, à filmer avec épure la fin d'une très belle aventure avec tout ce qu'elle projette de peur sur nous mais aussi de vérité.
C'est toujours un peu idiot de parler de chef d’œuvre mais pourtant, il y a des films qui sonnent tel quel dès leur première vision. Savoir que Jean-Louis Trintignant termine cette carrière sur cette brillante prestation est en soit un très bel adieu. Cette palme d'or était une évidence, oui.
La piste aux Lapins :
Terrence Malick
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