De: Guillermo Del Toro
Guillermo Del Toro fait partie de ces réalisateurs comme Tim Burton, Terry Gilliam ou Jean-Pierre Jeunet, qui ont fait carrière dans l'imaginaire et ont une identité visuelle forte, un style reconnaissable en quelques plans. Ils sont rares et en général ont un public fidèle, à juste titre. Le problème de Del Toro est que ses scénari n'étaient pas toujours au rendez-vous, ce qui a pu amoindrir le beau "Crimson Peak". Cependant Blade 2, Les deux très bons Hellboy et Le Labyrinthe de Pan ont marqué chacun le genre fantastique.
Avec son lion d'Or remporté à Venise pour "La forme de l'eau", le réalisateur mexicain signe à 53 ans son plus beau film, extrêmement réussi à tous les niveaux, à commencer justement par son point faible habituel, le scénario.
Chaque personnage est écrit avec finesse, et trouve dans le dispositif du film une place qui n'est jamais celle d'un simple faire valoir. Richard Jenkins (le père dans Six Feet Under) a un rôle à la fois empathique, drôle et émouvant dans cet homosexuel qui vit seul et cherche un amour impossible dans une Amérique intolérante et conservatrice. L'amie noire de l’héroïne représente une autre minorité maltraitée par cette Amérique blanche raciste des années 50 et 60. Mais ces laissés pour compte sont dépeints avec délicatesse, sans caricature ou trait forcé.
Le grand méchant est joué par un Michael Shannon au visage si expressif et flippant, représentatif du mâle Alpha dans toute sa splendeur et ses limites mentales dont la première est le manque d'imagination et de poésie. Guillermo Del Toro imprègne son long métrage d'un contexte historique comme dans L'échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, renvoyant aux carcans d'une époque. Mais il rend aussi hommage à tout un pan du cinéma bis de ces années là, au premier rang desquels L'Etrange créature du lac noir dont est fortement inspirée le personnage amphibien du film.
Et puis il y a cette histoire d'amour, cette poésie entre Sally Hawkins, brillante en femme muette, pas très belle et cette créature subissant la torture d'humains trop cartésiens pour imaginer la différence. Guillermo Del Toro utilise son talent visuel, ses lumières et couleurs si particulières, baignées de bleu vert sous-marin. Mais il arrive surtout à nous conter une histoire qui aurait pu sombrer dans le ridicule complet alors qu'on contraire, son film décolle vers une légèreté, une finesse bluffante. Une scène de comédie musicale arrive avec une finesse exceptionnelle à faire s'envoler l'histoire vers de la pure poésie. Le film touche à l'universalité avec des messages simples, naïfs mais jamais faciles ou éculés.
L'émotion prends alors corps face à cette histoire de monstre et vous cueille quelques sourires et quelques larmes, gages de l'excellence de "La forme de l'eau".
Le film est une belle fable féérique, loin du cynisme contemporain, qui parle de tolérance et couronne avec grâce l'un des grands réalisateurs de notre temps. Cet enchantement fera du film un classique.
La piste aux Lapins :
Comments