De: Terry Gilliam
Avec sa troupe de théâtre ambulant, " l'Imaginarium ", le Docteur Parnassus offre au public l'opportunité unique d'entrer dans leur univers d'imaginations et de merveilles en passant à travers un miroir magique. Mais le Dr Parnassus cache un terrible secret. Mille ans plus tôt, ne résistant pas à son penchant pour le jeu, il parie avec le diable, Mr Nick, et gagne l'immortalité.
Comme tous les films du créateur de Brazil, il me fallait deux visions pour me faire une idée. Gilliam n’a pas toujours versé dans l’humour Monty Pythonesque dans sa filmographie mais cette-foi-ci, l’humour est beaucoup plus fin, et moins Pythonesque, justement. Et puis le film est plus sombre qu’il n’y parait.
Ensuite j’y ai vu un manque de rythme, reproche fait par plusieurs personnes au demeurant. Le rythme n’est certes pas habituel.
A la seconde vision, c'est le rythme d'une histoire qu'un conteur privilégierait à l'oral, peut être pas au cinéma. Mais ça tombe bien, le thème du film c'est l'histoire d'un conteur millénaire, le docteur Parnassus. Il est donc logique que le film retrouve cette structure générale assez curieuse. Ainsi, les pistes de chaque sous-intrigue sont lancées sans jamais aller jusqu’au bout afin de mieux se concrétiser au final. Ceci peut faire perdre le fil de l’histoire principale. D’où une impression de bordel mais qui fait tout le charme du cinéma de Gilliam et toute sa richesse, les détails étant foisonnants….et les multiples visionnages permettant d’améliorer la perception du film, comme un bon vin qui s'enrichit avec le temps.
L’hommage à Heath Ledger est assez troublant sachant que peu de scènes ont été réécrites après sa mort. Des passages retentissent de manière décalée et donnent un bel écho au pouvoir du cinéma, celui de faire ressusciter des acteurs morts le temps d’un film, de les figer jeunes et beaux pour l’éternité. C’est un peu ce qui arrive lorsque l’on revoit un vieux film…Paul Newman a 30 ans, mais si mais si, revoyez "Une chatte sur un toit brûlant"...
Comme à son habitude dans ses meilleurs opus (Las vegas parano, Brazil, L'armée des 12 singes), Gilliam laisse se terminer son film sur une fin ouverte, libre d’interprétation mais pas incompréhensible du tout. Bien au contraire. La fin est assez simple à première vue. C’est ensuite qu’on se pose des questions…il l’a d’ailleurs avoué en interview, c’est volontaire !!! Le but étant de faire fonctionner l’imagination à plein régime, de se faire raconter à soi même des histoires parallèles au film, ce qui est semble tout marque d’une grande réussite pour un film sur le pouvoir de l’imagination…
Les personnages sont tous traités à l’unisson d’une histoire à plusieurs facettes. Le jeu du miroir magique déformant qui se trouve au centre de l’histoire s’applique à la personnalité de chaque personnage car chacun possède un double fond. Normal, nous sommes chez les saltimbanques et le tour de passe passe…
Par ailleurs, si certains y ont vu une confrontation entre le bien et le mal un peu binaire ou une simple attaque en règle d’une société consumériste à outrance où le rêve se vend en préfabriqué, c’est qu’ils n’ont pas perçu le double fond de l’histoire…
Car au final, d’autres thèmes sont abordés, notamment celui de la difficulté d’être un artiste indépendant aujourd’hui dans l’industrie du cinéma. C’est bien entendu à une autobiographie à peine voilée que nous invite l’ex Monty Python. Les clins d’œil et les autocitations raviront les amateurs de sa filmographie mais ce qui s’avère bien plus intéressant est l’analogie, partielle certes, entre le docteur Parnassus et Terry Gilliam lui-même. Bien entendu, on retrouve beaucoup de Gilliam dans Parnassus mais pas tout. Gilliam est certainement plus optimiste et lance ce film comme un avertissement sur ce qu’il pourrait devenir à terme. Cet « avatar » du réalisateur, sans les moyens de James Cameron, défie tous les obstacles avec panache pour continuer à défendre ce qu’il aime par-dessus tout, à savoir raconter des histoires et faire rêver les autres. Et si la morale ne rassure pas trop sur l’optimisme du réalisateur, son envie de poursuivre sa carrière même avec trois bouts de ficelle force le respect. Son acteur principal meurt, il trouve une combine géniale qui améliore son film. Johnny Depp le lâche sur la reprise de Don Quichotte en 2010 pour toucher 55 M$ sur Pirate des Caraïbes 4, mais l’animal a plus d’un tour de magie dans son sac. Là où un Tim Burton finit par lasser de nous servir des resucées de son univers visuel certes très beau mais très creux (sleepy hollow et son décalcomanie insupportable qu’est Sweeney Todd), là où ce même Burton se Disney-ise à vue d’œil à en perde son âme (Charlie et la chocolaterie est un must de mièvrerie), Terry Gilliam, avec beaucoup moins d’argent, nous fait sa propre autocritique. Oui, réaliser « les frères Grimm » était une erreur, une concession aux studios hollywoodiens dans l’espoir de financer ses projets ultérieurs. Une faiblesse qui aurait pu lui coûter son intégrité de saltimbanque. Gilliam est assez fou pour refuser d’adapter l’un des « harry potter », c’est dire si il ne cherche pas la facilité. L’un des thèmes cachés du film est donc celui du compromis artistique. A partir de quand l’artiste cède t’il à ce dernier pour arriver à exercer son art ? Vous allez me dire, mais qu’as-tu pris comme substance et où surtout ? Mais non, on voit tout ceci dans Parnassus, pour un peu qu’on prenne le temps de s’y attarder.
La roulotte du docteur Parnassus et son spectacle très comedia del arte présentent une belle allégorie de la façon dont Terry Gilliam appréhende son art. Il veut rester libre, indépendant quitte à finir seul et sans spectateurs, il se fout totalement des codes et conventions du film faussement barré. Non, quand on entre dans la tête de Terry Gilliam, on y plonge ou on reste de coté mais quand le liquide vous chatouille les pieds...il faut foncer car il est l’un des rares à avoir cette force aujourd’hui.
L’imaginarium du docteur Parnassus est donc l’invitation d’un gentil fou à rentrer dans sa tête pleine comme un œuf, dans son foutoir ambulant tellement bien rempli qu’on voudrait en voir plus de l’imaginarium de Mossieur Gilliam.
Mais tout le talent d’un conteur est de laisser s’envoler les histoires dans la tête des spectateurs suffisamment tôt pour qu’elles prennent de l’ampleur. Laisser des zones d’ombres bienvenues afin de permettre à chacun de faire sien ce film si bigarré et ouf ouf ouf.
Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce film et je vous le recommande sans aucune réserve si ce n’est que vous pouvez ne pas être sensibles à l’univers du réalisateur, ce qui est bien entendu une question de goûts…
"Et voilà !!"
La piste aux Lapins :
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