Troisième partie et des dossiers consacrés aux meilleurs films du blanc lapins ces 15 dernières années avec un focus sur 2018, 2019 et 2020...
2018
N°14 - "Roma" d'Alfonso Cuarón
Voici donc le film qui va tout bouleverser dans l'industrie du cinéma. Et c'est marrant parcequ'il n'a rien du gros blockbuster. C'est juste que "Roma" d'Alfonso Cuarón a remporté le Lion d'Or au dernier festival de Venise, et qu'il ne sort que sur Netflix !
Alfonso Cuarón est un grand réalisateur et il a accepté de travailler pour Netflix car c'est uniquement là qu'il y a trouvé le budget.
Sa fresque est en effet loin de pouvoir remplir des salles obscures, d'une part parce qu’elle est en noire et blanc, qu'elle dure 2h15 et d’autre part parcequ'elle n'a aucune star à son casting. Son thème est aussi pas franchement vendeur puisqu'on y suit la vie quotidienne d'une femme de maison du début des années 70, dans une famille bourgeoise à Mexico.
Le noir et blanc du film est absolument magnifique, d'une grande pureté. La mise en scène est fluide, à travers de longs plans séquence.
Mais là où Cuaron fait très fort, c'est qu'il adopte le point de vue de cette femme dans la servitude grâce à son choix de mise en scène.
L’héroïne est quasi silencieuse, on la voit peu s'exprimer car dans son métier, on lui demande de se taire et de faire les choses, rapidement, efficacement. Sa relation avec les enfants de la famille est tendre et presque plus proche que celle qu'ils ont avec leur mère. D'ailleurs la famille lui laisse regarder la télévision avec eux mais pas trop longtemps quand même. Le rappel des ordres pour faire telle ou telle chose ménagère lui rappelle aussi son statut social, au cas où elle l'oublierait.
Cette' violence sociale, qui se mélange dans certaines scènes à la violence dans les rues, est très bien rendue, avec force. Cette violence on la retrouve dans les rapports qu'elle a avec ses patrons qui la couvent et payent son accouchement mais qui la traitent aussi pour ce qu’elle est, une employée sans un sou.
Et quoi de plus efficace que de filmer cette famille sans créer une histoire très construite, juste suivre le quotidien, et les petits élèvement qui le changent au fur et à mesure. Un mari volage qui s’enfuit, une nouvelle voiture, plus petite car l'argent vient à manquer dans la famille, un drame évité...Alfonso Cuaron, fait preuve d'une très grande finesse par ce regard extérieur. Nous sommes comme l’héroïne, des spectateurs de cette vie, auxquels on interdit de devenir des intervenants à part entière.
Ce grand film intimiste est une grande réussite.
N°13 - "High Life" de Claire Denis
Des criminels condamnés à mort sont envoyés dans l’espace pour devenir les cobayes d’une mission spatiale, en dehors du système solaire.
Je ne comprend pas du tout pourquoi le nouveau film de Claire Denis a été taxé de gênant ou de violent. Rien de tel, allez y sans crainte et allez y car elle nous fait du cinéma qui lorgne vers le Solaris de Tarkowski, tout en étant plus accessible et non moins très réussi.
Comme dans tout bon film de SF, Claire Denis interroge les limites de notre humanité en s'intéressant au huis clos bien évidemment mais aussi aux traumas de ces criminels et plus particulièrement de deux d'entre eux joués de façon excellente par Juliette Binoche et l'étonnant Robert Pattinson, qui ne cesse de nous surprendre par l'éclectisme et l'intelligence de ses choix de carrière.
Pattinson casse à nouveau son image en jouant ce quasi moine qui prend sa mission comme une rédemption morale à son crime tandis que Binoche veut redonner la vie et trouver un sens à sa vie en créant la vie. Elle parait comme un mixte de sorcière, de commandant et de scientifique, dans un rôle sur mesure qui lui colle à merveille.
Claire Denis commence par nous plonger dans la solitude du personnage avant de procéder par flashs backs et de mélanger les époques avec une très grande fluidité. Ce puzzle mental se construit alors devant nous avec brio, questionnant ce que nous ferions dans une telle situation, dans un tel voyage sans retour. L'esthétique claustrophobe du long métrage est une très très grande réussite, d'autant plus que l'on pense avoir tout vu du film se passant dans l'espace.
Le message du film est d'ailleurs certes triste et sombre mais donne du sens et se conclue en beauté.
N°12 - Mandy de Panos Cosmatos
Nicolas Cage est un acteur génial mais depuis 15 ans il tourne souvent dans des merdes. Il le dit lui même, ce n'est pas qu'il le fait exprès et il prend très au sérieux ses rôles, c'est juste qu'il se plante dans ses choix et que les rôles qu'on lui propose ne sont pas géniaux. Il est un peu has been là où il était une méga star dans les années 90, moqué aujourd’hui pour ses coupes de cheveux improbables. Mais de temps en temps il revient comme dans l'excellent "Joe" de David Gordon Green en 2014 ou le remake très réussi de Bad Lieutenant en 2009.
Avec "Mandy", nul doute qu'il joue dans un Ovni qui a doute pour devenir un film culte.
Panos Cosmatos choisit d'ultra référencer ce film qui pourrait être une simple série Z si il n'y insufflait pas des idées de génie. Avec sa colorimétrie rouge sang et ses effets visuels seventies à mort, le réalisateur joue des effets du LSD pour instaurer un climax hyper particulier. On suit en effet un homme des bois bien viril joué par Cage dont l'épouse fragile, au visage ultra particulier, se fait enlever par une secte. Cette secte va tuer la pauvre jeune femme devant lui et déclencher sa furie et sa vengeance façon Charles Branson.
C'est super bourrin mais c'est soit très drôle dans l'excès soit vraiment original. La réplique culte du film est évidemment "putain, t'as niqué mon T-shirt!" qui, sortie de son contexte peut faire peur mais moi m'a fait hurler de rire. Non vraiment, Mandy est excellent fil de genre, culotté, irrévérencieux, avec un Nicolas Cage en roue libre qui déploie sa rage. C'est un film à ne surtout pas manquer et à regarder loin des enfants.
Par contre vous pouvez détester le film. Mais ceux qui aimeront vont adorer.
N°11 - "Mission impossible Fallout"de Christopher McQuarrie
Tom Cruise a réussi l'exploit de créer une franchise sur son nom qui dure depuis 22 ans et qui lui a sauvé sa carrière à plusieurs reprises soit une mission pas facile à relever à Hollywood. A chaque fois que Tom a senti le box-office lui échapper sur ses projets, il est revenu à sa copie cachée de James Bond et çà a cartonné.
La recette était au début de prendre de grands noms comme réalisateurs, Brian de Palma, John Woo, JJ Abrams, et Brad Bird.
Ceci fonctionnait, efficacement, livrant des spectacles vraiment divertissants, au dessus du panier. Et puis il y a deux ans il confie les reines à Christopher McQuarrie, qui l'avait dirigé sur Jack Reacher et qui avait écrit les scénari de Valkyrie, Mission: Impossible: Ghost Protocol, et Edge of Tomorrow.
Ce pari fut réussi au-delà des espérances avec "Mission impossible Rogue Nation" qui reçut à très juste titre des critiques dithyrambiques et un box office au-dessus des attentes, relançant la franchise. Rares d'ailleurs sont les séries de plus de cinq films qui durent sur aussi longtemps, avec une récurrence qualitative et un casting stable.
Et bien non seulement Christopher McQuarrie remet le couvert avec la même efficacité redoutable mais il enfonce le clou. Son idée géniale était de coller enfin vraiment à la série dont les films sont adaptés, en créant une famille, une équipe d'espions autour d'Ethan Hunt. Certes, les cascades (faites par Cruise himself) et effets spéciaux donnent lieu à des scènes irréalistes mais on s'en fout totalement car c'est le concept. D'ailleurs, le film s'en amuse et le public en rigole dans la salle.
L'idée donc de la team, s’appuie sur le retour de la révélation du précédant opus, Rebecca Ferguson, toujours aussi énigmatique, de Simon Pegg, présent depuis le 3ème opus (4ème film donc), caution comique et Ving Rhames depuis le 1er il y a 22 ans. Et ceci donne comme dans le précédent une dimension qui n'existait pas auparavant. Hunt en devient humain, contrairement à James Bond, car il a des racines, des amis qui passent avant des milliers de morts. Le scénario est écrit au cordeau, ne laissant que très peu de respiration. Enfin, le Némésis qu'a su trouver Christopher McQuarrie lors du précédent film, revient ! Et un bon film de divertissement a de fortes chances d'être plus réussi avec un bon méchant qui a du charisme. Sean Harris est parfait une fois de plus dans le job. Même sans parler il fait flipper. Quant à Henry Cavill, il incarne un nouveau personnage qui certes ne surprend pas, mais qui envoie une sacrée dose de testostérone face au mâle dominant qu'incarne Tom Cruise. Et c'est là aussi une superbe idée que de lui coller un petit jeune.
Bref, vous l'aurez compris, "Mission impossible Fallout" est LE blockbuster de l'été qu'il faut courir voir, même si vous avez loupé le précédent. C'est jouissif car c'est super bien huilé, brillamment mis en scène et très très au-dessus d'un Bond classique.
N°10 - "Les bonnes manières" de Juliana Rojas et Marco Dutra
Voici un film brésilien pour le moins original puisqu’il mixte le mythe du loup garou avec la satire sociale d'un premier degré désarmant de sincérité et d'efficacité.
Clara est infirmière solitaire à São Paulo. Elle arrive à se faire engager comme bonne à tout faire et future nourrice d'une jeune femme riche, enceinte mais terriblement seule, pour une raison inconnue.
Malgré l'arrogance de l’employeuse, les deux femmes vont se rapprocher jusqu'à ce que des évènements surnaturels ne viennent troubler le déroulement de la grossesse.
"Les Bonnes manières" est une excellente surprise. Dès le début on sent que quelquechose cloche malgré l'utilisation par les réalisateurs de couleurs chatoyantes, à l'image des dessins animés de Walt Disney auquel le film fait référence. Car le film se passe bien dans le réel mais détourne les codes du conte avec un esprit très habile.
Avant de verser dans le fantastique, le film va passer par un autre genre, celui de la critique d'une société coupée en deux, où les gens qui travaillent pour les plus aisés ne font que passer dans un décors lumineux là où leur vie quotidienne se passe dans une autre ville, beaucoup moins glamour. Les préjugés de la classe haute sur les bonnes manières à adopter en société, sont aussi passées à la moulinette de leur propre hypocrisie. Mais le traitement n'est jamais lourd. C'est un mélange de thèmes entre l'analyse du mépris social, le film gentiment gore, la confrontation psychologique, la force de l'instinct d'une mère, même adoptive...tous ces sujets sont hybridés et mixés ensemble avec une fluidité déconcertante.
Arriver à faire un film d'auteur versant dans le fantastique, qui sache rester très grand public, n'est pas une première mais ce film est d'une grande fraicheur. Son autre force est de rester à l'équilibre, maintenant un suspens constant et subtil.
"Les Bonnes manières" est scandaleusement mal distribué alors qu'il aurait mérité une mise en lumière à la hauteur de son audace.
N°09 - En liberté ! de Pierre Salvadori
Le pitch : Yvonne jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n’était pas le flic courageux et intègre qu’elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d’Antoine injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années. Une rencontre inattendue et folle qui va dynamiter leurs vies à tous les deux.
Le réalisateur de "Cible émouvante" avec Jean Rochefort, Guillaume Depardieu et Marie Trintignant ou de "Les Apprentis" avec toujours le fils Depardieu et Cluzet, revient au meilleur de sa forme.
Il faut dire que l'animal s'est constitué une filmographie bien sympathique axée sur la comédie certes mais avec toujours une touche de délicatesse et de fragilité dans ses personnages souvent paumés et à la marge.
Ici il va utiliser un scénario qui n'aura de cesse de surprendre non par ses situations mais par la réaction de ses personnages. L'attendu, le fait que les héros se tombent dans les bras, ce n'est pas sa tasse de thé.
L'idée géniale de Salvadori est son casting avec un Pio Marmai excellent de loufoquerie, une Adèle Haenel vraiment désopilante de naturel revenue de tout et un Damien Bonnard hyper attendrissant. Quant à Audrey Tautou, Salvadori lui donne à nouveau un rôle excellent, un rôle de son âge, la petite quarantaine, frêle et émouvante, un rôle très bien écrit. Ce quatuor est très attachant.
Pierre Salvadori choisit donc de mixer des scènes perchées, parfois à hurler de rire et parfois juste émouvantes et donne à la comédie française un lustre qui trop souvent est délavé sur l'autel de l'industrialisation du film comique financé par ses têtes d'affiche "populaires" et qui font honte au cinéma hexagonal. Ici les répliques sont travaillées, le burlesque arrive à point nommé.
De l'ensemble du film se dégage un style, une certaine notion de la classe, à savoir une grande modestie dans la mise en scène alliée à une sincérité et un amour des personnages qui crève l'écran.
Mine de rien, Pierre Salvadori va bien au delà de la comédie puisqu'il parle des faux-semblants, des images toutes faites que l'on se fait de la réussite dans la vie. C'est qu'il adore les losers magnifiques et leur donne de très belles lettres de noblesse. Salvadori apporte surtout ce qui manque cruellement à nombre de comédie françaises, un peu de poésie !
C'est qu'il faut être sacrément doué pour livrer une comédie "différente", sans baisse de régime, avec une profondeur de la thématique et des acteurs tous à leur place. C'est l'un des exercices de cinéma les plus difficiles. C'est pour celà que "En liberté !" est LA comédie à voir cette année.
N°08 - Spider-Man : New Generation
Quelle excellente surprise que ce dessin animé survitaminé et intelligent qui renouvelle la thématique de Spider-Man avec grande classe.
Depuis les films de Sam Raimi, Sony nous a infligé deux affreux reboots particulièrement ratés et sans saveur pour au final rebooter de nouveau son super héros par la case Disney en s’associant à la firme aux grandes oreilles et en lui permettant d'utiliser le personnage dans plusieurs de ses films Marvel dont les Avengers.
Et au final c'est en revenant à l’essence du comic, le dessin et à sa multiplicité, que Sony vient de signer un énorme coup de force. Le film est un tel succès critique et public que plusieurs suites seront lancées. Le film Venom qui était une bouse mais a cartonné va compléter ce multiverse Spider-Man autour duquel Sony va préparer le retour de son héros rouge.
Mais revenons au succès indéniable de ce "Spider-Man : New Generation".
Sony choisit déjà de raconter une des histoires de Spider-Man qui a cartonné en comics mais n'a jamais été adaptée, celle de Miles Morales, un adolescent afro-américain qui se fait piquer par le même type d'araignée que celle qui a piqué Peter Parker, le vrai et originel Spider-Man.
Et c'est une idée géniale car le super-héros qui a connu six adaptations en 20 ans, voit sa meilleure se dévoiler devant nous. Le film est bien entendu très qualitatif au niveau de l'animation mais il mêle surtout diverses animations différentes, du style Pixar 3D de la plupart des dessins animés du moment au dessin animé en 2D classique, référencé pages de comics en passant par le manga et ceci dans un même plan. Ceci donne au film un hommage au pop art absolument sidérant. En multipliant les spider-man et en utilisant un arc narratif bien connu des comics, les jeunes réalisateurs insufflent une fraicheur inattendue.
Le film est très drôle, bourré de clins d’œils et de références jusqu'à la série Tv des années 70.
Le film est une explosion d'inventivité, de trouvailles graphiques, irrévérencieuses mais toutes au service d'une histoire qui se tient.
Les réalisateurs sont de vrais fans et sont généreux et çà explose à la figure. Ils mêlent les bulles de BD et la tradition à une esthétique acidulée. Leurs choix totalement hybrides et psychédéliques font de ce "Spider-Man : New Generation" le meilleur Spider Man jamais réalisé.
N°07 - "3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance" de Martin McDonagh
Il y a déjà 10 ans, Martin McDonagh surprenait tout le monde avec l'excellent "Bons baisers de Bruges", comédie noire particulièrement enlevée et drôle. Son second essai, "Seven Psychopathes" avait en revanche grandement déçu. C'est donc avec plaisir que l'on retrouve son talent avec cette histoire pour le moins originale.
La géniale Frances McDormand, épouse de Joel Coen depuis 34 ans (oui oui les frères Coen) tient la tête d'affiche et pourrait décrocher un Oscar après celui obtenu pour Fargo il y a 21 ans. On peut citer dans sa filmographie "Sang pour sang", "Mississippi Burning", "Hidden Agenda" de Ken Loach, "Short cuts" de Robert Altman, "Presque Célèbre", "The Barber", ou "Moonrise Kingdom" de Wes Anderson. Autant le dire tout de suite, elle mérite son deuxième Oscar.
Après des mois sans succès sur l'enquête sur la mort de sa fille, Mildred Hayes décide d'afficher un message dénonçant l'inaction du chef de la police sur trois grands panneaux à l'entrée de leur ville.
Si le film fonctionne très bien, c'est qu'il alterne des scènes intimistes profondément douces et réalistes avec de la pure comédie jubilatoire portée par des situations et des dialogues ciselés.
Car tant pour cette mère détruite, son fils joué par l'excellent Lucas Hedges (Manchester by the Sea) que le shériff en fin de vie porté par un Woody Harrelson au top, nombre de scène font preuve de pudeur et visent très juste sur le recul qu'ont les personnages par rapport à leur vie passée, ce qu'ils ont vécu avec joie et la finitude de cette période. Martin McDonagh déclenche des éclats de rire dans la salle par l’absurdité des situations dont le mari de Francs McDormand et son frangin auraient pu en faire le sel d'une de leurs comédies.
Et c'est très drôle. Un personnage aide à déclencher ce rire, le génial flic raciste et débile joué par Sam Rockwell, excellent. Son personnage évolue d'ailleurs étrangement, ce qui donne au film une dimension particulière et un regard bienveillant sur cette Amérique paumée qui a voté Trump par ignorance et qui ne sait pas trop où elle en est.
Le casting du film est l'un des meilleurs de l'année réunissant aussi Peter Dinklage (Thyrion de Games of Thrones), ou Caleb Landry Jones.
Mais le film a aussi une profondeur, un sous-texte sur la vengeance, la justice personnelle et la capacité à pardonner l'autre alors que l'Amérique d'aujourd'hui est dirigée par un type vulgaire, violent et raciste. Le film ne donne pas de leçons balourdes, il est juste dans la générosité. Les personnages sont profondément attachants et émouvants tout en nous faisant marrer par leurs répliques assassines ou leurs comportements farfelus.
"3 Billboards" est drôle, corrosif, audacieux et surprenant. Courrez y !
N°06 - "Wonder Wheel" de Woody Allen
Décidément, lorsque le maitre New-Yorkais remonte le temps, ceci lui sied à merveille. Après son très bon "Café Society" il y a deux ans, Woody décide de planter son décors à Coney Island, dans les années 50 et il le fait de façon théâtrale. Car oui, "Wonder Wheel" est un hommage au théâtre des plus brillants. Il suit Giny, cette femme serveuse à la vocation d'actrice ratée par un mauvais choix de vie, qui se retrouve vivre avec un homme ex alcoolique qu'elle n'aime pas, en plein milieu d'une fête foraine perpétuelle qui lui donne des mots de tête. Elle est malheureuse et sans perspective.
Là, Giny, malgré son caractère de star déchue lunatique qui voit tout en noir, rencontre un bel homme, écrivain en devenir, poète, interprété par un Justin Timberlake au cordeau. Sauf que leur passion va se trouver vite contrariée par la fille de l’époux trompé, pulpeuse blonde à la vie bien plus trépidante que sa belle-mère quarantenaire, poursuivie par la mafia soit un enjeu bien plus romantique pour le jeune homme. Au milieu de ce drame, Allen n'oublie jamais son humour incongru avec notamment ce gamin, ce fils indéfectiblement pyromane.
Kate Winslet, qui interprète cette Giny tantôt insupportable tantôt pathétique, nous prouve encore une fois qu'elle est l'une des plus grandes actrices de sa génération, convoquant la Vivien Leigh de "Un tramway nommé désir" dans un hommage à peine voilé. Et voir surgir l'immense Tennessee Williams chez Woody Allen, c'est plus surprenant que d'y voir cité et référencé Tchekhov, son autre source d'inspiration de "Wonder Wheel".
Kate Winslet est juste prodigieuse et magistrale dans cette perdition d'une femme qui a cru être sauvée et se voit de nouveau happée par les fantômes de ses échecs.
Le hasard et le destin sont particulièrement cruels dans cet opus de Woody Allen mais le film est au final l'un des meilleurs de ses dernières années. Un excellent cru.
N°05 - "Les Frères Sisters" de Jacques Audiard
Avec un casting pareil et le défi que le plus grand réalisateur français du moment s'attaque au mythe du western, en langue anglaise, on pouvait légitimement craindre le pire.
Mais Jacques Audiard n'aime pas les westerns et a bien compris qu'il n'y avait pas un style mais que le genre était protéiforme. Le western a ceci de magique qu'il pose immédiatement un cadre, une époque, et permet à l'artiste d'y développer ses propres thématiques.
Non seulement Audiard réussit avec les "Frères sisters" à passer ces obstacles mais il livre un film très personnel, d'une grande humanité, où l'émotion est pudique mais prégnante.
On va donc suivre deux frères hors-la loi, interprétés par les excellents Joaquin Phoenix et John C. Reilly.
Phoenix est l'un des meilleurs acteurs au monde et nous le prouve de nouveau dans ce rôle d'homme qui n'a connu que la violence pour survivre et a entrainé son grand frère, fatigué de ces tueries et qui cherche à se poser et à trouver un sens à sa vie. John C. Reilly est magistral, d'une très grande finesse malgré sa stature de mâle brutal. Et quelle relation passionnante que cette fratrie qui se protège et se perd dans une course contre la mort.
On y voit l'Amérique ancienne du far west, une nation enfant qui a défriché ces terres dures par nécessité vitale mais qui a mis du temps à instaurer une société organisée à cause de la cupidité individuelle. Puis elle a laissé place à un monde de progrès, où le capitalisme a émergé mais la transition aurait pu être différente. C'est d'ailleurs l'énorme surprise du film que de voir ces deux mondes se confronter et se rencontrer et parler d'idéalisme. Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed sont le côté lumineux de cette médaille. Leur jeu est parfait pour montrer sans mots leur ambition de sortir de cet âge barbare. Mais ils se trompent sur la direction qu'il prendra et c'est d'autant plus déchirant.
Le réalisateur garde toujours une hauteur de vue, un regard bienveillant et empathique pour ses personnages. Il aurait pu se planter en tentant l'expérience américaine (i.e avec des acteurs et une langue qui n'est pas la sienne). En effet, nombre de ses illustres prédécesseurs s'y sont cassés les dents.
Et pourtant Jacques Audiard signe une pépite d'émotion, grave mais onirique, parfois drôle et plutôt portée vers la lumière. Son film a de la profondeur d'esprit et il est incarné par des acteurs au sommet. Il s'agit probablement de l'un de ses plus grands films, prouvant qu'il reste une pointure dans le cinéma français d’aujourd’hui.
N°04 - "Hostiles" de Scott Cooper
Scott Cooper est l'un des excellents réalisateurs américains découvert ces dix dernières années. De son Crazy Heart avec Jeff Bridges, de son très beau Les Brasiers de la Colère avec Christian Bale à son Strictly Criminal où Johnny Depp retrouvait un rôle en or, à chaque fois sa direction artistique s'avérait d'une très grande finesse.
Ici le réalisateur s'attaque à une genre protéiforme dans l'histoire du cinéma américain, le Western.
Si ce n'est que là où son film est de facture classique dans sa mise en scène, toute la nuance vient de l'écriture des personnages. Christian Bale est comme toujours brillant dans le rôle de ce capitaine, héros de guerre ayant massacré des indiens et qui va peu à peu revenir sur cette déshumanisation qui a détruit sa vie peu à peu.
Alors qu'on lui confie le rôle de mener Yellow Hawk, chef de guerre Cheyenne mourant, sur ses anciennes terres tribales, ce dernier va se trouver confronté à ses fantômes. En premier lieu il sauve une femme dont la famille s'est faite massacrer par les Comanches, à laquelle Rosamund Pike donne une incarnation troublante. Puis ils vont survivre dans cet univers sans pitié où la mort frappe aveuglément jeune comme vieux, homme comme femme et enfants. Cette vie d'une dureté sans nom, que tout le groupe a connu et qui va s'abattre de nouveau au cours de leur voyage, va façonner une remise en question des préjugés des uns et des autres.
"Hostiles" est un magnifique film sur la rédemption, le remords, le pardon et l'instinct de vie.
Scott Cooper développe son récit avec une pudeur et une retenue rares qui donne au film un panache, au-delà de la superbe photographie du long métrage. En plus d'être un spectacle certes violent mais au suspens bien réel, le film a une autre dimension, mélancolique.
Il y a autant de styles de westerns que de réalisateurs différents s'y étant attardés. Bien souvent je subis de la part de spectateurs leurs a priori sur le western alors même qu'il est totalement faux de parler d'un genre. Celui que nous livre Scott Cooper est d'une profonde humanité, d'un regard triste sur la condition humaine et l'absence de limites dans l'horreur. C'est aussi un long métrage profondément poignant à plusieurs reprises, qu'il nous montre ces soldats vidés de leurs sentiments ou au contraire ces indiens déracinés qui arrivent à communiquer quand même avec l'envahisseur.
La fin du film est l'une des plus belles que j'ai vues depuis longtemps (hormis celle de Call me by your name), d'une classe folle qui bouleverse par sa justesse et son absence de didactisme.
Un grand film humaniste, épique et flamboyant.
N°03 - "La forme de l'eau" de Guillermo Del Toro
Guillermo Del Toro fait partie de ces réalisateurs comme Tim Burton, Terry Gilliam ou Jean-Pierre Jeunet, qui ont fait carrière dans l'imaginaire et ont une identité visuelle forte, un style reconnaissable en quelques plans. Ils sont rares et en général ont un public fidèle, à juste titre. Le problème de Del Toro est que ses scénari n'étaient pas toujours au rendez-vous, ce qui a pu amoindrir le beau "Crimson Peak". Cependant Blade 2, Les deux très bons Hellboy et Le Labyrinthe de Pan ont marqué chacun le genre fantastique.
Avec son lion d'Or remporté à Venise pour "La forme de l'eau", le réalisateur mexicain signe à 53 ans son plus beau film, extrêmement réussi à tous les niveaux, à commencer justement par son point faible habituel, le scénario.
Chaque personnage est écrit avec finesse, et trouve dans le dispositif du film une place qui n'est jamais celle d'un simple faire valoir. Richard Jenkins (le père dans Six Feet Under) a un rôle à la fois empathique, drôle et émouvant dans cet homosexuel qui vit seul et cherche un amour impossible dans une Amérique intolérante et conservatrice. L'amie noire de l’héroïne représente une autre minorité maltraitée par cette Amérique blanche raciste des années 50 et 60. Mais ces laissés pour compte sont dépeints avec délicatesse, sans caricature ou trait forcé.
Le grand méchant est joué par un Michael Shannon au visage si expressif et flippant, représentatif du mâle Alpha dans toute sa splendeur et ses limites mentales dont la première est le manque d'imagination et de poésie. Guillermo Del Toro imprègne son long métrage d'un contexte historique comme dans L'échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, renvoyant aux carcans d'une époque. Mais il rend aussi hommage à tout un pan du cinéma bis de ces années là, au premier rang desquels L'Etrange créature du lac noir dont est fortement inspirée le personnage amphibien du film.
Et puis il y a cette histoire d'amour, cette poésie entre Sally Hawkins, brillante en femme muette, pas très belle et cette créature subissant la torture d'humains trop cartésiens pour imaginer la différence. Guillermo Del Toro utilise son talent visuel, ses lumières et couleurs si particulières, baignées de bleu vert sous-marin. Mais il arrive surtout à nous conter une histoire qui aurait pu sombrer dans le ridicule complet alors qu'on contraire, son film décolle vers une légèreté, une finesse bluffante. Une scène de comédie musicale arrive avec une finesse exceptionnelle à faire s'envoler l'histoire vers de la pure poésie. Le film touche à l'universalité avec des messages simples, naïfs mais jamais faciles ou éculés.
L'émotion prends alors corps face à cette histoire de monstre et vous cueille quelques sourires et quelques larmes, gages de l'excellence de "La forme de l'eau".
Le film est une belle fable féérique, loin du cynisme contemporain, qui parle de tolérance et couronne avec grâce l'un des grands réalisateurs de notre temps. Cet enchantement fera du film un classique.
N°02 - "Woman at War" de Benedikt Erlingsson
Voici un film islandais vraiment excellent que je n'avais pas vu venir et qui s'avère être l'un des meilleurs films depuis le début de cette année 2018.
Halla, la cinquantaine, déclare la guerre à l’industrie locale de l’aluminium, qui défigure son pays. Elle prend tous les risques pour protéger les Hautes Terres d’Islande… Mais la situation pourrait changer avec l’arrivée inattendue d’une petite orpheline dans sa vie…
Comment dire ? " Woman at War" a un charme irrésistible. Il est difficile de ne pas adhérer à cette héroïne complétement dingue qui risque sa vie et des années de prison pour monter l'opinion publique contre les pouvoirs publics et une industrie qui dévore notre planète sans se soucier des conséquences. Son terrorisme est communicatif car il est bienveillant et hélas voué à l'échec. Le réalisateur a plusieurs idées géniales. D'abord il utilise les paysages à couper le souffle de beauté de cette campagne et des glaciers d'Islande. Et pour un film voué à une cause écolo, c'est déjà un point d’acquis. Ensuite, il use d'un humour désopilant, burlesque, tout en second ou troisième degré avec des personnages tous droit sortis des fictions du Nord de l'Europe, tous en retenue pince sans rire mais viscéralement déterminés et humains.
Ce qui surprend c'est l'audace de cette mise en scène. Utiliser en contre champs un trio de musiciens free-jazz ou des chanteuses aux intonations balkaniques pour surligner l'état d'esprit du personnage principal, pourrait être ridicule car n'est pas Kusturica qui veut. Et bien là non seulement çà passe mais en plus, c'est carrément classe.
Son film est parfois poétique, souvent comique par l'absurde et vogue sur un réel suspens. Il n'adopte aucun genre à part celui de rester libre et indépendant comme son héroïne...et fatalement, il surprend.
"Woman at War" est un véritable coup de cœur car il sait rester léger et donne un grand souffle d'air frais. On en ressort en se disant qu'on a enfin vu une proposition de cinéma différente, avec du fond sur un récit d'aventures suffisamment farfelu pour créer une étrangeté particulièrement réussie, sans oublier d'être émouvant.
N°01 - ex aequo - "L'homme qui tua Don Quichotte" de Terry Gilliam
Je suis enfin sorti de la projection de ce film que j’attends depuis 20 ans car c’est mon réalisateur favori, que son imaginaire m’a toujours cueilli et que j’ai vécu comme beaucoup ses multiples mésaventures durant deux décennies ...18 ans d’obsession, un risque considérable d’être déçu car ce film je l’ai fantasmé...et je serai au « regret » de vous dire que je n’ai pas été déçu...et pourtant, on a beau adorer Gilliam, on n'en n'est pas pour autant moins exigeant, bien au contraire. Ses frères Grimm et son Zero Théorem m'avaient refroidis.
Pas assez ému peut-être, quelques longueurs au début mais une mise en place hyper originale et une difficile compréhension de cet accueil froid de certains critiques car le film a vécu une gestation des plus compliquées de l’histoire du cinéma et au final deux adjectifs s’imposent en sortant de la salle, « généreux » et « bordélique « !
Généreux parceque chaque scène se justifie et déborde d’énergie, d’inventivité faisant penser parfois à Tideland pour sa capacité à créer l’imaginaire à partir de bouts de ficelles et c’est un tour de force qui impose le respect. La presse qui a affublé le film de balourdise sur les migrants ou les attentats n’a rien compris au message qui est certes naïf mais qui correspond à l’esprit d’un roman comme Quichotte et sa réactualisation.
Le film est surprenant, avec si peu de moyens il arrive à montrer toute la folie du personnage, il est bourré d'idées et bordélique comme le roman et comme un film de Terry Gilliam. Et au final le style de Gilliam est là, tout du long et on a rarement eu l’occasion de côtoyer d’aussi près l’artiste, ayant limite l’impression d’être à ses côtés sur le tournage lorsqu’il a dû trouver des trésors d’ingéniosité pour palier à son budget serré. Et si la première partie peut sembler longue, elle a le mérite d’installer un regard moderne sur l’œuvre de Cervantès et de la rendre digeste là où tous les autres projets de cinéastes se sont ramassés sur Don Quichotte. Car adapter cette œuvre pourrait déboucher sur une succession de scènettes datées, inscrites dans l’inconscient collectif mais juste illustratives. Le fait que le film soit méta, qu’il parle de l’incroyable aventure de Gilliam sur 30 ans de galère donne du corps et de l’humain à des visions qui sinon n’auraient été que désincarnées.
Quand Terry Gilliam dit que l’approche de Cervantès rend fou et tourne à l’obsession et qu’au final c’était un passage obligé, c’est peut être vrai. « He did it » disaient des internautes sur Twitter lorsque à la fin de la projection en clôture du festival de Cannes, la salle a ovationné Gilliam durant 15 minutes. Son film est beau et a du panache y compris dans ses défauts et ses maladresses car il respire la persévérance et la capacité à se créer ces obstacles imaginaires, ces aventures de pacotille pour tenir un fil rouge, se fixer un cap et survivre même dans le ridicule. Cette scène de cheval de bois est magique pour ce qu’elle représente. De cette peur pour Gilliam de devenir un vieil homme risible aux ambitions éculées oui, mais aussi pour cette semi-conscience de la folie dans laquelle le personnage se met en scène lui-même. D’ailleurs la confession de l’avant dernière scène est bouleversante car elle instaure un doute, une double lecture comme souvent dans les fins d’un très bon Terry Gilliam. La fin est non seulement émouvante mais résonne longtemps après comme un hymne au fil directeur de toute une vie de cinéaste. Forcer le réel et les plus viles bassesses de l’humain pour y insuffler un peu de poésie et d’échappatoire. C’est naïf mais c’est touchant et sincère.
Les acteurs sont excellents. Jonathan Pryce a eu raison de tanner Gilliam si longtemps, il est parfait dans un rôle loin d’être évident. Voir l'acteur de Brazil incarner ce personnage iconique dans la carrière de Terry Gilliam est un symbole en soit. Quant à Adam Driver, il trouve le premier rôle de sa carrière qui lui permet d’exprimer son talent. Gilliam a toujours été doué pour ses castings. Malgré les multiples duos qu’a connu le film depuis son premier échec de tournage en 2000, il réussit à trouver une alchimie entre eux.
Les références au projet lui même sont une super idée.
Le film est un hymne testamentaire et un encouragement aux jeunes cinéastes, à la persévérance et à la nécessité de s’affranchir du tout commercial. Terry Gilliam a conscience qu’il touche à la fin de sa carrière et le film est très mélancolique car on a du mal à trouver qui reprendra son flambeau parmi les cinéastes d’aujourd’hui. Quichotte est vivant et Terry Gilliam est vivant aussi, profitons en! Soyez joyeux qu’il puisse encore nous émouvoir et l’histoire n’est pas terminée.
La patte de Gilliam est là à chaque instant, d’une inventivité bluffante.
Ce n’est pas le chef d’œuvre qu’on aurait pu espérer mais c’est un très bon film et c’est déjà énorme en soit ! Énorme que chez des spectateurs exigeants l’ayant espéré durant 20 ans, il ne provoque pas de déception mais au contraire une envie de revoir le film. Une critique anglo saxonne disait que le monde serait bien triste sans cette folie dont seul Terry Gilliam a le secret...
Je suis non seulement heureux d’avoir accompagné par l’esprit durant 20 ans cette œuvre, heureux que ce funambule m’ait donné un fil directeur et des géants à combattre pour pimenter mes rêveries et mon quotidien. Heureux enfin que le film existe, qu’il puisse désormais vivre pour lui et non plus pour la légende de sa production...qu’il puisse vieillir comme un bon cru et acquérir les lettres de noblesses qu’il ne manquera pas de conquérir comme bien d’autres films de Terry Gilliam, pas toujours compris à leur sortie. « Aujourd’hui est une magnifique journée pour l’aventure »... pour la première fois depuis 20 ans elle se fera sans fantasmer « L’homme qui tua Don Quichotte » et ça fait un peu bizarre, j’avoue. Une page se tourne et l’émotion vient car le message du film est plus que présent mais d’autres moulins s’annoncent au loin et au final, c’est le principal...
N°01 - ex aequo - "Call me by your name" de Luca Guadagnino
Au début des années 1980, Elio, 17 ans, passe ses vacances dans la maison de famille de ses parents au Nord de l'Italie, entouré de son père, professeur spécialiste de la culture gréco-romaine, de sa mère, traductrice, et d'amis du village. Intelligent et fin voire érudit, Elio ne connait encore rien du sexe et de l'amour. Oliver, un américain étudiant en doctorat, est invité par son père à venir terminer ses études, logé chez eux durant trois semaines. Elio et Oliver vont d'abord de se rejeter avant de vivre une histoire passionnée.
Après un parcours en festivals triomphant depuis un an, voici enfin la romance gay "Call me by your name". Il n'y a rien d'étonnant à ce que le grand James Ivory (Maurice, Les Vestiges du jour, Retour à Howards End) soit le scénariste de ce roman d'André Aciman, tant on retrouve ses thèmes de prédilection, des individus éduqués dont les désirs doivent rester cachés pour des raisons sociales.
Luca Guadagnino avait quant à lui surpris avec le superbe "Amore" avec Tilda Swinton, qui contait déjà une histoire de passion entre une femme mure et le meilleur ami de son fils. Avec "Call me by your name", il signe un chef d’œuvre de subtilité, prenant son temps pour installer le désir, puis le sentiment, jouant avec notre impatience, y mettant même un certain suspens, et arrive à saisir des sentiments particulièrement complexes à traduire à l'écran.
Bien sûr, ses deux acteurs tout comme les parents joués par Amira Casar et Michael Stuhlbarg sont excellents. Ce dernier donne même l'une des scènes les plus poignantes du film, un discours de père à fils d'une profonde bienveillance, d'un recul sur la vie qui réchauffe le cœur au moment où le film vient de vous tirer les larmes les plus désarmantes.
"Call me by your name" n'est pas un film mièvre, ou facile et n'apporte son lot d'émotions qu'au terme de son histoire, mais de façon assez déconcertante de simplicité.
Tout le reste du film est l'histoire d'un éveil à la sensualité, au premier sentiment amoureux, à travers des détails, des regards, le trouble que provoque ce sentiment chez le personnage d'Elio. Timothée Chalamet est solaire dans ce rôle d'un jeune homme plutôt arrogant, qui sait qu'il est cultivé et qui ne cherche qu'à découvrir son premier amour. Il est surtout poignant dans la finesse de son jeu lorsqu'il exprime les sentiments qui l'assaillent. Un rôle loin d'être évident, qui évolue peu à peu par petites touches et qui doit probablement à une très bonne direction d'acteurs. Face à lui, Armie Hammer ne fait pas preuve d'un charisme de fou mais il incarne la masculinité brute, le sportif cultivé, séducteur et qui refoule son homosexualité aux yeux de la société.
C'est d'ailleurs un jeu de cache cache qui débute rapidement entre ces deux garçons qui sont surpris et curieux de cette rencontre. L'indolence des personnages, qui profitent de cet été gorgé de fruits, de littérature, d'archéologie, ainsi que le rythme doux et lent du film, laissent la place à l’observation du moindre détail des personnages. Le spectateur est en attente, en témoin impudique d'une histoire pourtant d'une extrême pudeur. C'est une mise en scène sophistiquée qui arrive à s'effacer derrière son sujet, à n'y laisser paraitre que la simplicité de ce genre d'histoire, universelle en soit et donc d'autant plus prenante. Certes, celles et ceux ayant connu la passion seront probablement plus sensibles au film que les autres.
Le réalisateur installe une tension dans ce duo lumineux, en distillant lentement des petits pas, montrant leurs hésitations, leurs doutes, les allers-retours entre ces personnages qui s'attirent puis se rejettent avant d'arriver vers le basculement du jeune homme. Ces sentiments sont tous exprimés avec une économie de mots au milieu d'un été radieux, avec un homo-érotisme pudique tout au long du film.
Luca Guadagnino va donc durant deux heures faire monter la passion devant nos yeux, de façon fluide. Il use du jeu de distance et de proximité des personnages dont la scène où ils se révèlent l'un à l'autre, autour d'une statue au milieu d'une place. Une scène qui résume à elle seule le talent de mise en scène qui nous tient en haleine.
Puis le réalisateur va donner la luminosité de l'apogée de cette passion, son vertige ainsi que le bonheur hors sol qui s'en dégage jusqu'au déchirement qu'elle provoque inévitablement. Le film passe d'une légèreté quotidienne de cet été où les personnages se jaugent à une charge émotionnelle qui finit par exploser.
La finesse du film résonne longtemps après la séance, à tel point qu'on aimerait prendre des nouvelles du petit Elio, tant le personnage est attachant, déchirant et désarmant face à ce qu'il vient de vivre. Il y a dans "Call me by your name" à la fois le bonheur du meilleur de la passion et son deuil impossible car il est la traduction de la perte d'une parenthèse enchantée, forcément magnifiée. Le sol se dérobe et pourtant la vie continue et on voudrait connaitre la suite tant Timothée Chalamet excelle d'intensité dans ce plan de fin de film. Malgré cette fin bouleversante, le pathos n'a pas de prise sur le film, ce qui est là aussi l'une des réussites bluffantes de "Call me by your name".
Voilà, allez-voir ce film éblouissant d'humanité, de grâce, de simplicité qui vous imprégnera pour un long moment, ce qui est la marque des films majeurs.
2019
N°11 - "L'heure de la sortie" de Sébastien Marnier
orsque Pierre Hoffman intègre le prestigieux collège de Saint Joseph il décèle, chez les 3e, une hostilité diffuse et une violence sourde. Est-ce parce que leur professeur de français vient de se jeter par la fenêtre en plein cours ? Parce qu’ils sont une classe pilote d’enfants surdoués ? Parce qu’ils semblent terrifiés par la menace écologique et avoir perdu tout espoir en l’avenir ? De la curiosité à l’obsession, Pierre va tenter de percer leur secret...
Porté par un excellent Laurent Lafitte, le film de Sébastien Marnier est l'une des très bonnes surprises du cinéma français en 2019. Il est en effet rare que le cinéma de genre soit traité en France de façon fine et sans tomber dans trop de clichés ou sans décevoir par son épilogue.
"L'heure de la sortie" arrive à créer une atmosphère pesante entre thriller psychologique et codes du film horrifique voire fantastique pour nous parler d'écologie. Oui, je sais, ce n'est pas évident en lisant le pitch et c'est tout l'intérêt de cet excellent film que de se laisser porter et surprendre par son récit et là où il veut nous mener au final.
La bande d'adolescents supérieurement intelligents est à baffer du début à la fin et c'est super car ceci accentue la destination des personnages que l'on peut avoir et le mélange des pistes que souhaite créer le metteur en scène.
Cette mise en scène est d'ailleurs léchée et déconcertante de par certains de ses choix, surprenante toujours. Le film nous parle de la jeunesse d'aujourd'hui ou d'une certaine jeunesse, de leur prise de conscience via une ambiance sonore et hypnotique rare.
Un film étrange qui fait réfléchir sur notre avenir.
N°10 - "The Lighthouse" de Robert Eggers
Robert Pattinson est typique du genre d'acteur qui m'a considérablement gonflé et a conquis peu à peu mon respect de cinéphile par ses choix intelligents de carrière et par son talent qu'il développe. Issu des irregardables Twilight, il a su enchainer Cosmopolis et Maps to the stars de David Cronenberg, il est passé chez James Gray dans l'excellent "The lost city of Z", il s'est ensuite fait diriger dans le très bon "Good time" des frères Safdie, puis dans l’excellent "High life" de Claire Denis. Avant de faire partie du Tenet de Christopher Nolan en 2020 et d'être le nouveau Batman en 2021, l'acteur nous prouve ici qu'il peut aller très loin dans cet Ovni qu'est "The Lighthouse". Il y joue un jeune homme embarqué sur un phare avec un vieil homme tiranique pour garder ce dernier. Et le duo composé par l'excellent et régulier Willem Dafoe et Pattinson offre une joute assez bluffante. Les deux vont tomber dans une spirale de folie assez prodigieuse portés par une mise en scène ultra référencée de Robert Eggers.
Au-delà de ses trouvailles visuelles, de son superbe noir et blanc, de son découpage, de sa musique, le talent de ce réalisateur prometteur éclate au grand jour et nous fait espérer la naissance d'un grand cinéaste.
Le réalisateur use certes d'artifices déjà vus par ailleurs mais bien souvent les plus grands s'inspirent de leurs prédécesseurs et les citent pour mieux créer leur propre univers. Cette démonstration est en tout cas très convaincante.
On ne sait pas si l'auteur se rapproche de Sartre et nous dépeint une allégorie de l'enfer ou simplement l'enfoncement d'un être dans la folie et dans sa propre tête malade.
La forme et l'esthétique n’empêchent pas la tension de se créer et les interrogations d'apparaitre entre fulgurances horrifiques et dialogues illuminés d'un Willem Dafoe au sommet. Le film est anxiogène mais pas plombant, jouant sur l'épouvante sans jamais s'y plonger totalement, dans le but ultime de laisser le spectateur interrogatif.
N°09 - "Portrait de la jeune fille en feu" de Céline Sciamma
Le pitch : 1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.
Après "Naissance des pieuvres", 'Tomboy" et "Bande de filles", la réalisatrice et scénariste Céline Sciamma est revenue en compétition à Cannes avec ce film en mai 2019.
Le film est reparti avec le prestigieux Prix du scénario même si il pouvait viser plus haut tant la presse fut excellente. Mais il y avait d'autres concurrents dont le génial Parasite.
Il est vrai que l'histoire est somme toute très originale, ce qui fait un bien fou dans cette période où remakes et reboots envahissent Hollywood.
Céline Sciamma ne fait pas que filmer la condition d'une femme et la marchandisation future de sa vie pour le bien de sa mère et de sa famille. Elle filme surtout la retenue que leur impose leur éducation et qui enserre la passion qui va s'enflammer.
Cette frustration immense qui nait devant nos yeux est dévorante et s'appuie sur grande délicatesse du découpage de son scénario sur la durée.
Voire le désir naitre, entre deux femmes du 18ème siècle qui plus est, aurait pu prendre de multiples formes mais la réalisatrice choisit une poésie et un naturalisme qui vous attachent aux personnages malgré la rigueur de leur quotidien, de leur destinée et des conventions avec lesquelles elles jouent. C'est une ode à la littérature et la peinture, à l'art tout simplement pour s'échapper de l’archaïsme social.
Le travail sur les gestes, les postures et la couleur des scènes est remarquable. Céline Sciamma capte le temps et le souvenir avec un talent évident.
"Portrait de la jeune fille en feu" est une œuvre solaire et moderne portée par deux interprètes excellentes, Adèle Haenel et Noémie Merlant.
C'est un film élégant, esthétique et déchirant à la fois. Un des très bons films français de 2019.
N°08 - "Les Misérables" de Ladj Ly
Ladj Ly adapte son long métrage qui avait déjà reçu de nombreux prix et a décroché le prix du jury au dernier festival de Cannes.
Le film suit les premiers jours de Stéphane, policier tout juste intégré à la BAC du 93, ,la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil. Ses deux co-équipiers se font respecter étant eux mêmes aussi provocants et violents dans leurs attitudes que la population et la jeunesse qu'ils côtoient jusqu'à ...
Évidemment le film force le respect par la justesse et le recul que prend le réalisateur sur l'état des cités et de leur abandon, sur la déliquescence du lien social. Son constat est sombre même si l'humour alterne avec l'extrême tension et violence qui gère les rapports entre chaque groupe. Il y montre notamment l’impact et l'enracinement d'un Islam radical qui apporte un certain cadre ou la gestion mafieuse par quelques caïds ou le climax de guerre civile entre clans. Mais le réalisateur se concentre aussi sur le rapport des policiers aux très jeunes délinquants, de plus en plus jeunes sans porter de jugement. Il n'excuse ni les adolescents ni les flics aux comportement souvent discutable mais il tente d'expliquer pourquoi ils en sont arrivés là.
Leur quotidien sous pression est évident de par l'antagonisme extrême entre leur rôle et la perception ou la haine de la population. Quant aux enfants, il ne juge pas non plus leurs parents mais fait un constat, celui que la cité enferme des enfants qui deviennent des bêtes en cage, dangereux pour eux mêmes et pour les autres et qu'il y a peu d'espoir dans l'état actuel.
L'empathie profonde de Ladj Ly pour ses personnages transparait, aucun n'étant caricaturé. Sa narration est très bien maitrisée de bout en bout, nous amenant par petites touches de ce quotidien déjà hallucinant à une conclusion sous forme d'uppercut.
L'état des lieux a beau être catastrophique, le film a le mérite de soulever des questions qu'on aborde certes depuis des décennies mais sur lesquels des visages ont plus d'impact. Le réalisateur n'a aucune solution et c'est ce qui est flippant mais il pose un diagnostic édifiant.
Un grand tour de force narratif et un talent de mise en scène évident servi par une excellente distribution.
N°07 - "Marriage Story" de Noah Baumbach
Noah Baumbach est un réalisateur de grand talent, sensible, intellectuel New-Yorkais jusqu'au bout des ongles. On se souvient de son magnifique Francès Ha.
Pour son second film produit par Netflix, il décide de nous conter l'histoire d'un divorce entre un scénariste de théâtre et son épouse, comédienne. On y voit les déchirements classiques autour de leur fils, du lieu de résidence, des petites choses et mesquineries qui s'infiltrent peu à peu, exacerbés par deux avocats horribles campés par les excellents Laura Dern et Ray Liotta. Ou comment le système judiciaire américain est une industrie de la confrontation ou les avocats coûtent une fortune et peuvent accroitre les problèmes pour justifier leurs honoraires.
Mais surtout le duo d'acteurs est exceptionnel. Scarlett Johansson est tour à tour touchante, resplendissante, furieuse et surtout particulièrement sur le fil du rasoir. Elle exprime tous les doutes qui la traversent quant à son choix et toute la difficulté de faire le deuil d'un amour et d'une vie de couple.
Face à elle, Adam Driver est brillant et confirme qu'il est l'un des acteurs qui compte désormais à Hollywood. Sa démarche masculine et sa voix rauque, les certitudes de son personnage et son incrédulité de départ face à ce qui lui arrive, face à l'évidence que son monde ne peut s'effondrer, rendent encore plus touchant ses moments de solitude comme de rage. Une scène d'insultes entre les deux époux en plein divorce est assez déchirante en soit.
Bien souvent "Marriage Story" vous tire des larmes. Parfois c'est devant la rudesse de ces combats et de la petitesse des attaques, parfois face à la nostalgie des moments heureux où le simple constat du temps qui a passé et a finis par faire son œuvre.
L'ambivalence des sentiments des deux protagonistes donne à leur lutte un côté déréglé et factice qui trouble lorsque la réalité de leurs choix refait surface. Car bien souvent, c'est cette nuance qui prédomine quant la colère s'endort.
La finesse d'écriture du scénario tout comme le choix des scènes et de leur découpage saccadés sont brillants de bout en bout, prouvant une fois de plus que Noah Baumbach n'est pas qu'un excellent directeur d'acteurs, c'est aussi un réalisateur inspiré et doué. Son film est sobre et d'autant plus puissant dans ses émotions. Il utilise des moments si criants de vérité et de simplicité que l'effet du film est forcément décuplé.
Il utilise un rythme parfois violent, faisant des allers retours entre orages et accalmies sur les sentiments des protagonistes, laissant espérer que ce fleuve n'ira pas jusqu'au bout mais la vie avance et pas toujours dans le sens voulu et c'est tout le sujet de son film, un film sur le temps et la mutabilité des sentiments face à ce dernier, voulue ou forcée.
N°06 - "Grâce à Dieu" de François Ozon
François Ozon s'intéresse pour la première fois à une histoire vraie et quitte la fiction pour signer un brulot politique auquel on ne peut qu'adhérer.
Il va suivre plusieurs libérations de la parole et plusieurs combats d’hommes adultes ayant subi les sévices sexuels d'un prêtre, inspiré sans aucune précaution de l'histoire du prêtre Bernard Preynat, dont l'affaire est aujourd'hui traitée devant la justice. Ozon ne s’embarrasse pas de changer les noms puisque non seulement on le sent révulsé par l'affaire mais surtout le prédateur a avoué ses crimes. De la même façon, le cardinal Barbarin voit son nom utilisé tel quel, Ozon préférant prendre le parti des victimes et assumer jusqu'au bout, sans hypocrisie aucune. Il nous montre l'aveuglement du cardinal lyonnais et son incapacité à agir voire à minimiser les faits, axant sur le pardon de la première victime qui se manifeste en 2014 et utilisant la profonde croyance du personnage, joué par un Melvil Poupaud au sommet.
Son personnage est écartelé. Il a soif de faire éclater la vérité et surtout d'empêcher le monstre de briser d'autres enfances mais il est issu d'un milieu bourgeois très pratiquant qui ne peut se résoudre à accepter la vérité, quitte à trouver des excuses ou des simili solutions via le pardon. Certaines scènes sont d'ailleurs surprenantes car Ozon arrive à faire rire la salle de remarques complétement surréalistes d'individus vivant dans le déni total.
Denis Ménochet et Swann Arlaud vont chacun interpréter une autre facette sociologique des victimes issues de milieux sociaux différents. Leur jeu est excellent, juste, écorché pour Arlaud et empli de colère pour Ménochet. On va suivre leur combat, leur catharsis avec force et respect pour leur courage.
Le film est sidérant par l'absence de réaction de l'église, la peur de la société mais aussi porteur d'espoir et rassurant sur l'humanité de chacun grâce au combat juste et évident des personnages.
Ce film engagé et brillant fait tout de même halluciner à bien des reprises face à l'aveuglement général. On se dit que forcément les prédateurs sexuels d'enfants se portent naturellement vers ce type de métiers ou vers ceux liés à l'enfance et le malaise est présent. Combien doit-il être difficile pour un homme de pratiquer un métier au milieu d'enfants, avec cette peur sans cesse de déclencher la suspicion. Je ne pourrais que vous recommander le brillant "La Chasse" de Thomas Vinterberg pour vous donner un panel complet du sujet. Mais c'est hélas un mal nécessaire que cette suspicion et cette vérification permanente des parents. Et comme le dit le personnage de Melvil Poupaud à ses enfants, ces derniers doivent savoir que désormais ils savent qu'ils doivent parler, tout de suite.
Le propos de "Grâce à Dieu" est donc très puissant, la narration qui suit chaque victime avant de les réunir est d'une grande fluidité et les 2h17 passent au final assez vite. Ozon a dû sacrément se documenter pour donner autant de détails sur les réactions et comportements des uns et des autres et son caléidoscope social est tout simplement brillant de vérité et de complétude.
Un grand film sur la parole et un film bouleversant.
N°05 - "Once Upon a Time… in Hollywood" de Quentin Tarantino
Un film de Quentin Tarantino est toujours un évènement tant le trublion cinéphile s'avère populaire, dispose de hordes de fans inconditionnels de par le monde et se trouve être l'un des rares cinéastes qui monte à Hollywood des films sur son nom et n'a aucun problème à trouver les budget et surtout trouve son public en salles.
"Once upon a time in Hollywood" est d'ailleurs bien parti pour devenir l'un des plus grands succès de sa carrière tant son démarrage est explosif aux USA et dans le reste du monde. Il faut dire que Tarantino a un don pour le casting exceptionnel.
Brad Pitt dans "Inglorious Basterds" était génial et se troube être l'un des plus grands acteurs au monde.
Léonardo Di Caprio dans "Django Unchained" était délicieux de perversité et se trouve être l'un des meilleurs acteurs au monde.
Réunir ces deux monstres sacrés d'Hollywood pour rendre hommage à une parenthèse enchantée des années 70 où un vent de liberté soufflait sur l'usine à rêves, c'était évidemment gage d'un rendez-vous immanquable.
A ce titre aucune déception n'est à pointer puisque Brad Pitt a une classe hallucinante dans "Once upon a time in Hollywood" et Léo est comme toujours au-delà du parfait. Les rôles sont taillés pour eux, leurs scènes communes sont certes rares mais excellentes et leurs scènes solo leur donnent des moments de cinéma qui resteront imprégnés dans nos rétines. Que ce soit le quotidien d'acteur raté du personnage de Di Caprio ou la dégaine cool et mâle de Pitt quand il va voir les hippies de Charles Manson ou encore quand il se bat avec Bruce Lee...c'est juste excellent et drôle.
Mais Tarantino peut décevoir sur ce flm à deux titres même si personnellement je n'ai pas du tout été déçu, bien au contraire.
D'abord son film est long et dure 2h44 et certains pourront trouver qu'il manquait des coupes. Moi je trouve qu'au contraire cette durée permet de sentir et d’ humer l'odeur de cette époque. La reconstitution des années 70 est fabuleuse et Tarantino nous fait errer avec ses personnages en prenant son temps, souvent sans dialogues, pour nous immerger dans cet Hollywood passé pour lequel une profonde mélancolie se dégage. Et c'est là le second point qui va désarçonner certains. Quentin Tarantino abandonne quasiment l'une des caractéristiques majeures de son cinéma à savoir les dialogues chelou hyper longs mais très drôles. Il s'efface dans la narration au profit de silences, de climax et c'est très très réussi. On a parlé de film le plus personnel pour son auteur lors de sa présentation à Cannes et c'est vrai. J'ai bien sur beaucoup rigolé car Tarantino garde soin humour mordant mais il aime et adore ses deux personnages, ces deux loosers magnifiques, leur complicité et il nous envoie une superbe déclaration d’amour au cinéma. Bien sur il le fait en utilisant les tournages auquel son personnage principal participe ou les extraits de ses films, ou en montrant ce Hollywood insouciant et cool de cette époque. Mais comme bien évidemment il n'est pas dupe et nous on plus, on comprend peu à peu qu'il embellie cette image du passé et qu'il donne à ce Hollywood et au cinéma en général tout ce pouvoir de raconter les histoires différemment, de rendre la vie quotidienne plus distrayante, d'effacer ce qui est moche et laid dans la vraie vie et de donner à la fiction toutes ses lettres de noblesse.
Tarantino nous livre un conte. Il était une fois...et c'est excellent. En ce sens son film est proche de Django Unchained et de Inglorious Basterds.
Il est comme un gamin qui utiliserait son incroyable culture pop de 50 ans de cinéphilie pour nous livrer un film mature, sensible et drôle à la fois.
Merci donc à Quentin Tarantino pour ce nouvel opus, c'est un profond respect pour son public et c'est une preuve très classe de son immense talent.
N°04 - "Douleur et gloire" de Pedro Almodovar
Pedro Almodovar pouvait remporter la Palme d'Or avec ce grand film, lui qui court après depuis si longtemps et s'est vu snobé si souvent.
Car "Douleur et Gloire" a un atout considérable. Il est à part dans la filmographie du maitre espagnol. Pour une fois il ne s'intéresse pas à des femmes comme personnages principaux mais à lui. En signant un film très autobiographique, il aborde sa masculinité et sa propre vie avec une grande finesse.
Almodovar parle donc d'un cinéaste célèbre qui vit reclus chez lui et a perdu l'envie et l’inspiration.
Il donne à son double fictif le visage d'un de ses plus fidèles acteurs, qu'il a fait découvrir il y a 30 ans, Antonio Banderas.
Ce dernier est d'une classe folle pour 58 ans et donne au personnage toute la fatigue d'une vie de douleurs physiques et de maladies mais surtout de dépressions chroniques. Il est parfait dans le rôle et véritablement super attachant même quant il est ignoble d'égocentrisme artistique.
Les flashs back avec son enfance sont autant de pépites qui rythment l'explication de la construction de son imaginaire de cinéaste. On y retrouve une grande nostalgie jamais mièvre. Bien au contraire, ces souvenirs sont les racines de cet être qui regarde son passé en prenant de la hauteur et fait le bilan d'une vie. Il fait également la paix avec cette mère solaire qu'il a déçue, dont il s'est éloigné avec la célébrité. Elle est interprétée par Pénélope Cruz, autre actrice phare d'Almodovar, comme une évidence.
Le personnage se réconcilie avec un ancien amant perdu de vue depuis vingt ans et se réconcilie avec son parcours. "Douleur et Gloire" est un film extrêmement mature, moins pétillant que d’autres œuvres du cinéaste mais plus profond, tout en conservant son style connu mondialement.
Le film est généreux, intelligent, drôle parfois, il parle de l'inspiration, rend un très bel hommage au cinéma et s'offre même une conclusion de film méta qui créé une boucle et une fin excellente. Le dosage de son histoire est parfait, il n'y a aucune longueur, aucun dialogue ou personnage de trop.
C'est un long métrage délicat, tout en retenue, tout simplement brillant de profondeur.
Le film marque longtemps après son visionnage et devient instantanément l'un des grands monuments de sa carrière. Parfois on parle de chef d’œuvre trop vite. Je ne le ferai donc pas même si vraiment, çà me démange. Mais je serais très surpris que le film ne marque pas sur la durée.
N°03 - "La Favorite" de Yórgos Lánthimos
Si The Lobster avait un pitch et une première partie très décalée, le film m'avait vite fatigué par son concept tournant à vide. Avec "Mise à mort du Cerf Sacré", le grec Yórgos Lánthimos arrivait à poursuivre son talent sur un film entier, avec un scénario jusqu’au-boutiste implacable et glaçant. Une vraie réussite.
"La Favorite" est un cran au dessus encore et prouve qu'il va falloir compter sur ce réalisateur à l'avenir car son talent se muscle et aboutit à un très grand film.
Pour raconter la folie de la reine Anne d'Angleterre, au début du XVIIIème siècle, Lánthimos use de son talent évident de direction d'acteurs avec un trio féminin époustouflant mais il ose surtout des choix de mise en scènes radicaux qui lorgnent ouvertement vers ceux de Stanley Kubrick, et il faut être gonflé pour tenter le coup.
Alors bien sûr, la comparaison s'arrête à cette reconstitution millimétrée et ses choix de focales et de grands angles mais le résultat est d'une efficacité redoutable.
L'image est belle, léchée et ces personnages poudrés et décadents sont excellents.
La reine est incarnée par une Olivia Colman complètement barrée qui mérite l'Oscar de la meilleure actrice pour sa composition riche, drôle, monstrueuse et pathétique à la fois. Le rôle de sa carrière probablement. Un rôle inoubliable.
Pour s'arracher ses faveurs, une favorite historique va devoir lutter contre un petit ange qui se trouve être une arriviste. Rachel Weisz et Emma Stone se livrent une guerre de manipulation dont les joutes politiques rappellent toute la perversité des Games of Thrones et autres House of cards. Il y a la même violence contenue dans un gant de velours, les mêmes sourires carnassiers qui font froid dans le dos. Il y a surtout le côté jubilatoire du jeu à mort entre deux êtres qui luttent pour leur survie dans un royaume dirigé par une folle à lier.
Le film est irrésistiblement comique à bien des reprises et joue la digression et l'humour décalé à fond. La scène de danse est juste complètement dingue et hilarante et c'est loin d'être le seul moment où la salle est pliée en deux.
C'est un grand tour de force que de livrer un film esthétiquement de grande qualité, intelligent, drôle et souvent triste par la solitude inhérente à ces personnages rongés par le pouvoir et la survie. "La Favorite" est un film de monstres assez fascinant et l'une des premières grandes réussites de 2019.
N°02 - "Parasite" de Bong Joon-Ho
Bong Joon-Ho est l'un des plus grands réalisateurs au monde, issu de la nouvelle vague sud-coréenne avec Kim Jee Woon et Park Chan Wook. Son style si particulier est celui du polymorphe, à même de mélanger les genres tout en réalisant un cinéma souvent porteur de messages et grand public. Très inspiré par le cinéma européen, Bong Joon-Ho a livré quelques bijoux avec "Memories of Murder", "The Host", "Mother" ou "Okja" et a moins bien réussi le passage Hollywoodien avec "Snowpiercer".
Lui décerner la Palme d'Or cette année est une bouffée d'oxygène pour Cannes et l'élitisme que l'on reproche trop souvent au festival.
"Parasite" est une très grande Palme d'Or populaire. Comme à son habitude le maitre sud-coréen mixe les genre mais un peu moins que d'habitude, donnant à l’ensemble une couleur très sociale sous forme de domination d'une classe sociale par une autre. Le début du film verse dans la comédie d'arnaque et s'avère brillant dès le début, soutenu par d'excellents acteurs et un sens du découpage et du comique de répétition subtil. Une famille pauvre arrive à se faire embaucher par un jeune couple vivant dans l’opulence et ayant deux enfants rois. Puis Bong Joon-Ho distille tout au long du film les germes du dénouement en montrant que cette famille bourgeoise en apparence bienveillante et bien sous tout rapport a un mépris de classe sidérant qui se distille par petites touches.
Le réalisateur change alors de code et surprend passant du thriller horrifique au film catastrophe pour revenir à son sujet de base, l'exclusion de classe et le déterminisme implacable.
La mise en scène est excellente de bout en bout, pas une scène n'étant de trop. Les rouages de ce brillant exercice fascinent encore après être sorti du film. Le génie de Bong Joon-Ho vient de son sens du rythme et de la puissance de sa satire sociale. Il va jusqu'à se moquer de lui-même et de l'image qu'on a des réalisateurs suds-coréens si malins et qui ont toujours des plans extraordinaires pour leurs personnages en faisant expliquer clairement au personnage principal qu'il est inutile d'avoir des plans car la vie se charge de les dénouer et que tout est imprévisible...sauf le milieu dans lequel on nait et qui s'impose. Et justement, le réalisateur arrive même à imager cette lutte décuplée d'individus issus des milieux pauvres pour contrecarrer ces plans tout tracés par le destin ou plutôt, le hasard.
A partir d'un film de genre (le film d'intérieur), Bong Joon-Ho pousse les murs pour y faire entrer différents styles et rendre son propos universel, tout en restant hyper accessible. C'est en celà que le cinéma peut traiter de thématiques universelles avec une efficacité fascinante.
Cette parabole de lutte des classes est un film à voir absolument, un film puissant sur la forme et dans le fond et une Palme d'Or qui fera enfin l'unanimité !
N°01ex aequo - "Ad Astra" de James Gray
James Gray est l'un des très grands réalisateurs américains des 25 dernières années. Même si les européens reconnaissent davantage son talent que ses propres concitoyens, "Little odessa", "The yards", "La nuit nous appartient" ainsi que "Two lovers" sont très bons. "The immigrant", avec Marion Cotillard et Joaquin Phoenix a été accueilli plus froidement mais reste un bon film. Et il est revenu avec son arlésienne de 10 ans de gestation, "The Lost City of Z" en 2017, un bijou. Et alors que ce projet devait se faire avec Brad Pitt et que ce dernier a finalement co-produit "The Lost City of Z" sans y jouer, les deux artistes se retrouvent pour un film de SF !
James gray qui sortait de ses contrées New-Yorkaises pour faire un film historique sur la recherche d'une cité en Amazonie, c'était énorme et ceci lui libérait encore plus ses thématiques autour du lien père-fils.
Mais avec Ad Astra, le réalisateur signe un nouveau chef d’œuvre de science fiction, un nouvel étalon et c'est suffisamment rare pour le noter.
Son personnage principal est joué admirablement par un Brad Pitt qui force le respect par sa filmographie très impressionnante, ses choix intelligents et son doublé de cette année avec le Quentin Tarantino, "Once upon a time in Hollywood".
Je ne connais pas d'acteur hollywoodiens qui soit resté au top aussi longtemps et qui puisse aligner une quinzaine de très grands films.
Son jeu minimaliste donne à son personnage d’astronaute toute la rigueur de sa mission et tous les sentiments dont s'est coupé le personnage. Il s'est enfermé dans une profonde solitude que l'on ressent à chaque instant et qui donne à ses moments d'émotion une force encore plus puissante.
C'est donc l'histoire d'un homme qui part à la recherche de son père, qui est parti trente ans plus tôt dans une mission pour Neptune dont il n'est jamais revenu.
Il vit l'image de ce père qui l'a abandonné comme un exemple car il est considéré comme un héros par l'humanité et comme une souffrance car il s'est retrouvé seul. Seul au point de ne pas vouloir faire d'enfants, juste se concentrer sur son métier d'astronaute comme son père et marcher dans ses pas. Dans le genre de trauma et de symbolisme du nœud œdipien on peut difficilement trouver plus énorme. Et pourtant, ceci fonctionne car Gray n'est pas du genre pathos, il le fuit.
La grande maitrise de son scénario permet donc au film d'alterner entre grandes réflexions sur le sens d'une vie, de la solitude, tout en y insérant de vrais éléments de science fiction à grand spectacle. Pas moins de cinq scènes très impressionnantes ponctuent la quête de Roy McBride, qui cherche à rejoindre son père. Et ces scènes sont fascinantes car elles semblent réelles. James Gray use de la colorimétrie de la lune , de l'espace et de Mars puis Neptune avec des images somptueuses. Mais il use surtout d'un travail sur le son remarquable. Les scènes de violence sont comme empaquetées dans l'absence de son qu'il y a parfois dans l'espace ou l'incidence de la pesanteur. C'est non seulement novateur en SF mais ce choix narratif donne un parfait mélange entre grand film d'auteur et aventure spatiale.
Le scénario est limpide, sans délire méta comme certains films SF peuvent le tenter parfois pour le meilleur et parfois pour un résultat navrant.
La mise en scène de James Gray est d'une élégance folle, alliant l'intimiste du personnage à l'infiniment grand.
Que son personnage soit dépressif en pleine quête spirituelle est une excellente idée. La dimension vertigineuse de sa mission se confronte à sa psyché et James Gray nous le montre avec de simples images et une voix off qui ne s'avère ni plombante ni prétentieuse. Elle se confond avec le personnage et nous lie à lui vers cette plongée vers le néant dans laquelle on ne peut deviner quel sera l'épilogue.
Ce résultat est tout simplement brillant d'intelligence. Cet éloignement du monde des vivants pour renouer à ses sentiments est une superbe Odyssée.
Les plans de planètes contemplatifs concurrencent la vision épurée des intérieurs de vaisseaux. Le film est vraiment très beau d'un point de vue visuel.
Le découpage du scénario est très bon, ne laissant jamais place à des longueurs.
Le réalisateur signe un film précieux, ambitieux et d'une grande humilité. Brad Pitt est quant à lui d'une classe magnifique et trouve l'un de ses plus grands rôles.
James Gray signe un chef d’œuvre sur la quête de soi et la recherche de son identité, montrant qu'en tutoyant les étoiles, l'essentiel, à savoir l’humanité et la terre n'en deviennent que plus précieux.
N°01 ex aequo - "Joker" de Todd Philips
L’annonce du projet était curieuse puisque, initialement, Martin Scorsese devait le co-produire. En tant que lecteur assidu de comics books et de BD, je n’ai jamais compris pourquoi le génial personnage du Némésis de Batman n’avait jamais eu droit à son film. J’étais méfiant sur le résultat tant DC Comics et la Warner se sont perdus ces dernières années après la fin de la trilogie Batman de Christopher Nolan. Leur volonté de copier Marvel m’a laissée de marbre tant je trouve ces personnages colorés lisses et unidimensionnels alors que ceux de DC sont plus sombres et potentiellement profonds.
Le fait de voir Joaquin Phoenix entrer dans la danse m’avait rassuré car c’est l’un des meilleurs acteurs au monde et qu’il choisit intelligemment ses projets toujours pour leur qualité scénaristique.
Les bandes annonces avaient vendu un rêve de fan de Batman à savoir voir ENFIN le Joker exploité dans ce qui fascine sur son personnage, à savoir le chemin vers sa folie. Le Lion d’Or obtenu à Venise en septembre a fait exploser les attentes et aujourd’hui le succès au box office est incroyable pour un film aussi adulte. C’est une petite révolution pour les studios que de voir un tel Ovni rencontrer critique et public.
Car oui, « Joker » est le chef d’œuvre annoncé et oui, Joaquin Phoenix aura l’oscar du meilleur acteur. Ne pas lui accorder serait une insulte au bon goût.
Le film est un uppercut fortement inspiré de « La valse des pantins » et de « Taxi driver » de Martin Scorsese, ce qui explique l’implication du réalisateur dans la première phase de production. On y retrouve non seulement les thèmes mais aussi l’ambiance et l’acteur, Robert de Niro, dans un très bon second rôle comme on ne l’a pas vu depuis longtemps.
Quant à l’histoire, elle brasse divers thèmes en collant à Arthur Fleck, un looser à l’esprit fragile, qui n’a rien réussi dans cette société violente où les laissés pour compte voient des ultra riches leur tenir des discours complètement éloignés et perchés par rapport à leur quotidien. Cette société qui fait croire que quelqu’un parti de rien peut devenir une star de télévision, un showman et se sortir de sa condition et que quelques part tout le monde peut tenter sa chance. Mais ce discours s’accompagne d’une grande violence, celle de la réalité, celle du rêve qui se fracasse sur le mur du constat. Et Arthur Fleck n’a aucun talent comique et a tous les feux sociétaux au rouge, depuis toujours. Or cette société américaine parle des winners et raille les loosers, leur donnant accès à des armes car c’est du business mais refusant un minimum de protection sociale au nom de cette même liberté chérie mais sauvage pour les plus faibles.
Se déroule alors un film très politique par son discours et donc dérangeant par ce qu’il véhicule. Sans empathie face à lui et avec pour seule réponse le cynisme d’un ultra libéralisme sans gardes fous, quel choix a ce personnage qui sombre dans l’isolement et la folie, à part la violence et l’apologie de l’anarchie ?
Alors bien sûr Arthur Fleck a un problème psychiatrique mais le film ne met pas tout sur le compte de la maladie mentale qui s’envenime. Et c’est ce qui rend le film fascinant. Joker montre que la sédition des laissés sur le coté peut être le résultat d’un aveuglement idéologique et d’une société qui refuse de prendre du recul.
Car face aux excès de l’idéologie ultra libérale, le risque n’est il pas l’absence d’idéologie tout court ? Après les gilets jaunes et le déferlement de colère et de violence, on ne peut pas regarder ce Joker de la même façon. Et quelles que soient vos idées politiques, le film vous fera réfléchir.
Pour un film DC comics basé sur le plus grand méchant et le plus connu des comics books, c’est tout simplement un parti pris brillant et qui prend le spectateur pour un adulte responsable capable de discernement et de recul. Faire du Joker un symbole de l’absence de solution, une conséquence d’un cynisme sociétal, c’est l’idée géniale du long métrage.
Que Todd Philips, un réalisateur pas très côté, connu pour ses comédies « Very bad trip » nous réalise ce chef d’œuvre sur ce thème, c’est également une énorme surprise. Sa mise en scène est hyper découpée, sèche et sans une scène de trop. Il alterne l’évolution d’Arthur vers le Joker de cinq scènes de courses poursuites où le futur Némésis de Batman cours dans les rues ou les couloirs à toutes enjambées. D’abord c’est par peur, ensuite pour fuir ce qu’il devient puis parcequ’il enfreint de nouveau les règles et s’en émancipe, puis parcequ’il est poursuivi et trouve celà fun, et enfin parcequ’il est devenu un autre pour qui rien n’a de valeur et tout n’est que comédie. Il cours toujours comme un clown mais le rire a changé de signification et surtout, il a changé de camp...
Et puis évidemment, il y a l’acteur, ce type dont je n’aime pas la gueule et qui me bluffe à chaque fois. Ce type qui à 44 ans, a une filmographie impressionnante (Walk the line, the Master, les James Gray dont Two Lovers, Her, A beautiful day, Les frères Sisters).
Sa prestation en Joker est prodigieuse. Il danse avec une souplesse et une agilité qui font froid dans le dos tout comme son regard. Il nous amène avec lui comme spectateurs d’une conquête du rêve américain vouée à l’échec et il s’explose avec nous sur le bitume.
Entre temps il a rendu son personnage attachant et non pathétique puis effrayant car sa folie guette à tout instant.
Comme possédé par son personnage, son rire a plus des airs de cris de douleur, douleur d’être né ainsi et d’en être prisonnier.
Le spectateur accompagne ce glissement de l’autre côté de ce que la société peut tolérer, choc après choc, jusqu’à ressortir bouleversés par ce naufrage impossible à éviter du fait du déterminisme social allié à la fragilité psychiatrique. On en sort également fascinés par cette renaissance car le personnage en quête de figure paternelle et en quête d’identité finit par se la construire dans le mal absolu, dans un monde qu’il se créé plutôt que d’accepter de le subir. Joker est un grand film car il allie le génie d’un acteur à un scénario imparable et profond ainsi qu’un personnage complexe qui ne peut que provoquer le malaise.
Ce chef d’œuvre nihiliste est tout aussi surprenant que dérangeant.
2020
N°08 - "Effacer l’historique" de Gustave Kervern et Benoît Delépine
Gustave Kervern et Benoît Delépine, les deux compères issus de Groland, ont réussi à construire une belle filmographie en 20 ans, depuis Aaltra. Que ce soient Louise-Michel, Mammuth, Le grand soir ou Saint Amour, tous ces films très réussis ont su parler de gens invisibles, déclassés, avec une grande tendresse et un humour ravageur et salvateur.
"Effacer l'historique" est clairement dans cette veine, avec ce même souci de ne pas être réaliste tout du long et d'insérer des scènes surréalistes bienvenues pour imager leur regard social sur un monde qui tourne bizarrement.
Ils s'attaquent à l'omniprésence d'internet, des réseaux sociaux, de l’horrible système de notation des uns et des autres. Sur une scène courte avec Benoit Poelvoorde, excellent, ils arrivent à dénoncer l'exploitation des livreurs à domicile et leurs conditions de vie mais aussi la responsabilité aveugle du consommateur. C'est bref et efficace comme toutes les scènes du film.
Blanche Gardin, Denis Podalydès et Corinne Masiero forment un trio très attachant de gens laissés en marge, qui se sont rencontrés sur un rond point au moment des gilets jaunes. Face à la déshumanisation du quotidien, à la marchandisation de tout, les trois sont largués pour des causes différentes. Alors ne vous attendez pas à une conquête burlesque des Gafa, la bande-annonce est trompeuse et cette partie est toute petite. Non, ici on les suit dans leur quotidien limite orwellien où ils tentent de comprendre et d'appliquer les règles de ce monde à peine caricaturé. Et c'est ce qui fait la force du rire dans le film. C'est drôle mais les réalisateurs-scénaristes n'ont pas à pousser beaucoup les situations, c'est très proche de la réalité !
L'engagement et la pertinence des scénettes qui s'enchainent laisse cependant place à une poésie pessimiste et encore une fois des personnages que les réalisateurs affectionnent. Cà se sent à l'écran. Blanche Gardin est excellente avec son phrasé et sa diction si particulière. Ceux qui ont vu ses excellents spectacles ne seront pas dépaysés.
Le fantasque et le loufoque anar font de ce "Effacer l'historique" un excellent cru pour notre duo de réalisateurs socio-comiques.
N°07 - "Dark Waters" de Todd Haynes
Il est très surprenant de voir le réalisateur de Loin du Paradis et Carole, habitué aux drames intimistes, s'attaquer à un sujet de société comme le scandale du téflon et de l'entreprise DuPont qui a empoisonné sciemment ses employés, les habitants des villes autour de ses usines et les millions de clients à travers le monde pendant 50 ans.
Il faut dire que Mark Ruffalo qui tient le premier rôle, a porté le projet à bout de bras comme co-producteur et on ne peut que saluer son combat de David contre Goliath tout autant que son jeu nuancé.
Il incarne donc, Robert Bilott, un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques, qui va prendre parti pour les petites gens victimes de cette impunité cynique d'une énorme industrie chimique usant de son poids économique, de son poids sur les emplois, de son impact politique.
Le combat semble perdu d'avance mais la ténacité de ce travailleur acharné va le balloter pendant 15 ans de combats. Certes le film n'est pas très cinégénique mais l'enquête est vraiment intéressante et bien menée.
Todd Haynes apporte toute la pudeur de ce drame humain et on comprend au fil du film pourquoi Mark Ruffalo l'a choisi. Le film est fin et militant tout à la fois car il parle de dignité face à une inconscience morale inconcevable.
La force tranquille et l'humilité de "Dark Waters" rend son visionnage nécessaire.
Un film écologiquement engagé mais mené à la façon d'un thriller vraiment intelligent.
N°06 - "The Gentlemen" de Guy Ritchie
Voici enfin le retour en grande forme de Guy Ritchie après deux blockbusters impersonnels qu'étaient La légende du Roi Arthur et Aladdin. Le réalisateur a été critiqué à ses débuts pour sa façon très clipesque de réaliser ses films. Issu du monde de la pub et du clip, il est vrai que "Crimes Arnaque et botanique" ou "Snatch", sortis il y a 20 ans, avaient un côté épileptique qui pouvait déplaire à certains. Moi perso, j'adore et son passage par Sherlock Holmes était vraiment très réussi lui aussi. Disons que Guy Ritchie a créé son style, qui parfois agace et donne de mauvais films (Revolver, RocknRolla) et des fois c'est jouissif et du divertissement surexcité mais ultra efficace (cf films précités et Des Agents très spéciaux).
Avec The Gentlemen, il choisit de revenir au style de ses deux premiers opus avec le même cadre d'une histoire de gangsters et d'arnaque. Comme dans Snatch, les groupes de gangs sont nombreux, cinq en l’occurrence, ce qui permet au scénario de surprendre en permanence et d'empêcher de savoir où il va nous amener. L’ironie est corrosive et la salle éclate de rire à plusieurs moments car Ritchie n'en oublie pas son comique de situation souvent malin et ses personnages très bien écrits.
Pour se faire aider, son casting est juste hyper classe. Matthew McConaughey est royal en lion de la jungle qui veille sur son empire de la weed et cherche à éviter qu'un prédateur plus malin lui vole son trône. Un rôle écrit sur mesure pour lui et très classe qui lui permet de tordre le cou à la direction pas très bonne prise par sa carrière ses trois dernières années.
Charlie Hunnam a le 1er rôle à ses côtés et prouve que c'est un très bon acteur, cool. Après bien des efforts et des films pas forcément réussis au final, l'acteur accroche un bon film de plus à sa filmo après Crimson Peak et surtout The Lost City of Z.
Quant à Hugh Grant, c'est un réel plaisir de le voir de nouveau en haut de l'affiche dans un rôle de manipulateur, sombre et retord. Il est juste excellent.
Colin Farrell joue de nouveau un contre emploi délicieux comme il en a le secret et l'exigence.
Le film est malin et rythmé mais peut être moins dans l'épate et l’esbroufe qu'on pouvait reprocher à ses deux premiers films. Il est plus pausé même si le terme n'est pas adapté dans le rythme et le montage sont la marque de fabrique de Ritchie.
La virtuosité de l'ensemble donne la patate et le sourire tant l'histoire est jubilatoire.
La coolitude de ces ficelles de scénario font du bien. C'est certes un film sans prise de tête ni message. Mais ce type de récit à double fond, qui surfe sur un humour potache, parsemé de scènes d'actions en général comiques et de rebondissements en cascade, est le film idéal pour vous divertir intelligemment.
N°05 - "Le gang Kelly" de Justin Kurzel
Le réalisateur des Crimes de Snowtown, Macbeth et le moins réussi Assassin's Creed, revient avec ce faux western sur l'un des plus grands hors la lois qu'ait connu l'Australie, le billy the kid australien, Ned Kelly.
Le film sort hélas en dvd et streaming pour cause de pandémie bien que passé à Venise.
J'attendais beaucoup ce film et force est de constater que je n'ai pas été déçu.
Synopsis : En Australie, certains le considèrent comme un criminel, d’autres comme un héros révolutionnaire. Dans le bush, Ned Kelly est une figure historique. Il incarne le symbole de la lutte contre le gouvernement britannique à une époque perturbée où ce continent rude et sauvage gagnait peu à peu son indépendance. Découvrez l’épopée de Kelly et de son gang de bushrangers qui ont à la fois fait régner la terreur et allumé une lueur d’espoir chez ceux qui n’avaient rien.
Justin Kurzel livre un film punk aux sons parfois électriques et au découpage très particulier. Il choisit de montrer l'épure de ces paysages quasi désertiques ou la police britannique traite avec mépris les autochtones du 19ème siècle. Il joue beaucoup sur les couleurs tantôt froides avec une touche de couleur tantôt très chaudes pour illustrer l'environnement et le danger pour le personnage principal.
Surtout, le protagoniste est d'abord montré durant 45 minutes dans son enfance et dans ses traumas sans que ce soit lourd et démonstratif. Son père est à moitié fou et sa mère se prostitue et accepte de le vendre à un hors la loi, incarné brièvement par un Russell Crowe imposant et bicéphale dans sa personnalité.
La mère est quant à elle un personnage central que l'enfant adore et qui recherche un amour qu'elle ne peut pas donner, autocentrée qu'elle est sur elle-même et sa propre survie, faisant passer son intérêt avant celui de ses enfants.
Et puis surtout, elle l'incite à aller dans le mauvais chemin alors qu'on sent un enfant sensible et qui n'aime pas la violence. Charlie Hunnam incarne avec finesse ce policier à la fois protecteur et profiteur, manipulateur qui ne donne rien sans un retour sexuel de la mère. Il y a de quoi traumatiser le gamin, forcément.
Puis entre en scène George McKay dans le rôle de Ned Kelly adulte et ce dernier, de par son jeu et son visage si particulier, explose l'écran. Il est brillant de sensibilité et de violence voir d'accès de folies venues de son héritage génétique paternel. Le personnage n'est pas antipathique, au contraire, il est perdu et très seul au milieu de son gang. Kurzel nous l'a expliqué enfant et le suit dans sa fuite vers l'échafaud.
Le déterminisme nihiliste du film n'est pas triste, il est même plutôt beau à bien des reprises.
Nicholas Hoult joue un second rôle très important avec toujours le même talent. C'est même son meilleur rôle. Il joue un autre policier britannique, ambivalent et quelques peu sadique. A la fois dans l'empathie et la volonté de pactiser avec le gangster, de devenir son ami et à la fois à vouloir lui soutirer ce qu'il a de plus cher et lui négocier une liberté en forme de chantage. Le personnage est lui aussi pervers car on ne sait pas pourquoi il joue ainsi avec la mort, peut être aussi par dépit, parcequ'il tue le temps jusqu'à se mettre grandement en danger. Le personnage est vraiment super bien travaillé dans sa relation homo-érotique avec celui de Georges McKay (ie Ned Kelly) et l'alchimie prend comme une danse macabre fascinante.
Et puis il y a la grande scène finale qui calmera tout le monde de part son brio et son originalité.
Vraiment, "The True History of the Kelly Gang", traduit "Le gang Kelly" est une totale réussite, un film étrange et différent de ce qui sort habituellement. L'ambition de Justin Kurzel, son équipe et de son excellent casting est récompensée par une des meilleures réussites de l'année.
N°04 - "Soul" de Pete Docter
Le dernier film des studios Pixar sort exclusivement sur Disney Plus et pas au cinéma et c'est la première fois qu'un film Pixar est privé des salles obscures. C'est un coup dur pour le cinéma et c'est surtout fort dommageable tellement ce dernier opus est très réussi.
Alors que le studio à la lampe s'est perdu dans des suites consensuelles durant les années 2010, SOUL raisonne comme le rappel que lorsque les artistes du studio se mettent à créer un nouvel univers, parfois c'est juste génial. Si "En avant" était très pauvre scénaristiquement avec des personnages trop consensuels, SOUL fait évidemment penser à VICE VERSA du même Pete Docter. On y croise non plus des sentiments qui créent la personnalité mais carrément des âmes.
L'idée conceptuelle est excellente et le rendu graphique original par rapport aux créations précédentes. L'identité visuelle fonctionne à merveille et alterne avec le monde des humains.
Les deux personnages que sont la jeune âme perdue et l'âme du héro jazzman sont super bien croquées. L'humour est comme souvent très fin et parfois ravageur mais surtout le film touche à l'universel avec une profondeur qu'on n'avait plus vue depuis Là-haut ou Wall-E.
SOUL est drôle et sur la fin très émouvant, en suivant des chemins non attendus et plus adultes que VICE VERSA. J'ai d'ailleurs préféré SOUL à son prédécesseur, pour sa thématique plus profonde et pour ses personnages plus attachants.
Une vraie grande réussite.
N°03 - "Drunk" de Thomas Vinterberg
Le réalisateur danois découvert avec son chef d’œuvre "Festen" en 1998, a connu une chute d'inspiration durant les années 2000 avant de revenir à un excellent niveau en 2010 avec le superbe "Submarino" qui parlait déjà d'alcool, puis il a enchainé avec les très réussis "La chasse" en 2012 où Mads Mikkelsen excellait dans le rôle d'un instituteur accusé à tard d’attouchement par une enfant, puis le très émouvant "Loin de la foule déchainée" en 2015, La communauté et Kursk.
Thomas Vinterberg construit une filmographie qui garde certains préceptes du dogme qu'il a créé avec Lars Von Trier, un certain réalisme voir naturalisme qui renforce certaines émotions lorsque les scènes prennent. Mais contrairement à son compatriote qui provoque visuellement et cherche souvent à choquer, Vinterberg opte pour des histoires autour de personnages très bien écrits, déchirés par la vie, souvent cassés même. Il apporte un regard à la fois non consensuel et qui cherche le débat. Si dans "La chasse", Vinterberg interrogeait sur les excès de nos sociétés mettant au pilori sans preuves et n'hésitant pas à broyer un homme sans le laisser se défendre, avec "Drunk", il s'intéresse à un sujet passionnant et très original car peu traité de la sorte à ma connaissance.
Le pitch est simple. Quatre amis professeurs dans le même collège et tous ayant passé largement a quarantaine, décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.
Vinterberg n'aborde pas uniquement que le thème de l'alcoolisme. Non son thème principal est celui du vieillissement, du temps qui passe, des responsabilités familiales et des échecs ou espoirs déçus qui font que des hommes de 50 ans se retrouvent fatigués et avec peu d'entrain pour les années qui leurs restent. A ceci, il oppose et filme l’insouciance de la jeunesse qui boit beaucoup, au delà de l'excès et qui s'éclate. A aucun moment il ne fait l'apologie ou ne juge grâce à ce système d'expérimentation où les professeurs vont retrouver de la joie de vivre, vont se désinhiber et même retrouver des projets, être meilleurs au quotidien.
Mads Mikkelsen est immensément bon et les trois autres acteurs qui l'entourent sont bouleversants de justesse et d'humanité.
"Drunk" est souvent très drôle car les situations sont iconoclastes et l’alcool fait faire n'importe quoi parfois et permet de rire, entre amis. D’ailleurs il s'intéresse à son lien social, à cette amitié de ces quatre personnages qui se tiennent les coudes, qui s'aiment et se pansent leurs blessures pour repartir.
Mais vers où ?
Et c'est là que le film devient fascinant. Il montre les limites des paradis perdus et le choix ou pas de s'y enfoncer plutôt que de revenir à une réalité que l'on sait soit peu modifiable soit vouée à se terminer mal car la vie, çà finit forcément mal. Ce regard vraiment particulier sur le sens d'une vie au sein de ses proches, de sa famille, de ses relations fait de "Drunk" un très grand film incorrect.
Thomas Vinternerg nous fait rire l’essentiel du film et met aussi mal à l'aise avec un ton politiquement incorrect mais sans cacher la vérité, l'effet néfaste de l'alcool à haute dose, avec un dénuement total de moralisation et ceci fait un bien fou, dans un monde souvent tellement policé et tellement consensuel.
En refusant d'avoir un regard unique sur l'alcool et d'y appliquer une multiplicité liée à la diversité des individus, de leurs propres histoires, de leur propre maitrise et de leurs fragilités respectives, le réalisateur apporte une vision d'une grande intelligence avec une belle palette de nuances.
Il offre aussi un superbe film sur l'amitié comme moyen le plus fort de ne pas sombrer dans une société qui ne facilite pas l'épanouissement personnel.
Il ne juge pas la drogue mais porte un regard bienveillant sur ces gueules cassées de la vie et leur retour même fugace à l'insouciance, tout en étant conscients que le retour à la jeunesse n'aura pas lieu. C'est un message à la fois plein de nostalgie, de réalisme et de déterminisme. C'est juste excellent comme angle de vue.
La finesse et la transgressivité de "Drunk" restent d'ailleurs longtemps dans l'esprit après la projection.
Si cette année cinéma a été désertée d'une partie de ses films, la subtilité de "Drunk" en font l'un des meilleurs. D'ailleurs le film va probablement faire partie des sorties de fin d'année qui vont sauver le cru 2020 et le rendre pas si vide que cela.
N°02 - "Mank" de David Fincher
Six longues années après Gone Girl, après avoir livré trois séries pour Netflix dont House of Cards et Mindhunter, le réalisateur David Fincher est de retour, considéré aujourd'hui à juste titre comme un maitre et l'un des meilleurs cinéastes au monde. Alien 3, Seven, The Game, Fight Club, Panic Room, Zodiac, L'étrange histoire de Benjamin Button, The Social Network, Millenium et Gone Girl...que des films réussis et cinq chefs d’œuvres.
Il est trop tôt pour appliquer un tel qualificatif au nouvel opus de Fincher mais une chose est sûre, le réalisateur livre son film le plus personnel, le moins grand public et le plus libre. Son idylle avec Netflix se poursuit puisque la plateforme lui a permis de réaliser ce projet dans les cartons depuis 1996 et dont son propre père, journaliste, était scénariste. La première tentative échouât début des années 2000 et son père mourut en 2003.
Évidement, le film est fait avec cet hommage à tous les scénaristes du monde et s'avère une superbe reconstitution de l'univers du Hollywood des années 30. En choisissant de raconter l’envers du décors de Citzen Kane, considéré comme LE chef d’œuvre du cinéma, David Fincher veut parler avec une grande modestie des équipes qui entourent un metteure en scène. Car même culte, Orson Welles n'apparait pas sous un jour hyper flatteur, ce dernier avait quand même en tête de s'arroger l'écriture du scénario par son scénariste, Herman J. Mankiewicz, frère du réalisateur Joseph L Mankiewicz (L'Aventure de madame Muir, Ève, L’Affaire Cicéron, La Comtesse aux pieds nus, Soudain l'été dernier, Cléopâtre, Le Limier).
Herman, surnommé Mank, est un alcoolique notoire, rebelle et revêche mais libre. Malgré ses idées ouvertes et progressistes, ce dernier est devenu l'amuseur d'un grand magnat de la presse via le créateur actionnaire de la Métro Goldwyn Meyer. Et alors qu'Orson Welles lui donne deux petits mois pour boucler le scénario d'un film sur lequel il ne lui a donné que très peu de lignes directrices, Mank choisit de s’inspirer fortement de ce magnat, incarné par l'excellent Charles Dance (Tywin Lannister dans Games of Thrones).
Mank va donc raconter cette inspiration créatrice entre retraite bloqué au lit et flashs backs dans cet Hollywood des années 30 que le scénariste critique pour son hypocrisie et parcequ'il a l'occasion en or de traiter d'un personnage hors norme. Il va pouvoir parler de pouvoir, d'un individu aux idéaux qui se sont dilués dans la réussite et qui a vendu ses rêves pour de la puissance.
L'histoire du film est donc déjà passionnante car méconnue et c'est un vrai plaisir même pour des non cinéphiles que de voir ce qui a amené à un tel chef d’œuvre.
Ensuite David Fincher, en maniériste obsessionnel qui rend fou ses acteurs à les faire rejouer 50, 70, 100 prises, va livrer un objet filmique vraiment fascinant. Son noir et blanc est superbe et même le son est retravaillé pour nous faire penser aux films des ces années là.
Évidemment le film a une bien meilleure qualité sonore et d'image mais vous avez le sentiment d'être immergés dans ce cinéma là.
Évidemment Gary Oldman est juste excellent et cours droit vers un second Oscar, qui est amplement mérité. Sa prestation est fluide, contrastée, ironique, enlevée. Il est parfait dans le rôle de ce trublion d'un grand esprit mais d'une incapacité totale à se rabaisser devant le pouvoir.
Forcément, ce personnage est éminemment attachant tant il est cabot et juste à la fois.
Le rythme du film est tambour battant et empêche le spectateur de décrocher une seule seconde.
Le travail admirable de David Fincher comme directeur d'acteurs et virtuose de la mise en scène éclate avec évidence au grand jour mais hélas pas sur un grand écran. Et pour le coup, je suis certain que la diffusion en dehors d'une salle fait perdre une partie de l'impact au film...c'est dire !
N°01 ex aequo - "Adieu Les Cons" d'Albert Dupontel
Albert Dupontel en tant qu'acteur réalisateur, c'est une aventure que les cinéphiles partagent avec cet amoureux fou de cinéma depuis Bernie en 1996. Au début ses films étaient un peu trop fous, partaient dans tous les sens, parfois avec maladresse mais un humour corrosif avec succès public (Bernie) ou sans (Le créateur).
Les années 2000 virent Enfermés dehors et Le Vilain caricaturer son humour mais lui permettre de perfectionner sa mise en scène en faisant des erreurs de longueurs, de frénésie. Puis il connut un succès populaire avec une comédie vraiment hilarante grâce à "9 mois ferme", où Dupontel alliait virtuosité visuelle et gags comiques de situation avec ses dialogues percutants et un duo d'acteurs (lui et Sandrine Kiberlain) entouré de sa famille de gueules de cinéma. Puis en 2017, son adaptation du succès littéraire "Au revoir là-haut" fut primée et eut beaucoup de succès à juste titre. Il ajoutait une dimension émotionnelle qu'il cachait auparavant derrière son style punk qui limitait quelques peu son talent.
Non que l'irrévérence de Dupontel et sa seine colère soient un problème, bien au contraire. C'est juste qu'il manquait quelque chose d'indéfinissable. Que peut-être en adaptant un autre, il trouvait le ton de l'émotion mais que ceci sonnait un peu bizarre avec son style. Je me suis souvent dit en sortant d'un Dupontel que j'adorais le personnage, dans ses interviews (regardez son interview récente passionnante sur Thinkerview), ce qu'il véhicule, que j'adorais son talent, son humour cynique et semi dépressif, sa mise en scène. C'est un type bien, autodidacte très cultivé, ultra référencé, qui cite en permanence les autres par une humilité maladive. J'espérais qu'un jour, cet ami de Terry Gilliam lui rende hommage tout en assumant son style Tex Avery et en trouvant de l'émotion et un ton juste. "Adieu les cons", c'est tout cela à la fois, avec des citations visuelles évidentes à Terry Gilliam en plus du caméo...mais c'est bien plus encore.
Quelle claque ! Albert Dupontel nous parle de paumés, comme souvent, et même il incarne un paumé qui a plutôt réussi mais s'est enfermé dans la réussite sociale telle que la dénonce Ken Loach (dont il connait toute la filmographie évidemment). Il s'attaque comme ses copains Gustave de Kernvern et Benoit Delépine à la déconnexion du réel qu'entraine l'ultra surveillance, les smartphones, les réseaux sociaux, les gafa avec une forme de désespoir plus que de lutte mais avec beaucoup d'humour car il est poli...forcément. "Effacer l'historique" était l'un des meilleurs films du duo issu du Grosland, sorti en septembre dernier et "Adieu les cons" est le meilleur film de Dupontel.
C'est son plus abouti, son plus percutant. Le film est court, 1h27, et cela suffit amplement. Pas une scène n'est superflue. Le burlesque est roi grâce à des trouvailles visuelles iconoclastes qui illustrent le propos social sans le rendre lourd. Son fidèle Nicolas Marié apporte lui aussi de nombreuses scènes comiques absurdes et vraiment drôles. Et puis Dupontel ose le romanesque et assume le risque casse gueule de sonner faux, d'être lourd. Sauf que "Adieu les cons" ne dérape jamais et reste sur le fil tout du long entre tragédie et humour, émotion et explosion comique. Cette émotion se transforme alors en message bouleversant d'une grande maturité qui vous emporte sur un final magistral. "Adieu les cons" est son film le plus équilibré, nourri de son expérience de ses autres longs métrages et de sa grande tendresse pour ses personnages. La bienveillance et le regard lucide et intelligent d'Albert Dupontel sur le monde qui l'entoure font qu'il vient de signer un très grand film.
J'en suis ravi pour cette année cinéma 2020 qui finalement ne sera pas si désertée que cela. J'en suis surtout ravi pour lui et pour les cinéphiles auxquels il offre un si beau résultat. Merci Monsieur Dupontel.
N°01 ex aequo - "La communion" de Jan Komasa
Excellent premier film, "La communion" permet à Jan Komasa, 38 ans, de se faire un nom avec un film magistralement mis en scène, d'une singularité surprenante.
L'histoire est celle de Daniel, 20 ans, qui vit en centre de détention et ne peut pas suivre les études de séminariste malgré sa foi, les crimes qu'il a commis l'en empêchant. Alors que le centre l'envoie en réinsertion dans un village pour travailler dans la menuiserie locale, un concours de circonstances l'amène à se faire passer pour un prêtre. Sauf qu'il va y prendre goût et s'y révéler ...
"La communion" est un film curieux car rien ne laisse présager le déroulé de l'histoire ni sa fin marquante. Le réalisateur a trouvé un personnage fascinant et use du regard de son acteur principal, Bartosz Bielenia, qui découvre le monde et les possibilités qui lui sont offertes avec des yeux grands ouverts. L'acteur est tout bonnement excellent, incarné jusqu'au bout des ongles.
La bienveillance du personnage et sa volonté de bien faire, de se racheter et de trouver une rédemption pour soit et pour les autres est particulièrement réussie et emporte l'adhésion du spectateur par l'humanité qui s'en dégage. Le personnage est à la fois naïf et sauvage, provocateur et bienveillant.
Jan Komasa dresse le portrait de ce faux prêtre idéal qui se démarque de l'hypocrisie morale de dogmes souvent non respectés par les croyants. La jeunesse et la crédulité de Daniel sont sa force. Son enthousiasme comme sa douleur pour son prochain touchent juste. Les personnages secondaires sont tous très bien décrits, sans écriture rapide, avec ce poids d'un petit milieu clos frappé par un drame atroce et qui préfère trouver et exclure une coupable que d'appliquer les préceptes de l'église.
"La communion" est un film sur le choix, la rédemption mais aussi sur le pardon et le sens qu'on lui donne. A ces thématiques déjà denses, le réalisateur ajoute celle du déterminisme social, des fers qu'on met au pied de certains individus.
La grâce du film, de ses choix scénaristiques, du jeu des acteurs, est une excellente nouvelle pour le cinéma polonais.
La tension qui se dégage du film est à la hauteur de ses ambitions, un grand premier film.
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