Enzo
- Blanc Lapin
- 22 juin
- 2 min de lecture
De Laurent Cantet, Robin Campillo

Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
Enzo n’est pas seulement un film sur l’adolescence : c’est un adieu pudique, vibrant, d’un grand cinéaste à son œuvre et à son époque. Dernier scénario écrit par Laurent Cantet avant sa disparition en avril 2024, ce projet posthume a été porté à l’écran par Robin Campillo (120 battements par minute), son ami de toujours. Ce passage de relais donne naissance à un film d’une grande sensibilité, à la fois charnel, politique et profondément contemporain.
Le récit suit Enzo, un adolescent en rupture douce, dont l’insoumission silencieuse se heurte aux attentes d’un monde adulte figé dans ses certitudes. Ni révolté, ni soumis, Enzo cherche sa place dans une société qui ne lui offre que des contradictions. Il observe, résiste par le retrait, tente de comprendre. Cette manière de scruter un être en formation, pris entre le désir et le doute, fait écho à l’ensemble de la filmographie de Laurent Cantet.
Du jeune homme en crise dans Ressources humaines (1999) au cadre mensonger de L’Emploi du temps (2001), en passant par les adolescentes insoumises de Foxfire ou les lycéens d’Entre les murs (Palme d’or 2008), Cantet a toujours filmé les individus dans leur tension avec le collectif, dans les interstices entre intime et social. Enzo s’inscrit dans cette lignée, mais en adopte ici une forme plus flottante, presque impressionniste, où le silence dit autant que les mots.
Campillo apporte à ce dernier opus une touche plus sensuelle, plus contemplative : la lumière solaire, les gestes furtifs, les corps filmés avec délicatesse renforcent l’émotion à fleur de peau. La caméra prend son temps, les scènes s’étirent, parfois en apparence anodines, mais toujours habitées par une gravité souterraine. La guerre (celle en Ukraine), le monde du travail, l’indifférence de la bourgeoisie "progressiste" : tout est là, en arrière-plan, diffus, jamais démonstratif.
Ce qui bouleverse dans Enzo, c’est cette façon d’avancer par éclats, d’oser l’inachèvement, comme si le film lui-même cherchait sa trajectoire, à l’image de son héros. Porté par des comédiens amateurs d’une justesse saisissante, et en particulier par un jeune premier dont le mutisme contient tout un monde, le film refuse les grandes leçons, les effets faciles, pour mieux laisser place à l’incertitude, à la fragilité.
Enzo est une œuvre qui interroge ce que veut dire "transmettre" : un savoir, une mémoire, une colère, une manière d’habiter le monde. En cela, c’est un film-testament sans solennité, un geste de cinéma modeste et bouleversant, qui mêle l’ombre d’un grand réalisateur disparu à la lumière d’une jeunesse qui avance à tâtons. Campillo et Cantet signent ensemble un film suspendu, inquiet, lumineux et endeuillé, qui regarde l’avenir sans naïveté, mais avec une infinie tendresse.
La piste aux lapins :

Commentaires