Voici la suite des dossiers pour fêter les 15 ans du blanc lapin, 15 ans de news, de vidéos, de critiques et l’occasion de se pencher sur les meilleurs films de chaque année.
On continue dans ce deuxième dossier avec les années 2014, 2015, 2016 et 2017 !
2014
N°11 - "Interstellar" de Christopher Nolan
A l'heure où la terre se meurt et devient hostile aux humains, l'humanité court à sa perte. Le seul espoir est de trouvera de nouveaux mondes dans l'espace, accessibles uniquement en traversant des trous noirs, chose jamais réalisée jusqu'alors...
Christopher Nolan est devenu un prestidigitateur assez bluffant à Hollywood, réussissant des films intelligents et ambitieux (Memento, Le Prestige), puis renouvelant le genre super héros en lui donnant des accents adultes, réalistes et brutaux avec la trilogie Barman The Dark Knight, ou encore réussissant l'exploit de dépasser les 100 M$ au box office avec un film d'auteur et d'action brillant, "Inception".
Quand il a repris ce projet avorté de Steven Spielberg, on aurait pu craindre le pire. Qu'il s'attaque à de la SF pure avec l'acteur du moment, génial Matthew McConaughey était certes excitant. Mais l'aspect mélo de certaines œuvres de Spielberg collait mal à l'univers cartésien de Nolan.
C'est justement cet aspect qui a mon goût est très réussi. Le pathos aurait été atroce traité par Spielberg. Ici Nolan a une pudeur qui sied à merveille au propos. Il n'en fait pas trop, juste le strict nécessaire pour emporter le spectateur. Nolan recycle différemment ses thématiques habituelles, l'obsession (pour un tour de magie dans Le Prestige, pour une femme disparue dans Inception), de l'affect brisé (Batman, Inception). La relation fille-père très forte au centre du long métrage est portée par deux acteurs majeurs du moment, Jessica Chastain, d'une classe incroyable et Matthew McConaughey donc, qui excelle comme toujours depuis cinq ans.
Ensuite on reproche à Nolan d'être bavard. C'est vrai que son film est rempli de scènes de dialogues. D'ailleurs le personnage de Anne Hathaway fait une réflexion très amusante au moment du décollage, un clin d'œil du réalisateur. Mais ces réflexions sur le lien filial, sur ce qui nous motive à travers notre progéniture, sur la notion d'héritage, de pardon et de trahison ou juste de vieillissement et de mort, s'insèrent parfaitement dans le sujet du film. Car c'est le sujet ! Pourquoi vouloir vivre et survivre, pour quelles raisons l'espèce humaine tient-elle cet instinct ?
L'humanité seule dans l'infiniment grand, voilà ce que Nolan arrive a montrer brillamment à l'écran, ce sentiment de finitude et de solitude que chacun ressent lorsque l'on sort la tête du quotidien pour s'élever un peu et que l'on est agnostique ou athée. Le film montre des personnages incapables d'exprimer leurs sentiments, préférant les cacher derrière des théories sur le sujet. Serait ce un aveu du réalisateur, lui même un peu trop porté sur l'intellectualisation permanente du lien humain ?
Nolan est ambitieux et si son film est maladroit par moments, il résout l'essentiel, nous toucher sans que sa mise en scène d'excellence n'étouffe le propos.
Un film désespéré sur l'espoir, un film sombre sur l'humanité et en même temps cherchant le bout du tunnel, "Interstellar a des aspects universels par ses thématiques écolos, le besoin de l'homme d'explorer toujours et surtout, la définition de l'espèce humaine.
N°10 - "X Men Days of future past" de Bryan Singer
Bryan Singer avait réussi à faire passer de façon crédible les héros X-men du comic book au grand écran au cours des deux premiers longs métrages, qui figurent encore comme de très bons exemples de réussites d'adaptation en matière de comics. Hélas, parti sur d'autres projets, le troisième volet fut saccagé et ce n'est qu'il y'a trois ans que la franchise fut relancée avec Matthew Vaughn à la réalisation et Bryan Singer au scénario et à la production. "X-men le commencement" avait l'intelligence d'allier reboot et prequel en s'intéressant à la naissance de l'amitié entre les deux mutants opposés, le professeur X (James McAvoy) et Magento (Michael Fassbender). En pariant sur deux supers acteurs pour incarner ces personnages cultes étant jeunes, en travaillant un scénario mélé à une histoire dystopique des USA, en reliant le tout à la Shoa, en intégrant un casting jeune et frais, le film fut une réussite totale et l'un des meilleurs films de supers héros de ces dernières années.
Les X-men sont des héros attachants car ils sont calqués sur une minorité se battant pour ses droits, pour ne pas être exclus et exterminés pour leurs différences. "X-men days of future past" va jusqu'au bout de cette logique et frappe très fort tant en terme de scénario qu'en terme de mise en scène.
Le film est un blockbuster intelligent, complexe, très bien construit. Le film est sombre, ultra référencé seventies là où le précédent était sixties. Singer a eu la géniale idée de reprendre l'arc narratif de l'une des histoires les plus connues des X-men, où les vieux personnages, dans un futur apocalyptique où des robots tueurs exterminent les mutants, décident d'envoyer dans le passé Wolverine, retrouver dans les années 70 Xavier et Magnéto mais surtout, Mystique, afin de modifier le passé.
Le film aurait peu être incompréhensible par le nombre de personnages mais reste au contraire très fluide, avec des pointes d'humour qui déjà figuraient dans le précédent. Le film est surtout une suite parfaite à "X men le commencement", où nous retrouvons nos personnages quelques années après, le fauve (Nicholas Hoult), Mystique (Jennifer Lawrence) et les deux anciens amis.
Wolverine devient le personnage central qui réunit les deux générations et s'avère être la colonne vertébrale du film, avec des clins d’œils multiples à sa propre histoire. Mais surtout, Mystique devient l'enjeu principal des différents camps. L'objectif est de la sauver, de la ramener à la réalité car les trois protagonistes l'aiment, que ce soit le professeur X, Magneto ou le Fauve.
Le film est sombre, ultra référencé seventies là où le précédent était sixties, et surtout, les personnages sont attachants...
Le spectacle est là, du début à la fin et annonce un troisième volet en 2016 qui espérons le, atteindra le même degré d'exigence. Quand on respecte les fans à ce point et qu'on les prend pour des spectateurs intelligents aimant tout autant effets spéciaux excellents et intrigue finement élaborée, on ne peut que recevoir des louanges, et c'est le moindre des mérites.
N°09 - "The Grand Budapest Hôtel" de Wes Anderson
Avec "The Grand Budapest Hôtel" Wes Anderson était très attendu après le succès critique et public de "Moonrise Kingdom" il y'a deux ans.
Suivant la même recette d'un casting plein comme un œuf de stars venant faire des caméos, Anderson change légèrement de style pour opter pour une comédie plus assumée. Il déclare sa flamme à la vieille Europe mais aussi au cinéma des débuts faits de décors superbes de carton pate, colorés et absoluments pas réalistes. En dédiant son film à Stefan Sweig, il assume aussi légèrement plus de fond, en décrivant un monde sur le point de sombrer dans la barbarie nazie.
Le rythme de "The Grand Budapest Hôtel" est plus saccadé que ses précèdents films, ce qui peut donner un peu le tournis dans ces aventures cartoonesques que Hergé n'aurait pas reniées.
Ce choix fluidifie le récit et le rend plus accessible. Et puis l'humour s'avère toujours fin et décalé, jouant à fond sur les propres codes du style de cinéma qu'il a crée, de "La famille Tenenbaum" à "The Darjeeling limited".
Le film brille par ses détails, son inventivité à chaque plan et son coté fantasque et dixième degré. La marque Anderson est plus que jamais là, avec ses plans fixes dont une action perturbe le décor de maison de poupée. Il ballade sa caméra de ses célèbres travellings au milieu des maquettes de l'hôtel ou de la prison, assumant le côté théâtral pour mieux isoler son récit dans un pays imaginaire. Et puis il y'a ces fameux gros plans sur des visages d'une pléiade d'acteurs tous aussi bons les uns que les autres.
Cependant, votre Blanc Lapin préféré émettrait un bémol. Le film, du fait de son rythme et de son choix comique plus prononcé, s'avère moins émouvant et moins surprenant puisqu'on connait le style Anderson. Mais le résultat est aussi plus romanesque, toujours autant nostalgique de l'enfance et des récits qui y rattachent son auteur.
Enfin, Ralph Fiennes est excellent et So British. Il a et il incarne, le savoir vivre, le panache et la désinvolture dans un monde qu'il porte aux nues et qui s'est déjà envolé...si vite que la brutalité du vingtième siècle le rattrape.
"The Grand Budapest" est un film charmant et très divertissant.
N°08 - "Les poings contre les murs" de David Mackenzie
"Les poings contre les murs" raconte l'entrée et la difficile intégration en prison pour adultes d'un gamin, Eric. Ultra violent, Eric sait que son père, Nev, est déjà emprisonné au même endroit. Ce dernier a très peu connu son fils et les rapports entre les deux ne vont pas faciliter l'apaisement du garçon.
A toutes celles et ceux à qui je parle du film, on me dit "ouais bof, encore un film de prison". C'est vrai que le film n'est pas une comédie ou une love story, que le genre est ultra balisé et que des films de prison on en a vu un paquet, et des très bons, dont "Un prophète" dans les derniers bijoux en date.
Mais justement, "Les poings contre les murs" évite les clichés et redites et surtout, inscrit son récit dans un contexte inédit, celui du rapport père-fils. Un père qui a carbonisé son fils en étant absent toute son enfance, du fait de son incarcération, va devoir assumer son rôle pour tenter de sauver le futur de sa progéniture.
Le film est sombre et réaliste, et se passe quasiment exclusivement à l'intérieur et très peu dans la cour de la prison, mettant ainsi l'accent sur la claustrophobie et la promiscuité. De la corruption de certains matons aux mafias qui se sont créées, l'histoire se déroule en milieu très hostile.
Mais une lueur d'espoir traverse le film avec grâce. Tout d'abord elle prend la forme du personnage de Rupert Friend, civil bénévole que tente de ramener à un certain apaisement les rapports entre un groupe de taulards suivant une thérapie de groupe. Là le jeune homme va comprendre qu'il n'est pas seul à ne pas savoir canaliser sa violence. Jack O'Connell livre une prestation vraiment de haut niveau pour un jeune acteur de 23 ans, lui qu'on a découvert dans la série Skins. Son personnage cherche le père qu'il n a pas eu tout en voulant lui prouver qu'il peut vivre sans lui.
Ben Mendelshon, génial acteur vu dans "Animal kingdom", "Cogan kill them softly" ou "The place beyond the pines", livre à nouveau un excellent personnage. Dans le rôle de bête enfermée qui retrouve son instinct paternel, il est juste, sobre et très bon. Et bien que le film soit au final bouleversant, son réalisateur, David Mackenzie, ne cède à aucun moment à la facilité, au sentimentalisme...cette réconciliation d'un homme avec son passé, cette projection qu'il a de préserver un avenir pour son fils, fait sauter le mur de ce film de prison pour en faire une très belle œuvre sur la filiation.
Alors ne vous arrêtez pas à l'étiquette "film de prison" et poussez donc la porte de cet enfer, ça ne dure que 1h45 et c'est une très belle réussite et l'un des films à ne pas manquer en 2014.d'ingéniosité...
N°07 - "Gone girl" de David Fincher
David Fincher est l'un des plus grand réalisateurs hollywoodiens. Chaque film est en soit un événement. Si "Gone girl" n'atteint pas les niveaux de ses chefs d’œuvre, "Fight club", "Zodiac" et "The social Network", il n'en demeure pas moins très au dessus du lot.
En choisissant d'adapter un thriller sur la mise en accusation d'un homme suite à la disparition de sa superbe et parfaite épouse, on pouvait craindre un thriller efficace mais un film mineur pour Fincher.
Fort heureusement les ingrédients habituels sont là avec un casting surprenant. Ben Affleck est parfait en mec pataud et au bout du rouleau de son couple, et aussi à l'aise dans la naïveté que la vilénie. Rosamund Pike est quant à elle excellente dans son rôle de petite fille modèle et pourrait grâce à ce film décrocher bien des rôles par la suite.
Fincher use de son brio habituel de mise en scène pour faire glisser son thriller vers une manipulation et des rebondissements qui ne sont pas sans rappeler son film "The Game", l’esbroufe et le trop plein de surprises en moins. Le réalisateur a beaucoup appris en 15 ans et surtout à en faire moins, pour le bien du film.
Et puis surtout, le regard narquois et moqueur qu'il livre de l’Amérique modèle, du couple et des médias sont savoureux. Certains reprochent au réalisateur sa misogynie mais c'est idiot. Il s'amuse juste des faux semblants, de l'hypocrisie du paraitre en société, y compris de l'image que véhicule un couple "modèle" et de son utilité pour les membres du couple. La puissance des frustrations exprimées par ce couple qui se déteste mais n'ose mettre un terme à leur prison par soucis divers et variés, est à la fois violente et perverse.
"Gone girl" est un film noir et paranoïaque, qui vous bluffera par son côté ironique et cruel. Captivant et malin, le film doit être vu tant pour sa mise en scène que pour son script ou son jeu. Un des très bons films de cette fin d'année.
N°06 - "Under the Skin" de Jonathan Glazer
Diriger un film de SF quasi muet, où la parole se fait rare, centré sur la beauté venimeuse d'une Scarlett Johansson qui passe le plus clair de son temps à conduire un grand van dans des villes paumées d'Ecosse, c'est comment dire...ultra casse gueule !
Et pourtant, Jonathan Glazer signe là l'un des films de SF les plus originaux de ces dernières années, par une réalisation sobre, des choix radicaux et une utilisation géniale de l'imagerie fantomatique et perdue d'Ecosse et du charisme de son actrice star.
Pour son adaptation de la nouvelle de Michel Faber, Glazer choisit donc de coller à une extraterrestre qui s'est glissée dans la peau d'une humaine ultra sexy. Nous allons donc suivre cet être sans aucune explication sur la façon dont elle a débarqué sur terre et sans aucune parole entre elle et ceux qui l'ont envoyée.
Surtout, nous allons voir à travers ses yeux les humains comme des individus totalement étrangers, comme une race extérieure à la notre. C'est un peu l'histoire d'un œil venu de l'espace qui se baladerait au milieu des hommes. L'alien a une mission, celle de faire disparaitre des hommes après les avoir séduits. Mais plutôt que de faire de cette mante religieuse un assassin sanguinaire, le personnage va plutôt se contenter de chasser, de séduire et d'attirer ses proies, laissant le reste se dérouler sous forme d'un symbolisme assez fascinant et troublant, rendant hommage à bien des imageries des années 70. Les chimères que le réalisateur vous montre à l'écran au milieu de scènes pourtant d'une grande banalité, vous heurtent et vous suivent de façon fantomatique bien après la séance.
Le film comporte peu de textes mais aussi peu de musique. La bande-son est stridente et créé une atmosphère oppressante, qui va amplifier des scènes d'une grande limpidité, nous amenant au bord de certains précipices plutôt inédits en matière de SF. Les aliens sont rarement gentils au cinéma mais on comprend souvent leur objectif et surtout on les voit du côté humain. Le renversement de situation et d'approche est pour le coup très réussi. Et puis surtout, l'absence totale de réflexes humains, d'empathie pour ces derniers, donne lieu à des scènes quasi muettes mais terrifiantes sans pour autant verser dans l'hémoglobine. Pas du tout même. Les effets spéciaux s'avèrent inutiles face aux talent de mise en scène de Jonathan Glazer.
Le film est visuel avant tout, fascinant par sa fluidité et sa simplicité, l'abstraction donnant à l'objet filmique non identifié un statut tout particulier. "Under the skin" est un film sensoriel et une expérience de cinéma, un film surréaliste, très esthétique et sombre à la fois. Le film est anxiogène et fait froid dans le dos à bien des moments mais réserve un final déstabilisant, d'une vision poétique assez géniale.
Enfin si il peut paraitre long à certains, j'ai pour ma part totalement adhéré à ce film conceptuel novateur, gonflé et porté par une Scarlett Johansson qui a rarement été aussi envoûtante et pertinente dans son choix de projet artistique.
"Under the skin" est une excellente surprise est l'un des films de 2014 à voir de toute urgence !
N°05 - "Dallas Buyers Club" de Jean-Marc Vallée
Le réalisateur de C.R.A.Z.Y a eu une excellente idée que celle de s'intéresser à l'histoire de ce personnage atypique et antipathique, atteint du VIH et qui décida de ne pas suivre les traitements officiels pour prendre d'autres médicaments vendus au Mexique. En effet l'histoire est très originale et permet au réalisateur d'aborder divers thèmes avec une efficacité redoutable. Le personnage principal est un texan machiste, homophobe et ultra égocentrique. Il n'a rien pour lui, c'est une loque. Mais voilà, à force de se piquer à l'hero, il contracte le virus du Sida. Se rendant compte rapidement que les traitements adoubés par les autorités sont destructeurs, il va décider de prendre un chemin de traverse car il n'a rien à perdre. Ces derniers furent prescrits par un corps médical rémunéré par les grands laboratoires. Et lui en trouva des plus efficaces et décida d'en faire commerce, permettant à des centaines de malades de prolonger leur vie de plusieurs années.
Le film raconte sa lutte contre les autorités et les labos, qui ne voulaient évidemment pas autoriser des traitements nuisibles à leurs propre business et qui omettaient volontairement des études scientifiques étrangeres dans leurs rapports ; un cynisme qui glace le sang. Cet aspect du film est passionnant. Mais le meilleur du long métrage se trouve dans la transformation d'un véritable connard, se faisant du fric avec la maladie, en un mec moins mauvais. Matthew McConaughey livre une superbe prestation et confirme qu'il est l'acteur du moment. Jared Leto, qui avait mis sa carrière entre parenthèses pour se consacrer à son groupe musical, trouve quant à lui son meilleur rôle dans ce travesti associé dans l'affaire de revente de médicaments, qui va réussir à faire changer le regard homophobe d'un gros con de texan en un regard humain et tolérant.
Le film est enlevé, et contrairement à Philadelphia, ne tombe pas dans le larmoyant. Et c'est tout l’intérêt que de conter cette histoire vue d'un hétéro homophobe confronté lui même au rejet...car il a la même maladie que tous ces "Pd" sur lesquels il crachait.
"The dallas Buyers Club" est à la fois bien réalisé, d'une interprétation de haut vol et illustre une scénario impeccable et intéressant. Que demander de plus? Le triumvirat d'un excellent film est là !
N°04 - "The Rover" de David Michôd
David Michôd revient trois ans après son excellent "Animal Kingdom" et change radicalement de style, signant probablement son premier chef d’œuvre.
L'histoire se passe dans le désert Australien, 10 ans après une crise économique majeure ayant ruiné les sociétés occidentales et les ayant faites entrer dans le quart monde. Un homme se fait piquer sa voiture et décide de poursuivre à tout prix la bande qui le lui a volée.
Qu'y a t-il comme lien entre les hommes lorsque tout s est effondré ? Redevient-on des bêtes ou reste t il quelquechose ? Et c'est quoi ce qu'il reste ? Le film dissèque le cadavre de nos sociétés occidentales...après la chute...lorsque l'abondance et les échanges matériels se sont stoppés 10 ans auparavant, laissant place à la misère. L'égoisme et le chacun pour soit de nos sociétés modernes a préparé le terreau d'une survie encore plus brutale lorsque le décor disparait. Aucune entraide et aucun soutien n'est à chercher chez d'autres être humains puisque le déshumanisation a précédé le cataclysme économique.
Avec des dialogues tendus et rares, des flashs de violence ponctuant le récit, David Michôd livre un Mad Max ultra sombre, un mad max sans le côté fun et grand public.
Robert Pattinson est excellent dans son rôle à contre emploi face à un Guy Pearce égal au talent qu'on lui connait. Son personnage mutique a un regard alternant entre sauvagerie, survie, lueurs du passé.
Le délitement du lien social a déjà eu lieu, le besoin de survivre s'étant déjà substitué au reste. On assiste aux ravages du capitalisme une fois mort, à la destruction de la morale et à cette absence de but pour chaque individu, laissé à lui même, sans cadre...sans idéal puisque les grandes utopies sont déjà mortes avant la chute. Le film montre une violence écrasante et étouffante et utilise le désert australien et son imagerie post apocalyptique bien connue pour illustrer le propos. The Rover réinvente le genre. The Rover fait partie de ces films coups de poing auxquels vous pensez plusieurs jours après parceque l'impact a réveillé un mixte de réflexion et d'imageries mêlées de façon novatrice. Un film effrayant et somptueux à la fois.
N°03 - "Mommy" de Xavier Dolan
Après 4 films très réussis et déjà un public fidèle, le petit prodige Xavier Dolan a mis la croisette à ses pieds et failli remporter la palme d'or 2014, repartant avec un prix du jury comme lot de consolation.
Entendons nous, Dolan divise. Il est jeune, talentueux, beau, immodeste, limite insupportable dans ses interviews. Mais bon. Il a du talent, énormément de talent et son "Mommy" est assurément son meilleur film et l'un des meilleurs films de l'année.
Le réalisateur choisit donc de retourner au thème de prédilection de son 1er film, "J'ai tué ma mère", à savoir le rapport filial complexe entre une mère et son fils. Sauf qu'ici, le fils a des troubles compulsifs violents, ce qu'on nomme le symptôme TDAH.
Pour interpréter la mère veuve et la voisine qui va se prendre d'affection pour ce duo improbable, Dolan convoque ses deux fidèles interprètes, Anne Dorval et Suzanne Clément, tout simplement excellentes. Xavier Dolan est aussi un très bon directeur d'actrices. Antoine-Olivier Pilon, découvert dans le célèbre clip de Dolan pour Indochine, est quant à lui une révélation, dans un rôle pas si facile qu'en apparence.
Cette histoire est rude, très rude mais magnifique car son thème est l'amour impossible à gérer entre une mère dépassée par les évènements et son fils incontrôlable et malade. Et puis l'idée d’introduire une tierce personne, accidentée de la vie, qui va vivre une aventure particulière et perturbante, est tout simplement géniale ! On sent la passion révolutionner la vie morne de cette femme brisée. Elle trouve dans ce gamin et sa mère, un but dans la vie et une amie, une raison de revenir dans le monde des vivants et une âme qui peut la comprendre et qu'elle peut aider. C'est beau car c'est généreux, vivant, vivifiant même.
Xavier Dolan arrive à nous faire rire d'un sujet particulièrement difficile et cruel, et dans la scène d'après il nous tire des larmes en une scène surprenante. Inspiré plus que jamais par Pedro Almodovar, son cinéma est jouissif car il connait bien des codes et les manipule avec brio.
"Mommy" est un film sur l'espoir, quoiqu'il arrive, dans la pire des situations, un film fort car résolument optimiste malgré son sujet. Il a l'énergie de la jeunesse de son réalisateur, sa générosité. C'est émotionnellement fort, techniquement impeccable, hyper bien joué. La candeur de Dolan colle à merveille à l'empathie qu'on ne peut qu'avoir pour ses personnages, de belles personnes, cassées certes mais belles, très belles. Xavier Dolan montre que le cinéma peut transfigurer la pire des histoires et en faire un grand film qui marquera très probablement.
N°02 - "Boyhood" de Richard Linklater
Voici plusieurs années que votre dévoué BlancLapin attend ce film au concept génial, celui de faire vieillir sans aucun artifice ses acteurs, en les filmant chaque année sur une période de 12 ans.
J'étais donc ravi quand Richard Linklater obtint l'ours d'argent à Berlin en février dernier...mais aussi fébrile à l'idée d'être déçu.
Fort heureusement, il n'en n'est rien. Linklater retrouve son acteur fétiche, Ethan Hawke en papa divorcé tentant de tenir sa place avec ses deux enfants, vivant avec leur mère, interprétée par Patricia Arquette.
Le film va suivre le quotidien d'un gamin de 6 ans, joué par Ellar Coltrane et de sa famille, jusqu'à l'âge de 18 ans. Bien entendu, le procédé est émouvant en soit et relativement inédit. Mais cette idée aurait pu vite tourner en vrille ou apporter son lot de sentimentalisme malvenu.
Sauf qu'ici, Linklater choisit de raconter les petits riens de la vie, rien d'exceptionnel, pas de destin fulgurant, juste comment un enfant se forge sa personnalité pour devenir l'adulte qu'il est à 18 ans.
Les influences des parents, l'évolution des modes, des phénomènes de société comme Harry potter, de l'environnement politique (la guerre en Irak, l'élection d'Obama) vont façonner un individu, à travers le prisme de son entourage. Et c'est celà qui est magnifique dans ce film.
La simplicité et l'humilité du récit pour une histoire universelle, l'histoire du vieillissement naturel au sein d'une famille. Linklater aborde ainsi l'identité culturelle et politique, la difficulté d'assumer le rôle de père dans un couple séparé, les émois de l'adolescence, la déchirure de voir partir ses enfants devenus adultes, et tout un tas de thèmes d'une grande banalité...sauf qu'ici, ils font plus vrais que nature, de façon quasi documentaire, et donc, de façon assez fascinante.
Le découpage du film permet de passer d'une année à l'autre de manière très naturelle. Et puis parfois, la mélancolie s'empare du récit mais là aussi sans jamais verser dans le mélo. Cette chronique familiale vous touchera forcément car elle capte quelquechose qui d'habitude sent beaucoup plus le fictionnel.
Le film est calme et ambitieux à la fois, d'une douceur et d'une grande justesse. Le jeune Ellar Coltrane fera espérons le une belle carrière par la suite, avec son air faussement mystérieux, d'autant plus touchant qu'on l'a vu grandir sous nos yeux.
L'appréciation du temps qui passe est au cœur du récit et de sa morale d'ailleurs, Linklater estimant que l'on est toujours plus heureux en vivant le moment présent qu'en se rattachant au passé ou en se tournant trop vite vers l'avenir. Une morale facile ? Peut-être...mais le résultat est là.
"Boyhood" est un très beau film, l'un des plus beaux de cette année et probablement l'un des meilleurs. Il serait vraiment dommage de ne pas vous déplacer pour tenter l'expérience.
N°01 - "HER" de Spike Jonze
L'auteur de "Dans la peau de John Malkovich" se fait hélas extrêmement rare. Et pourtant, il est l'un des réalisateurs indépendants américains avec un vrai univers et de vrais concepts à chaque fois qu'il passe derrière la caméra. Son dernier, "Max et les Maximonstres", sorti en 2009, était à la fois tendre et cruel et réussissait à capter de façon particulièrement délicate les états d'âmes de l'enfance.
Avec "HER", Spike Jonze signe cette-fois ci seul son scénario, sans son fidèle Charlie Kaufman, et livre une œuvre tout aussi originale et décalée mais avec une dose d'émotion encore plus forte. Bien sûr la psychés humaine reste son terrain de jeu. Mais cette fois-ci son film est élégant, limpide au niveau de la narration et surtout, il vous prend aux tripes.
Entendons nous, non seulement Spike Jonze a réussi à me faire pleurer avec son histoire d'amour entre un homme et la voix de son ordinateur, mais il s'est en plus débarrassé de tout effet de mise en scène pour livrer une œuvre majeure sur la solitude et sur la naissance des sentiments, leur évolution et le besoin vital de se sentir aimé. Il cherche surtout à illustrer ce qui fait de nous des humains à travers un être artificiel, symbole du phantasme féminin absolu.
"HER" est un pur chef d'oeuvre d'émotion, délicat, joué avec une partition exceptionnelle par Joaquin Phoenix et la voix si particulièrement chaude de Scarlett Johansson.
L'anticipation est ici ultra réaliste et traite du remplacement progressif du lien humain par des liens autres, l'étape d'après les réseaux sociaux...il en exploite la facilité et de nouveaux horizons qui peuvent paraitre glauques et tristes parfois et très touchants dans d'autres scènes. Et puis surtout, il s'attarde sur le sentiment d'abandon, sur le deuil après avoir été délaissé par la personne aimée puis sur le besoin de recréer une autre histoire et sa mécanique...Le film est plutôt ensoleillé et joyeux la plupart du temps, jouant sur l'absence d'objet du désir masculin de chair et de sang, pour mieux s'intéresser à l'amour et à son rôle dans la reconstruction et la projection.
Le film est brillant de bout en bout, sur une thématique originale, d'une douceur incroyable, poétique, romantique, mélancolique et au final bouleversante. C'est bien entendu le meilleur opus de Spike Jonze et ce sera probablement l'un des plus beaux films de 2014. Un état de grâce rare au cinéma.
2015
N°10 - "Strictly Criminal" de Scott Cooper
Après 15 ans de perdition totale dans des rôles où il se caricaturait, Johnny Depp revient à son meilleur.
Car on l'oublie un peu mais Depp est l'un des meilleurs acteurs de sa carrière, une carrière qui débuta par Tim Burton à son époque inspirée, le magnifique "Dead Man" de Jim Jarmusch, le génial "Las Vegas Parano" de Terry Gilliam, Emir Kusturica et son très beau "Arizona dream"...bref, un temps où Depp ne jouait ni pour le fric avant tout ni pour faire marrer ses gamins en se travestissant jusqu'à ne plus jouer que le même rôle incessant et agaçant, fatiguant. Quel gâchis...
Il aura fallu donc que Scott Cooper, excellent réalisateur de "Crazy Heart" et "Les brasiers de la colère" s'attaque à l'un des criminels psychopathes les plus terribles du crime organisé des années 70 et 80 pour que Depp rejaillisse. Alors certes, il est grimé une fois de plus mais bon, Marlon Brando avait assuré un retour fracassant en son temps en parrain de Francis Ford Coppola. La comparaison s'arrête là car "Stricty criminal" n’atteint pas ce niveau. Mais le film est très bon et surtout, il donne une image différente de ces rues de gangsters que Scorsese ou Brian De Palma ont immortalisées.
Johnny Depp incarne donc James «Whitey» Bulger, petit mafieux de Boston qui va prospérer en devenant informateur du FBI via un de ses "amis" d'enfance, John Connolly, joué par un Joel Edgerton tout en beaufitude et cynisme mêlés.
Depp est glaçant avec ses lentilles bleu-grises et son teint blafard. Il évolue tel un vampire manipulateur, capable d'une violence extrême à tout moment. Seuls trois personnes comptent, sa mère, son frère sénateur joué par le toujours parfait Benedict Cumberbatch, et son petit garçon. Le reste ne compte pas. Ou tout du moins le reste ce sont les affaires et les façons de les mener, par la peur. Comme si son humanité se limitait à trois personnes et peut être une cause, l'indépendance irlandaise. A part cela, le reste des humains sont des pions. Il incarne le crime organisé "personnifié" comme le dit l'un des personnages. Et c'est l'un des meilleurs rôles de Johnny Depp, assurément.
Et puis Scott Cooper est juste ultra doué. Le travail de reconstitution par son équipe du Boston des seventies est excellent. La mise en scène est tendue, brusque.
Espérons maintenant que Depp se ressaisisse avec d'autres projets de ce type. En tout cas, ce "Strictly Criminal" est une grande réussite.
N°09 - "La tête haute" d'Emmanuelle Bercot
Avec "La tête haute", Emmanuelle Bercot signe un film magistral sur les fonctionnaires qui ont pour mission de tenter de recadrer et donner un sens à la vie d'enfants élevés dans des conditions si difficiles, qu'ils sont beaucoup trop violent pour susciter quelque espoir.
On va suivre Malony, interprété de façon très juste par le jeune Rod Paradot, gamin de 16 ans tête brulée qui ne maitrise pas sa colère, s'avère analphabète et a très peu suivi le parcours éducatif tellement son cas était difficile. Comment ramener un être sauvage dans un droit chemin qui lui permette au moins d'avancer et de ne pas se couper tous les ponts ? Comment instaurer un contact et tout doucement lui faire comprendre que c'est pour son bien et avant tout pour lui que les mesures de protection, de mises en centres fermés, sont nécessaires.
Benoit Magimel interprète un éducateur humain mais blessé et fragile pour avoir connu un parcours lui même compliqué. C'est sans doute l'un des plus beaux rôles de Magimel et l'un très grandes forces du film. La grande Catherine Deneuve joue quant à elle la juge des mineurs, tiraillée entre son humanité et les choix qu'elle doit rendre pour le bien de la société, l’adolescent étant parfois dangereux et toujours imprévisible. Elle est impériale.
Bercot choisit de filmer une histoire des plus crédibles, avec toute la dureté qu'on connait dans son écriture mais aussi des élans de tendresses extrêmement pudiques qui permettent au film d'atteindre de hauts sommets d'émotions. Ce n'est pas parceque son film est parfois raide quand traduit le fonctionnement de la justice ou d'un système éducatif spécialisé normé, qu'elle oublie d'y ajouter le jugement propres de ces hommes et femmes qui luttent contre des enfants mutilant leur avenir sans réflexion aucune. C'est une belle déclaration d'admiration à ces métiers qui font honneur à la république.
Ce drame bouleversant est surtout solaire car il tire de l'espoir de situation très sombres, d'impasses impossibles à franchir. Cette mise en scène âpre aidée par un jeu de comédiens d'une très grande justesse feront sans nul doute de ce film l'un des grandes réussites de l'année.
N°08- "Birdman" d'Alejandro González Iñárritu
J'attends ce nouveau long métrage du mexicain depuis l'annonce que j'avais faite de son casting il y'a deux ans. Il faut dire que l'idée de prendre Michael Keaton, ex Batman de Tim Burton, pour jouer un ex acteur "super-héros", has been qui tente de relancer sa carrière à Broadway, c'est juste génial.
Ensuite voir Alejandro González Iñárritu prendre un vrai risque et délaisser son cinéma sombre (Babel, Amours chiennes, 21 grammes) pour une comédie ne pouvait qu'exciter votre dévoué blanc lapin.
Après il y'a eu l'accueil triomphal au festival de Venise jusqu'à ses quatre oscars la semaine dernière.
Le film est en effet une réussite même si certains reprocheront à Iñárritu ce qu'on lui assène à chaque fois, à savoir son manque de retenue, son côté bourrin et bigger than life. C'est vrai qu'il en fait des caisses. C'est vrai que l'idée de tourner uniquement en longs plans séquences peut faire poseur mais moi j'adore car le film est généreux. Il est certes monté pour récolter des prix avec sa thématique et ses acteurs tous excellents mais pourquoi bouder son plaisir ?
Edward Norton n'a pas été aussi bon et présent depuis des lustres, Naomi Watts est parfaite en écorchée et Michael Keaton trouve le rôle de sa vie, à mi chemin entre introspection personnelle et fiction. Il est juste excellent de bout en bout. Iñárritu va donc se moquer du milieu du show bizz, des critiques de théâtre élitistes qui préfèrent mettre tout Hollywood dans un sac d'égocentriques enfants-gâtés plutôt que de leur laisser une chance. Il nous parle aussi de la difficulté de survivre dans ce métier d'acteur où tout le monde s'adore en apparence mais où tout le monde est concurrent. Keaton incarne donc cet être qui a pété les plombs plus jeune en atteignant les sommets de la gloire puis qui a subi une chute d'Icare, et enchainé une carrière peu reluisante jusqu'à avoir la cinquantaine et être au pied du mur. La blessure narcissique du personnage est vraiment belle à contempler. Il tente de se refaire en montant une pièce dont il sera le rôle titre et qui lui permettra de prouver qu'il sait jouer.
Ou comment se défaire de l'étiquette du rôle de sa vie que lui colle encore le public 20 ans après ? Birdman parle de tous ces acteurs emprisonnés par un succès et qui n'arrivent jamais à s'en sortir par le haut, plantant toute leur carrière ainsi que leur vie familiale. On y voit tout l'égocentrisme d'un homme qui a voulu retrouver sa flamme et qui pour cela a gâché sa vie personnelle, sa vie de père, jusqu'à perdre toute identité.
L'utilisation d'effets spéciaux en plein film d'auteur est aussi quelquechose de particulier dans le long métrage. Elle permet de coller parfaitement au personnage et à l'imprégnation mentale de son double à l'écran, celui qui lui a permis de s'envoler et qui fait que si il redécolle, il ne souhaitera surtout plus jamais revivre l'abandon du public et les affres de la descente aux enfers. La poésie côtoie le surréalisme de certaines scènes avec jubilation. Ce personnage est à la fois touchant et insupportable. C'est un type centré sur lui mais d'une telle solitude qu'on finit par s'attacher. Iñárritu le ridiculise pour mieux le suivre de plus près, avec toute la force du plan séquence qui nous met dans l'esprit que la vie est un théâtre continu où le combat est permanent.
Le film est drôle, souvent cynique, parfois dingo, d'une grande maitrise technique et toujours surprenant. On pourrait même dire qu'il est baroque et parfois agaçant mais c'est ce qui fait que le film est très bon. Ce regard de l'intérieur des coulisses d'un théâtre est une intrusion au cœur d'un univers barré et composé d'êtres très particuliers...un cirque d'égos délirants et touchants à la fois.
Alejandro González Iñárritu a signé un film formellement brillant, audacieux, une leçon de cinéma, aidé par un casting à hauteur d'un sujet fort. Un vraie grande réussite et la récompense d'un beau pari de mise en scène.
N°07 - Vice Versa de Pete Doctor
Cela fait de nombreuses années que Pixar ne nous émerveille plus, jouant sur des suites inférieures à leurs succès passés, si l'on met à part "Toy Story 3".
Or tout ce qui a fait du studio un électron libre résidait dans l'originalité de ses scénari, l'inventivité créatrice de ces concepts et l'approche du public à la fois adulte et tournée vers les enfants, chacun y trouvant son compte. Cet universalisme bluffait bien souvent car il ne sacrifiait pas la qualité artistique du résultat à l'exigence de ses histoires, abordant des thèmes novateurs pour l'animation, et ne se contentant pas d'innover techniquement.
Alors forcément, "Vice Versa" fait du bien. L'idée fait penser à "Il était une fois la vie", série animée des années 80, avec une touche bien personnelle. On va donc suivre les émotions d'une petite-fille, que sont Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût. Le début du film est très drôle comme au meilleur de Monstres et Compagnie avec ces personnages hauts en couleur et l’interaction de leurs fonctions stéréotypées avec les agissements de l'enfant. Mais tout le talent des magiciens de Pixar et de nous montrer l'évolution du personnage, de voir la petite fille grandir au grès des aventures de Joie et Tristesse, expliquant comment les sentiments vont se complexifier et interagir entre eux. Le long métrage regorge de très bonnes idées et de personnages attachants comme l'ami imaginaire.
Et puis comme souvent, Pete Doctor n'hésite pas à distiller de la mélancolie au milieu d'un film pour enfants voire même parler de dépression chez une gamine, sujet pour le coup jamais abordé dans un film d'animation. Sur cet aspect, "Vice Versa" frappe fort car expliquer la construction d'une identité et le mode opératoire de la sélection des souvenirs pour y arriver, relève d'un sacré défi ! Tout en restant ludique...
J'ai juste eu un petit sentiment de déception dû probablement à deux facteurs. Le premier réside dans les personnages et les situations plus enfantines que d'autres Pixar comme "Là Haut" ou "Wall E"...le second est lié à la longueur du périple de Joie et Tristesse dans le Cortex de l'enfant. En effet, les liens entre l'environnement de la petite fille et son intérieur sont peut être moins fréquents, laissant passer une baisse de rythme du film, qui avait débuté très fort. Cependant ce serait bouder son plaisir que de ne pas reconnaitre que "Vice Versa" est une belle réussite du studio, à voir sans hésitation car ils sont de retour et en grande forme ! Tant visuellement qu'en terme d'émotions mêlées, le film fait mouche à bien des égards dans ce récit initiatique de l'intérieur.
N°06 - "Mia Madre" de Nanni Moretti
Quinze ans après sa palme d'or pour "La Chambre du fils", Nanni Moretti signe son film le plus émouvant et peut être bien son meilleur film, tout simplement.
Margherita est réalisatrice, elle tourne son nouveau film, social dont l'un des rôles sera tenu par un célèbre acteur américain, joué par John Turturro. Mais sa mère est hospitalisée. Avec son frère, joué par Moretti lui-même, ils tentent de gérer le quotidien de leur mère, lui s'étant mis en disponibilité pour s'occuper d'elle et Margherita essayant de gérer sa mère, son plateau, son ex et sa fille adolescente.
On sent dans ce récit de l'accompagnement d'une mère vers la fin, beaucoup de l'histoire personnelle de Nanni Moretti et du décès de sa propre mère. Mais en choisissant de faire de la fille une réalisatrice, il prend un certain recul par rapport à son histoire. Il nous raconte ainsi cette séparation par la mort avec un regard bienveillant et moqueur par rapport à lui-même, à ses obsessions professionnelles. Surtout on y voit un superbe hommage à sa mère à travers les yeux des autres. La pudeur du récit force le respect, le film ne tombe à aucun moment dans le pathos, toujours avec un ton juste.
L'actrice principale, Margherita Buy, incarne cette femme de 50 ans tout en nuances. Dévorée par les doutes ou la peine, elle est de quasiment tous les plans et elle crève l'écran.
Le rapport de chacun des enfants à cette mère, ex professeur, qui aime la vie et s'avère curieuse de tout, ne pourra que vous émouvoir. Le film est d'une grande sobriété, parfois il est même très drôle et burlesque grâce aux scènes de Turturro.
Nanni Moretti sait si bien nous cueillir avec des situations simples, dans lesquelles chacun peut se reconnaitre, qu'il nous livre un film vraiment bouleversant. C'est un film pour dire adieu à sa mère, accepter l'inéluctable, pour une femme qui a vécu, fait son temps et que la vieillesse et la mort rattrapent comme elle rattrapera tout le monde. En soit, le film est assez tendre et préfère montrer les lueurs de vie que de tomber dans le morbide. Le fait que le film soit solaire accentue bien évidemment l'émotion générale. Mais il ne s'arrête pas là et parle de son Italie à lui, comme dans toute sa filmographie, et toujours avec un petit regard cynique et distancié.
Chose inhabituelle il me semble, Moretti use des rêves ou de la figuration des pensées pour décrire les angoisses ou des souvenirs, et c'est plutôt très réussi. Ce procédé facilite la mise en abime de l'intériorité du personnage principal.
"Mia Madre" est émouvant, drôle, social et marquera la filmographie de Nanni Moretti. C'est aussi l'un des plus beaux films de 2016.
N°05 - "Le Fils de Saul" de László Nemes
Les films traitant de l'extermination juive sont assez rares et la plupart du temps des documentaires, au premier rang desquels figurent les deux piliers fondateurs du devoir de mémoire, "Shoa" de Claude Lanzmann et "Nuit et Brouillard" d'Alain Resnais.
Côté film de fiction, c'est plus compliqué. On pense à "La vie est belle" de Benigni ou "La liste de Schindler" mais l'histoire ne se situait pas dans un camp d'extermination.
Alors pour filmer une cruauté complexe à montrer à l'écran, László Nemes fait un choix de mise en scène simple. Il va filmer Saul en gros plan et laisser l'horreur se dérouler autour de lui en arrière plan, en filmant les corps certes, mais sans insister, souvent hors champs, par pudeur. De même les victimes n'ont pas de visages, afin d'éviter tout pathos.
Cette histoire de juif chargé d'accompagner les victimes à la chambre à gaz puis de ramasser les corps, les empiler, nettoyer ...est évidemment un moyen habile d'entrer dans le cauchemar et de ne pas rester aux portes du camps. László Nemes nous montre aussi les fours crématoires, les cendres, les habits délaissés, l'industrialisation de ces meurtres de masse, l'individu devenant une unité mais tout çà, vous le savez déjà. Vous le savez mais c'est bien une piqure de rappel. C'est important de ne pas laisser l'oubli avaler cet épisode hallucinant de l'histoire ni de laisser les professionnels du match de génocides, réduire cette destruction de vies à un complot ou un détournement du réel. Le plus effroyable est de constater que les racines du mal sont toujours là et qu'elles repoussent toujours.
"Le fils de Saul" demande évidemment un certain effort par son thème, son absence totale d’échappatoire (contrairement au Benigni ou au Spielberg). Ce n'est pas un film moralisateur ni qui fait pleurer. C'est sec, factuel, effroyable et c'est probablement le meilleur moyen d'utiliser la fiction de façon intelligente sur l'extermination. Saul ne prononce quasiment aucun mot. Il est juste brutalisé chaque minute et ne tient qu'à l'instinct de survie, jusqu'à ce qu'il trouve une raison de retrouver une dignité humaine. En voulant honorer un mort, un enfant qu'il pense être le sien et qui ne l'est pas forcément, il s'accroche à ce qui a été un semblant d'humanité dans une vie antérieure.
Grand prix du Jury du festival de Cannes 2015, ce cinéaste hongrois entre de façon fracassante parmi les réalisateurs à suivre. Certes le sujet ne peut que toucher mais c'est bien sa mise en scène radicale, cet étouffement qu'il arrive à créer qui fait que son film mérite d'être vu. Il faut un grand talent pour traiter du sujet et en sortir indemne, sans voyeurisme, pour montrer l'horreur sans qu'elle soit frontale, ce qui est encore plus marquant.
N° 04 - "A most violent year" de J. C. Chandor
L'histoire se déroule en 1981 à New York et suit le destin d'un homme ayant monté sa boite dans le commerce du pétrole mais dont l'ambition fait des envieux, qui tentent par tous moyens de l'empêcher de se développer.
Le troisième film de J. C. Chandor est son meilleur mais il aborde une thématique qui traverse ses trois premières œuvres. Dans "Margin Call", avec Kevin Spacey, des traders essayaient de sauver leur peau, la veille de l'explosion de la bulle financière de 2007, dans "All is lost", Robert Redford tentait de survivre seul en plein océan indien, alors que la coque de son bateau était percée, en pleine tempête.
Ici le personnage d'Oscar Isaac tente de garder son calme et d'encaisser les coups bas de ses concurrents, faisant face à l'adversité avec fierté et courage. J. C. Chandor aime les personnages confrontés à une crise majeure, un danger imminent et comment ces derniers réagissent, gardent leur sang froid et arrivent à surpasser leurs peurs et leurs doutes.
Le long métrage est d'autant plus original et intéressant que des films ou la mafia gangrénait New York, on en a vu des tonnes. Mais New York filmé comme cela, dans ses petits quartiers périphériques, dans ce petit milieu des transporteurs, des petits entrepreneurs, c'est plus rare. Et puis surtout, J. C. Chandor s’intéresse à un homme profondément honnête, avec une morale, un état d'esprit, une ligne de conduite qu'il suit malgré les tentatives de corruption, de déstabilisation par la violence de ses concurrents.
Oscar Isaac est au demeurant excellent comme d'habitude et d'une très grande classe. Son jeu est sobre, tout en retenue. On comprend le plaisir qu'il a de retrouver Jessica Chastain, avec qui il a fait ses classes et suivi ses cours de jeune acteur de théâtre il y a dix ans. Leur complémentarité à l'écran fait mouche et Jessica Chastain confirme qu'elle est l'actrice hollywoodienne qui monte.
Ce film est majeur pour la connivence parfois inévitable qu'il montre entre capitalisme sauvage et corruption voire criminalité. Certes, l'Amérique permet à un immigrant de partir de zéro et de construire un empire mais ces liens douteux de castes entre puissants et pègre, peuvent à tout moment couper la tête des nouveaux entrants. Le film est un thriller sans aucune longueur, avec de la substance, du fonds et un personnage très attachant. La complexité du récit est parfaitement bien gérée, le réalisateur ayant non seulement l'ambition de présenter un récit tout en nuances, mais réussissant à ce qu'il ne stagne jamais, là où il aurait pu plonger dans une rhétorique confuse ou démonstrative. Les films noirs sont en fait assez rarement originaux, avec un tel souffle, une atmosphère aussi bien taillée sur mesure.
J. C. Chandor voit le rêve américain vu comme un cauchemar hypocrite. Il prend le soin de développer son analyse avec une fausse lenteur, compensée par une montée progressive de l'émotion et des enjeux. Il est tout simplement un grand metteur en scène. L'éthique et la manipulation sont de très bons thèmes pour ce jeune réalisateur (à peine 40 ans) et donneront lieu par la suite, je l'espère, à d'autres pépites comme cet excellent "A most violent Year".
N°03 - "Kingsman : Services secrets" de Matthew Vaughn
Je n'attendais pas "Kingsman" spécialement. Pourtant Matthew Vaughn a réalisé l'excellent "Stardust" et surtout le "X Men, le commencement", avec brio.
Sa collaboration avec Bryan Singer sur la franchise X men avant qu'il ne le laisse la reprendre, a peut être été bénéfique.
En effet j'étais dubitatif sur le fait qu'il ne poursuive pas l'aventure X men après ce succès mérité. Le projet en lui même me faisait beaucoup trop penser à "Kick Ass", son autre adaptation de Mark Millar, que j'avais détestée. Le film était faussement badass, faussement trash, les persos étaient transparents et la cool attitude générale m'avait sérieusement gonflé puisque derrière j'y avais vu un trou béant.
Et bien avec "Kingsman", c'est très très différent. C'est même l'inverse.
Tout d'abord parceque Colin Firth est un acteur génial, qu'il a une classe folle et qu'il est idéal dans un rôle d'agent secret. Ensuite parceque Samuel L. Jackson est aussi excellent et que même si il cabotine, il le fait hyper bien. Si on ajoute Mark Strong, Michael Caine et le ptit nouveau, Taron Egerton, qui assure grave, déjà, le casting est au top.
Ensuite le film joue avec les codes de James Bond avec un humour violent, délirant, trash, décomplexé mais qui fait mouche. Ce second degré sied tout simplement aux personnages et à l'univers qui nous est décrit.
Enfin et surtout, Matthew Vaughn n'a pas lésiné sur des effets spécieux excellents et sur un élément un peu important...le scénario !
Là où celui de Kick Ass était franchement mauvais, celui ci réserve des surprises et perd donc le spectateur. Ce qui aurait pu être une comédie fadasse devient alors au contraire un film d'action comique, 10ème degré mais extrêmement cruel. Il mélange les genres, introduit du Tarantino fou dans du film d'espionnage avec un humour un peu con. Le résultat est élégant, jouissif et désinvolte.
J'ai juste vu un film super fun, à l'univers ultra référencé bourré de clins d’œils et politiquement très incorrect...et vous savez quoi, ben j'ai aimé ! Étonnant non ?
Un divertissement pop et jouissif de haute tenue.
N°02 - "Youth" de Paolo Sorrentino
Paolo Sorrentino a loupé de peu la palme d'Or il y a deux ans avec "La Grande Bellezza", et on peut légitimement se demander si en la ratant avec ce petit bijou en 2015, il ne va pas subir la malédiction de certains grands réalisateurs comme Pedro Almodovar, jamais récompensés.
En tout cas l'Italie a trouvé un nouveau maitre qui redort ses lettres de noblesses, faisant des clins d'oeils à peine voilés à Fellini et Francesco Rosi tout en développant son propre style.
On va donc suivre avec "Youth" deux amis de 60 ans, qui approchent des 80 ans et passent au même moment des congés dans un hôtel luxueux des Alpes, où se côtoient des stars du foot, du cinéma et de très riches clients.
L'un, joué par Michael Caine, est maestro. Il n'exerce plus depuis de nombreuses années et se refuse à diriger de nouveau un orchestre malgré les appels de la Reine d'Angleterre. L'autre, joué par Harvey Keitel, est un cinéaste qui cherche avec son équipe de scénaristes à boucler l'écriture de son dernier film, celui qu'il laissera en testament.
Le duo d'acteurs que Sorrentino a eu la géniale idée de réunir, plane très très haut. Ces grands messieurs du septième art que sont Michael Caine et Harvey Keitel ont trouvé un superbe film pour briller de tout leur talent. Le respect est total pour ces deux carrières sans fautes. Bien entendu, le culte qui se cache derrière ces deux acteurs rend d'autant plus crédible à l'écran leur rôle de vieil artiste reconnu.
Ensuite le film va traiter de nombreux sujets avec une grande simplicité, dans la pureté des paysages alpins, avec un humour toujours subtil. Il est l'heure des bilans sur la carrière et la vie professionnelle des deux personnages, ne sachant pas vraiment quoi faire à présent, comment prendre le dernier virage avant la fin. La fille de l'un lui envoie dans la tronche son égoisme froid et distancié, l'actrice fétiche de l'autre le fait qu'il décline artistiquement en même temps que physiquement. Paolo Sorrentino nous parle aussi d'amitié, sur la très longue durée, des regrets, des trahisons, du sentiment curieux de ces octogénaires qui n'ont plus d'avenir et qui se rendent compte qu'ils ont consommé tous leurs crédits. Les deux ont eu de belles vies mais que faire à présent ?
Comme dans "Les fraises sauvages" d'Ingmar Bergman, les discussions sont nombreuses mais ici Sorrentno introduit divers personnages pour donner le change. Paul Dano est excellent en star de ciné Indé tandis que Rachel Weisz est subtile en femme et fille blessée.
Et puis la réalisation est ultra léchée, Sorrentino se permettant des scènes oniriques pour illustrer l'état d'esprit de ses protagonistes. Ceci peux sembler too much et trop "m'as tu vu?" dans un film d'auteur. C'est juste moderne et poétique. Et surtout très inspiré...
"Youth" est une claque d'émotion qu'on se prend en pleine face car c'est un très bel hymne à la passion pour un art, à la création comme pivot d'une vie, vecteur d'espoir et de dignité. Le film est lumineux, ensoleillé malgré son sujet dépressif. Et puis cet humour caustique permet à l'ensemble d'insuffler un charme salvateur à l'histoire.
Paolo Sorrentino a eu raison d'être ambitieux dans son sujet. Il nous livre l'un des plus beaux longs métrages de cette année.
N°01 - "Mad Max Fury Road" de Georges Miller
Enfin, voici ce film culte que j'attendais depuis 10 ans ! La production fut difficile, reportée maintes fois mais c'est avec grande classe que Georges Miller revient 30 ans après son troisième Mad Max pour nous livrer une quatrième aventure de son héros.
La première idée géniale est de conter une aventure qui pourrait se suffire à elle même, puisqu'on connaît Max, inutile de ressituer le contexte. D'ailleurs Tom Hardy est immédiatement crédible en homme qui a perdu tout espoir en l'humanité et qui ne fait que survivre. L'absence de Mel Gibson et son remplacement se passent avec une facilité déconcertante. Il faut dire que Tom Hardy doit dire trois phrases durant tout le film.
Et c'est là où Miller nous explose les rétines et nous montre qu'il est un maitre du film d'action. Son scénario tient sur un ticket de métro et pourtant, le film est halletant et fascinant du début à la fin. Il choisit son méchant de Mad Max 1 pour incarner Immortal Joe, un gourou dictateur qui a la main mise sur un réservoir d'eau naturelle mais qui se meurt et tente de se projeter via la naissance d'un fils valide. Il a créé une secte dont il est le dieu vivant et dont les jeunes War Boys sont des fous au cerveau lavé depuis l'enfance, prêts à sacrifier leur vie pour un hypothétique Valhalla qu'il leur a vendu. L'après civilisation que Georges Miller nous donne à voir est non seulement originale et barbare mais elle s'inscrit dans la mythologie post apocalyptique qu'il a lui même créée début les années 80...le tout est cohérent et nouveau en même temps. Or Miller a inspiré une bonne part de la SF, ciné, bd et mangas quand il s'agit d'imaginer des mondes où l'humain est redevenu une bête sans règles et sans morale. Bref, le boss est de retour...
Troisième bonne idée, il fait de son film une œuvre féministe à bien des niveaux dont le rôle principal à égalité avec Mad Max, est celui de Furiosa, interprétée avec brio, désespoir et classe par Charlize Theron. Il ajoute un troisième rôle inspiré de War Boy perdu avec Nicholas Hoult, qui donne à l'ensemble une touche naïve de rédemption et d'espoir bienvenue.
Et puis le film est un concept, celui d'une longue course poursuite quasi ininterrompue de 2h où Georges Miller, ses équipes et ses comédiens vont nous livrer un spectacle pyrotechnique ahurissant, qu'on ne peut plus voir au cinéma de nos jours car tout est en images de synthèses, là où lui choisit de vraies cascades. Et pour le coup, çà se voit à l'écran, c'est matériel et très très impressionnant. C'est comme si le cirque du soleil nous livrait un show adulte et violent. Le sens du détail des scènes d'actions, la mise en scène furieuse de ce réalisateur de 70 ans, qui a réalisé au final très peu de films, m'a juste coupé le souffle. C'est beau de voir une telle arlésienne de cinéma arriver enfin sur les écrans et dépasser tous les espoirs. Le film est bien meilleur que les trois premiers Mad Max, il va plus loin, son univers est plus cohérent, les effets spéciaux ont évidemment évolués, le casting est plus riche. Je n'ai pas vu de film d'action aussi brillant depuis de nombreuses années.
Et je me suis juste pris une putain de claque de cinéma !
Assister à la renaissance spectaculaire d'un mythe c'est un vrai bonheur.
Vous devez courir voir Mad Max Fury Road ! Abandonnez ce que vous êtes en train de faire et trouvez la première séance près de chez vous !
2016
N°11 - "Steve Jobs" de Danny Boyle
Il est assez hallucinant de voir à quel point la promotion de "Steve Jobs" tant aux Etats-Unis qu'en Europe est ratée.
On en entend quasiment pas parler alors que son réunis le réalisateur de Trainspotting, 127 heures, 28 jours plus tard et j'en passe, l'un des meilleurs acteurs au monde en la personne de Michael Fassbender et Aaron Sorkin, le scénariste de l'autre excellent biopic du même genre, "The social Network".
Le film est très bavard et son concept est certes excellent mais peut rebuter. Car comment raconter l'histoire d'un entrepreneur de génie qui n'était pas lui même à l'origine des créations mais qui savait juste bien les packager, bien les vendre ? Comment raconter l'histoire d'un type obsédé par le concept et convaincu que c'était le nerf de la guerre et que les créateurs, les vrais, les informaticiens, devaient pédaler derrière pour s'adapter à l'objectif ?
Et bien Aaron Sorkin a eu une idée toute simple. Il a divisé son scénario en trois actes, trois lieux, trois périodes de la vie de Steve Jobs, trois moments où il lançait un produit et faisait un de ses célèbres shows devant la presse. Et pour le coup le film est conceptuel lui aussi ! Quel plus bel hommage ?
Michael Fassbender ne ressemble pas du tout au vrai Steve Jobs mais c'est un acteur caméléon et là pour le coup, il est parfait dans le job...ahah...
Danny Boyle use de son talent de monteur pour donner l'impression que chaque séquence est limite un long plan séquence mettant en parallèle l'époque de sa vie précédente.
Le film a le talent de s'intéresser vraiment au personnage, à son asociabilité, sa suffisance, son manque total d'empathie, ses blessures personnelles de petite enfance qui l'ont transformé en cet être dénué de sentiments normaux.
Son incapacité à être père, son obsession à nier sa paternité est au centre du récit car elle explique beaucoup de choses, ses échecs comme ses succès. D'ailleurs, le film remet l'église au milieu du village et rappelle qu'il connu deux monstrueux fours avant de faire décoller Apple avec l'iMac.
Alors était il trop en avance sur son temps et trop ambitieux sur l'évolution technologique lorsqu'il se planta dans les années 80 et fut licencié de la propre entreprise qu'il avait créée ? Ou était il juste trop buté et trop sûr de lui pour assumer le minimum de souplesse nécessaire ? C'est à ces traits de personnalité complexe que le film s'intéresse.
Un tel degré d’exigence et une telle qualité dans le jeu, dans le choix scénaristique et les dialogues sont rares pour une production de cette importance.
N° 10 - "Rogue One: A Star Wars Story" de Gareth Edwards
Voici donc le 1er spin off de la saga Star Wars, Disney ayant décidé de rentabiliser l'achat de Lucas Film en lançant entre chaque épisodes des deux nouvelles trilogies en cours, un film se situant à un moment de l'histoire officielle et s’intéressant à d'autres personnages que les Skywalker. Pas de Jedi et d'enjeux de filiation ici mais l’histoire d'une bande de rebelles décidés à voler les plans de l'étoile noire pour permettre à la résistance de détruire ensuite cet engin de mort. Le film se situe donc avant "Un Nouvel espoir", le quatrième épisode et 1er historique.
Félicity Jones est de tous les plans et elle assure grave face à un casting de tout premier plan avec Ben Mendelson en grand méchant, Diego Luna, Mads Mikkelsen, Riz Ahmed ou Forest Whitaker. Il est évident que le casting aide à incarner ces personnages ultra tendus dans une galaxie où l'Empire est sur le point d'écraser la rébellion.
Le robot K-2SO est un des personnages les plus réussis, et non un faire valoir comique. Un certain personnage de la trilogie originelle est de retour, de façon totalement inattendue puisqu'on ne voyait pas comment le faire revenir et bien sûr Dark Vador is back ! Alors certes, il a très peu de scènes mais ceci suffit à assurer le fan service.
Globalement le film est très tendu et c'est avant tout un film de guerre, sans l'humour potache qu'on peut trouver dans d'autres Star Wars, c'est sombre voire même très sombre. Le film est crasseux et montre un monde totalement dominé par l'Empire, où les rebelles ont du s'adapter à la violence de leurs ennemis et oublier certains de leurs principes. Cette idée est excellente car elle donne de l'humain et de l'attachement immédiat aux personnages. Or cette complexité là faisait défaut au Réveil de la force.
Ce choix scénaristique qu'on n'attendait pas de Disney rassure et donne au film une très belle ampleur. Le dernier quart d'heure fait décoller le film, déjà d'excellente facture, parmi les meilleurs de la Saga, juste après L'empire conte attaque et Un Nouvel Espoir. Tous les ingrédients des meilleurs opus sont là, y compris des enjeux dramaturgiques simples et forts. Rogue One est donc non seulement une excellente surprise et satisfera tous les fans mais c'est surtout le signe que Disney a choisi de respecter religieusement l'univers en question et de se fixer des objectifs de plus en plus haut, et çà, c'est très très rassurant. La saga Star Wars retrouve le souffle et se renouvelle.
N°09 - "Premier contact" de Denis Villeneuve
Denis Villeneuve est devenu l'un de mes chouchous avec ses remarquables films "Incendies", "Prisoners", et "Sicario". On l'attend l'an prochain avec la suite du chef d'oeuvre de SF "Blade Runner", intitulée "Blade Runner 2049" et ce qu'on peut dire à ce stade, c'est que la SF lui va bien, même très bien.
Avec "Premier contact", on aurait pu craindre un reboot caché de "Rencontre du troisième type" de Steven Spielberg et sa naïveté un peu datée, ou pire un énième film d'invasion extraterrestre dont la plupart sont bourrins et aux scenari identiques. Car oui, ici, douze vaisseaux spatiaux apparaissent à la surface de la terre, aux douze coins du globe et il est indispensable de comprendre les intentions de ces visiteurs.
La première force du film est d'opter pour un calme absolu. On voit certes la panique des populations qui inévitablement s'emparerait du monde dans une telle situation, mais on le voit via des écrans de télévision, des news de chaines continues, permettant d'instaurer une distance avec cette frénésie et de nous isoler avec l’héroïne, les militaires et les scientifiques.
Pour imposer ce mélange de curiosité, d'interrogations, de peur de l'avenir, Denis Villeneuve a choisit l'une des meilleures actrices au monde, Amy Adams, qu'on retrouvera très bientôt en janvier dans le parait-il excellent second film de Tom Ford, "Nocturn Animals". Son jeu est parfait de sensibilité introvertie et de regards énigmatiques lorsqu'elle est en pleine réflexion. Et pourtant, un film sur des aliens et des spécialistes du langage qui jouent à "dessiner c'est gagné" c'est comment dire...potentiellement très chiant.
Or malgré sa durée d'1h56, le film tient en haleine de bout en bout tant les aliens en question sont insondables par leur apparence et leur manière de communiquer. L'idée même des vaisseaux, du physique de ces aliens est originale. Mais surtout Villeneuve filme avec douceur, retenue, un sujet susceptible de tomber dans l'épilepsie filmique à tout moment. Il introduit aussi une seconde histoire en parallèle qui provoquera une émotion et un dénouement inattendu, faisant décoller le film au niveau d'un très bon film de SF car différent et ne sombrant pas dans les clichés multiples du genre. Il s'intéresse alors à la relativité du présent et du futur, à l'acceptation de la mort comme point d'orgue d'un cycle et c'est très beau.
"Premier contact" est un très beau film humaniste, d'un stoïcisme assez rare pour ce type de production, un film intelligent, délicat, qui passe du mystère de l'univers à celui de l'humain en un clin d’œil bref et d'une efficacité émotionnelle assez inattendue. Denis Villeneuve est un des grands réalisateurs de son temps et les fans de Blade Runner dont je suis peuvent être rassurés, l'an prochain nous pourrons vivre un autre grand moment de science fiction grâce à lui.
N°08 - Kubo et l'armure magique
Kubo est un jeune garçon aux pouvoirs magiques, qui conte des histoires dans un village de bord de mer en faisant s'envoler des origamis. Mais c'est surtout l'héritier caché du dieu lune, son grand-père, qui le cherche depuis la mort de son père afin de lui arracher son deuxième œil et l'empêcher de se rebeller contre lui.
"Kubo et l'armure magique" est de très loin le meilleur film d'animation des studios Laika, à qui l'on doit Coraline (2009), Paranorman (2012), Les Boxtrolls (2014).
Comme pour les autres longs métrages, c'est la technique magnifique de L'étrange Noël de Mister Jack qui est utilisée, le stop-motion !
Et le résultat d'un film animé par des marionnettes puis retravaillé en studio est tout simplement ultra classe. Car chaque mouvement et une expression de marionnette différente et à l'écran, çà ne se voit plus du tout, à tel point qu'on pense que le film est une animation 3D qui imiterait le stop motion. Mais non, pour arriver à un tel résultat il faut 5 ans de travail, 94 semaines de tournage, 35 animateurs, 400 personnes, 250 000 feuilles de papier, 70 plateaux mais le résultat est surprenant car vraiment vraiment magnifique. Qu'une marionnette fasse passer autant d'émotion c'est juste un petit miracle.
L'univers médiéval japonais de Kubo est non seulement très original (sachant que le studio est de Portland aux Usa) mais surtout d'une poésie et d'une finesse rarement vue pour un tel projet d'animation.
Le film et les mouvements sont fluides, l'action est très présente, l'histoire est une simple quête mais parsemée de moments où on se surprend émerveillés par le résultat. Le film parle aussi aux petits du deuil, de la résilience, de la filiation avec des messages qui ne sont jamais balourds.
Quant le tour de force technique est tout aussi bluffant que la beauté de son récit, je ne peux que vous inciter à courir voir ce petit bijou.
N°07 - "Elle" de Paul Verhoeven
Voir Paul Verhoeven, revenir à 77 ans, réaliser un film français, 10 ans après son précédent long métrage sorti mondialement, Black Book, c'est en soit un évènement.
Mais ce qui est le plus réjouissant c'est de voir qu'il est très en forme et renoue avec ses thèmes de prédilections, servi par une Isabelle Huppert plus trouble que jamais.
"Elle" est donc l'adaptation du roman "Oh..." de Philippe Djian, sorti en 2012 et prix Interallié. On y suit Michèle, working girl chef d'entreprise, qui dirige une entreprise de jeux vidéos. Elle semble blasée par la vie et très détachées du quotidien, comme de sa vie sentimentale...mais un jour elle se fait violer chez elle par un inconnu qui entre par effraction.
Et parceque l'histoire de son père meurtrier a détruit sa vie et qu'elle a su y faire face et s'en sortir, elle préfère ne pas faire appel à la police et régler elle-même son enquête et sa vengeance.
Verhoeven nous montre une vision du sexe pas banale car dénuée de tout jugement moral et de tout voyeurisme.
Verhoeven se fout des conventions et les envoie balader très vite pour mieux se concentrer sur son monstre froid et intriguant qu'est le personnage d'Isabelle Huppert. Cette femme est sulfureuse mais pas antipathique pour autant car on devine ses blessures, ses échecs et le masque qu'elle s'est créée, la distance qu'elle a choisi comme bouclier vis à vis du reste du monde. Elle a vue l'horreur adolescente et le jugement de la foule déchainée, elle a vu l'excès et les barrières morales ont justement cédé.
Avec ce film dérangeant, grinçant mais comique, satirique et cynique, Paul Verhoeven signe sont grand retour et a annoncé vouloir tourner rapidement un autre long métrage en France. C'est réjouissant car son talent manquait au septième art et il est de retour, enfin !
N°06 - "Nocturama" de Bertrand Bonello
Avec ce sujet éminemment casse gueule, Bertrand Bonello revient avec son meilleur film, encore plus abouti que son "Saint Laurent" et son "Apollonide".
Le film débute par un long ballet de jeunes gens dans les rues et le métro parisien. On pense forcément à Gus Van Sant et son Elephant, puisqu'on suit de manière silencieuse, sans aucun dialogue des personnages sur le point de faire quelque chose de grave. Et pourtant, ils ont des têtes de gamins, ils sont très jeunes. On les verrait plutôt aller en fac qu'aller poser une bombe. Le métro ou les rues sont d'ailleurs filmés sans effets de mise en scène particuliers, de façon ultra réaliste.
C'est juste le découpage et la synchronisation qui font de cette première partie, une mise en scène du pire assez fascinante par la banalité des intervenants et la confrontation au réel. On se dit que ce n'est pas possible, qu'une telle organisation n'est pas millimétrée à ce point par des post-adolescents ...et pourtant on réalise peu à peu et bien sur, on pense à tout ce qui est arrivé depuis dix-huit mois en France et en Belgique et on se dit que si, c'est possible et c'est très, très simple.
Bertrand Bonello fait ensuite s'enfermer les personnages dans un grand magasin afin de se faire discrets. Il n'explique pas pourquoi, à aucun moment. Il ne donne aucune indication non plus sur leur mobile. Il ne semble pas religieux. Les jeunes gens se mettent alors à dialoguer. On perçoit quelques ressentis contre la société mais rien de très clair. D'autant qu'ils sont eux-même fashion victimes, acteurs de ce monde consumériste et quelle belle idée que de leur offrir comme lieu de refuge un grand magasin dans lequel ils gouttent à tout avec frénésie. L'une des scènes montre l'un des jeunes avec le même T Shirt Nike qu'un mannequin en face de lui. Il n'y a pas mieux comme image pour résumer ce décalage total entre des jeunes qu'on comprend révolutionnaires et leur absence de logique et de réflexion.
Les personnages peuvent même pour certains provoquer de l'empathie mais elle est suivie rapidement par un effroi terrible, face à leur détermination et leur absence totale de regret, de considération pour les personnes tuées. L'une des filles s'inquiète du nombre de morts provoqué par leurs attentats, ayant fait sauter des bombes non pour tuer mais pour le message...tandis que d'autres n'ont aucune notion de ce qu'ils viennent de commettre, de la valeur d'une vie. Ils ont fait quelque chose d'inédit et c'est plus important que le fond. Tout devient objet dans cet immense univers de consommation et plus rien n'a d'importance. On vient de tuer des agents de sécurité et on joue trois minutes après sur une console en écoutant de la musique à fond. Où est l'intellectualisation de leur mobile. Où est la responsabilité de l'ogre qui engloutit les idéaux pour leur vendre ces consoles ? Nulle part et c'est encore plus effrayant que lorsqu'il y a une revendication, tout aussi inexcusable et condamnable soit elle.
Ces personnages confondent absolument tout et sont donc capables du pire car ils sont en colère et "purs" dans leur criminalité. Mais comme on ne connait pas le message exact et qu'ils n'ont pas l'air de bien le maitriser non plus, le gouffre semble encore plus béant. Qu'est ce qui a déconné à ce point pour que ces gamins se solidarisent autour de ce projet terroriste ? Peut-être rien de très concret, et juste de la manipulation...
C'est donc brillant que de choisir des individus tous mignons, sans revendications ni conscience politique apparente, pour dresser ce portrait de jeunes hors sol qui veulent cesser d'être spectateurs de leur destin et commettent des actes atroces sans aucune conscience.
La mise en scène est bluffante, Bonello choisissant de terminer son film sur une vision opératique de la chute. Sa façon de remontrer une scène sur divers angles à partir du début d'une chanson, est tout simplement l'une des meilleures idées de cinéma depuis longtemps. Ce n'est peut être pas nouveau, mais là c'est ultra efficace.
On suit le mouvement des corps qui fuient, qui tombent, qui ont peur, que sont amenés vers un destin tragique et inévitable. Le ballet reprend alors, mais de façon confinée dans un espace clos qui représente tout ce qu'ils ont voulu détruire, emprisonnés dans ce mausolée alors qu'ils étaient libres de leur mouvement et en plein air lorsqu'ils ont commis l’irréparable. C'est visuellement d'un formalisme qui force le respect.
N°05 - "The Neon Demon" de Nicholas Winding Refn
Le retour du réalisateur de "Drive" a de nouveau divisé la croisette à Cannes cette année, comme il l'avait fait avec "Only god forgives" il y a trois ans. Il faut dire que son concept est tout autant basé sur de la pure mise en scène, beaucoup d’esbroufe et une stylisation qui cannibalise parfois le propos. Celles et ceux qui veulent revoir un duplicata de Drive en seront donc pour leurs frais. Refn ne fera peut être plus de film aussi "grand public" et si "Bronson" était très bon et construit, on oublie souvent son "Valhalla Rising, le Guerrier silencieux" qui était bien perché et se foutait des conventions narratives.
Ici avec, "The Neon Demon", le scénario est tout aussi mince que dans le précèdent opus mais personnellement, je m'en fout. Car Winding Refn est juste brillant dans sa façon de raconter son histoire, de sublimer ses personnages, de créer une tension morbide dans cette histoire parfois lesbienne, parfois un peu gore mais jamais vraiment ultra trash. Ça ne dégouline pas de partout car il veut juste nous exposer sa vision de l'asservissement du corps à une beauté irréaliste définie par quelques grands meneurs d'opinion du milieu. Le culte de la perfection est montré d'une façon si morbide que le film en devient vraiment troublant et marque la rétine de longs jours après son visionnage.
Elle Fanning est excellente en jeune ingénue, pas agaçante pour être tête à claque, pas naïve non plus mais juste qui a la vie devant elle et un charisme tel que rien ne peut lui résister. Et pourtant, elle va se confronter à la jalousie, à l'envie d'autres mannequins, cyniques, frustrées, névrosées.
Winding Refn rend évidemment hommage au cinéma bis de Dario Argento mais surtout se fait énormément plaisir en étant radical dans ses choix. Il se tape complètement de l’accueil critique qu'il va jusqu'au bout de son fantasme. The Neon Demon impressionne par diverses scènes inventives visuellement, dont les codes remplacent bien des dialogues qui seraient tombés à plat. Le film est ultra léché et vous met quelques coups de poing dans la gueule sans vous avertir et c'est excellent comme sensation, d'enfin ne pas se sentir en milieu balisé, dans un style donné de film d'auteur mais bien dans un univers en mouvement. J'imagine d'ailleurs très bien Winding Refn tourner son film sans savoir exactement quelle serait sa fin.
Le film est par ailleurs souvent marrant, bourré de métaphores. Il se déroule de façon si fluide et utilise si bien la froideur de l'imagerie clipesque que son dénouement est d'autant plus glaçant.
"The Neon Demon" est un grand film esthétique sur l’obsession, la paranoïa, la concurrence et la vacuité de nos nouveaux dieux, mannequins éphémères, photoshopés et d'une tristesse sans nom.
Un coup de maitre.
N°04 - "Belgica" de Felix Van Groeningen
Après "Alabama Monroe" et "La merditude des choses", très bien accueillis par la critique et le public, Felix Van Groeningen revient avec l'histoire de deux frères, Jo et Frank, qui vont ouvrir et développer leur propre bar, le "Belgica".
Ils ont un idéal, celui de créer un lieu de fête, ouvert à tous, multiculturel et baigné dans le rock et l'électro, un endroit qui leur donne un boulot et les empêche de vieillir trop vite.
Frank est père d'un petit garçon et vit avec sa femme mais il s’ennuie, il a du mal à ne pas avoir la bougeotte, cherchant toujours un nouveau projet ; c'est un rêveur, un créatif, mais toujours dans l'excès. Jo est célibataire et fêtard aussi mais il a plutôt le sens des affaires et la tête sur les épaules ; il "grandit" là où son frère reste souvent incontrôlable.
"Belgica" est un film profondément sympathique et festif, l'enthousiasme de la création de ce lieu de perdition étant accompagnée de la bande son de Soulwax. A un moment on se demande si cette ambiance enivrante, cet endroit où on aimerait danser, ne dessert pas le film, qui, dans ses premières 45 minutes reste beaucoup dans le survol de ce décollage des deux frères vers le succès. Et puis Felix Van Groeningen distille peu à peu des indices. La fête permanente se transforme, prend un tour de soirée qu'on a tous connus, lorsque parfois on se dit que la débauche est veine et que la vie est ailleurs. Le réalisateur arrive parfaitement à capter l'évanescence du délire festif, l'anarchie de l'ivresse et l'absence d'accroche à la réalité. On ne construit pas une vie sur une série de beuveries et parfois çà vire à l'enlisement et çà devient moche. Moches aussi les rapports entre ces amis de fiesta qui n'ont pas tous les mêmes principes, les mêmes envies de long terme...et qui se connaissent peu, au final. Moche enfin lorsque l'un des frères sombre dans son côté obscur, ses démons de perdition de sexe et d'alcool, au mépris de ce qu'il a construit, au mépris de ses valeurs de partage et au prix du reniement de ses idéaux pour de l'argent.
Van Groeningen arrive de manière brillante à démontrer comment un rêve professionnel se ternit lorsque la réalité des affaires, de la rentabilité rattrapent les beaux principes et dénaturent le projet d'origine. On passe ainsi d'un film joyeux à la déception du réel pour revenir à ce qui compte le plus, les liens familiaux et amicaux. "Belgica" est un très beau film sur la fratrie. On choisit ses amis mais pas son frère. On doit donc faire avec ses défauts quoiqu'il arrive et trouver le courage d'affronter les démons familiaux là où des amis peuvent rompre de façon irréversible.
Encore un excellent long métrage pour Felix Van Groeningen. Un film bien plus profond que ne le laisse présager son début enchanteur et léger.
"Belgica" est généreux et bienveillant et çà fait beaucoup de bien.
N° 03 - "Manchester by the Sea" de Kenneth Lonergan
A la mort de son frère ainé d'une crise cardiaque, Lee est désigné tuteur légal de son neveu, qui a 16 ans. Mais Lee n'habite plus dans la ville depuis plusieurs années suite à un drame qui a provoqué la rupture avec femme Randi. Il a d'ailleurs tout quitté et s'est éloigné du Massachusetts mais pas de son frère décédé. Son neveu Patrick l'a toujours admiré mais Lee semble plombé par le passé.
"Manchester by the sea" se situe dans une classe ouvrière du Massachusetts plutôt pauvre, où tout le monde se connait et tout le monde connait l'histoire tragique de Lee. Pour interpréter ce personnage brisé qui laisse très peu transparaitre ses émotions, Casey Affleck était le choix idéal. Il est tout en retenue, déphasé et terriblement touchant lorsque le réalisateur lui autorise l'expression d'un chagrin. Casey Affleck porte le film et trouve son meilleur rôle mais il est accompagné d'un très bon Lucas Hedge, en adolescent pour qui tout semble couler sur lui. Le jeune homme a plusieurs copines, des tas d'amis, il semble impénétrable à tout ce qui lui arrive, comme pour donner le change à cet oncle qui revient dans sa vie tel un fantôme. Les scènes entre les deux acteurs sont d'une grande justesse, ne tombant jamais dans le mélo, le tire larme et conservant une distance qui force le respect et qui amplifie l'impact de cette histoire. C'est celle d'un garçon qui aimerait que son oncle reste, de cet homme qui n'arrive pas à oublier le passé ; c'est surtout l'histoire d'un impossible deuil, d'une vie brisée après laquelle rien ne pourra plus se dérouler normalement.
Le film dure 2h18 et pourtant il se déroule sans peine, par petites touches nouant scènes du passé heureux aux scènes du présent où il faut gérer le décès du frère et la prise en charge de son fils. Kenneth Lonergan prend ainsi le temps de nous faire découvrir pourquoi son personnage principal est si asocial, reclus sur lui-même et solitaire.
La mise en scène est d'une grande sobriété et vous aurez du mal à ne pas retenir vos larmes. Le personnage de Lee est comme mort, congelé comme le froid qui enneige tout le film. Son cœur rebat par petites touches et on doute qu'il ne s'éteigne à nouveau. Mais ne vous attentez pas à un film larmoyant, à un feel good movie, non "Manchester by the sea" est un film très beau mais très triste tout en conservant une grande classe, celle de la pudeur des personnages. Le film est intense de bout en bout et montre la résilience sous un jour rare au cinéma. Un grand film.
N° 02 - "Quand on a 17 ans" d'André Téchiné
Le retour d'André Téchiné en aussi grande forme est réjouissant. Il signe avec "Quand on a 17 ans" son meilleur film depuis "Les témoins" sorti en 2007.
Le film s'intéresse aux rapports très conflictuels entre deux adolescents de 17 ans, qui vont évoluer tout au long de l'année scolaire et déboucher sur une histoire d'amour. Aux critiques qui demandent à Téchiné pourquoi il parle d'homosexualité encore une fois, il leur répond qu'"on voit assez d'histoires hétéros comme çà".
Mais surtout son film est une très belle histoire de découverte de son identité, plus réussie encore que "Les roseaux sauvages" sortis il y a 22 ans.
La scénariste Céline Sciamma, réalisatrice de Tomboy et Bande de filles, apporte une dimension supplémentaire aux thématiques habituelles de Téchiné. Elle décrit une adolescence d'aujourd'hui et c'est loin d'être évident d'en décrire les contours avec justesse. Téchiné montre ce qu'est une famille dans son quotidien, dans ses malheurs et ses petits bonheurs. Les classes sociales n'existent pas et il met tout le monde au même niveau, chacun s'entraidant sans se poser de questions. Le film en ressort d'autant plus humain sans tomber dans un quelconque angélisme.
Et puis surtout, il ne se focalise pas que sur le couple de jeunes hommes et donne à son film une respiration via les autres personnages, ceux des parents notamment. En donnant le rôle d'une mère moderne et fantasque à Sandrine Kiberlain, le réalisateur a vu très juste. En effet, cette dernière est parfaite tant dans le comique que la tristesse profonde. Elle est prodigieuse.
Le film ancre l'histoire dans deux contextes familiaux radicalement opposés. L'un vient de la montagne et de la campagne et l'autre de la ville mais cette fracture qui aurait pu s'avérer caricaturale, est au contraire propice à de très beaux moments, illustrant certains comportements lorsqu'un ado se cherche et veut se couper du monde, rester dans le sien.
Et puis cette bienveillance pour ses personnages illumine le film.
"Quand on a 17 ans" est frappé de la grâce des grands films. La simplicité avec lequel il traite de désirs, de violence, d'appartenance, de la peur de l'inconnu quand on a 17 ans, est tout simplement touchante. On y voit deux êtres qui n'ont pas franchi le cap de l'indépendance et n'ont pas conscience de la vie d'adulte, pas encore. Ils ont peur mais sont surs d'eux, ils pourraient déplacer ces montagnes puisque la vie est devant eux. C'est bateau comme affirmation et pourtant dans le film c'est juste très beau, attendrissant même.
Mais ce romanesque n'aurait pu être aussi réussi sans ses deux interprètes, Kacey Mottet Klein et Corentin Fila qu'on retrouvera très probablement.
Ce film plein de vie donne le sourire car il est moderne, subtil, solaire, simple et juste. Merci Monsieur Téchiné. Ceci fait un bien fou.
N°01 - "Mademoiselle" de Park-Chan Wook
Park-Chan Wook est l'un des trois grands maitres sud-coréens des quinze dernières années.
"Sympathy for Mr Vengeance", "Lady Vengeance", "Old Boy", "Thirst" et "Stoker" ont jalonné une filmographie sous le signe de la violence.
Avec "Mademoiselle", il adapte Fingersmith de Sarah Waters, livre qui se déroulait à Londres en 1862 et qu'il transpose en Corée du Sud dans les années 30, en pleine invasion japonaise.
On y suit une jeune femme qui se voit proposer d'escroquer une jeune et riche héritière, quelques peu dérangée à force de vivre reclue dans la propriété familiale dirigée par son oncle tyrannique, également tuteur de cette dernière. Alliée à un escroc se faisant passer pour un comte japonnais, l'objectif est de manipuler la riche héritière et de la déposséder de sa fortune.
Et question manipulation, on peut dire que Park-Chan Wook nous livre un scénario et une mise en scène virtuoses comme il ne l'avait plus fait depuis Old Boy.
C'est tout simplement brillant et jubilatoire ! Les décors sont sublimes, les acteurs excellents, l'histoire perverse est truffée de faux semblants. La seule nouveauté, déjà entamée dans Stoker, est que Park est bien moins violent qu'auparavant. Les personnes réfractaires à ses accès furieux peuvent donc se rassurer, ici rien de tel. Park préfère substituer à cette violence de la simple cruauté.
Le réalisateur fait preuve d'une grande classe dans l’élégance de ses choix formels. Le sexe est très présent ainsi que la relation lesbienne entre les deux personnages féminins. Mais contrairement à "La vie d'Adèle" dont les scènes étaient crues et vulgaires, ici elles sont très sensuelles et donc très réussies.
Le diable se cache dans les détails et le maitre sait en jouer pour mieux nous surprendre et nous manipuler puisque le thème du film est justement la manipulation. On est complice du jeu des personnages et tellement absorbés par l'excellence de la mise en scène qu'on ne voit pas comment Park-Chan Wook pourrait lui même nous faire un tour dont il a le secret. Et pourtant, il nous frappe pile au bon moment et fait de ce "Mademoiselle" l'un de ses meilleurs longs métrages.
Ce thriller envoutant, esthétique, joueur et provocateur doit absolument être vu ! C'est probablement l'un des meilleurs films de l'année et peut être le meilleur.
2017
N°11 - "Au revoir là-haut" d'Albert Dupontel
Il est long le chemin qu'a parcouru ce déménageur devenu comique de stand up avant de devenir peu à peu, depuis Bernie, l'un des cinéastes respectés quoique toujours à la marge du cinéma français. Il faut dire que son amour du burlesque et des cartoon transpirait dans ses dernières réalisations, "9 mois fermes" lui ayant permis d'atteindre un succès critique et public au-delà de son cercle habituel de fidèles.
En adaptant le prix Goncourt de 2013, "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre, Dupontel s'attaque à un plus gros projet en terme de budget mais aussi en adaptant pour la première fois l'histoire d'un autre. Le film en costumes peut souvent s'avérer balourd et ici le réalisateur réussit à filmer avec un plus grand soin, une image léchée faisant penser à "Un long dimanche de fiançailles". Mais là où le film de Jeunet était un peu chiant, celui de Dupontel est touchant. Touchant parceque son histoire de père et fils et d'éducation manquée est très belle mais aussi parceque ses interprètes sont tous excellents.
La révélation de "120 battements par minute", le jeune Nahuel Perez Biscayart, joue à merveille de son corps frêle et de ses yeux très expressifs un rôle pas facile car muet. Il donne à cette gueule cassée une dimension poétique portée par de superbes masques. Il est rare de voir l'après guerre et là où l'histoire se mêle parfaitement à l'univers de Dupontel c'est dans Dupontel bien sûr, qui apporte dans son personnage gauche sa dose d'humour et de délicatesse, d'humilité de l'homme du peuple dépassé par les évènements, toujours du côté des exclus, des gens qu'on ne considère même pas, anar comme on l'aime. Mais il le fait avec intelligence, par petites doses. Laurent Lafitte joue décidément les salauds merveilleux, Philippe Uchan, fidèle de Dupontel rajoute une dose perchée à l'ensemble.
Niels Arestrup est impérial dans le rôle de ce bourgeois solitaire qui a fait fortune toute sa vie et regrette au seuil de sa mort d'avoir raté son fils, la beauté de ce qu'il exprimait, à savoir l'inverse de lui, l'art plutôt que l'argent, l'imaginaire plutôt que le concret.
"Au revoir là-haut" est un bijou de créativité, mêle poésie, tragédie et aventure tout en restant populaire. Certains seront déçus par la réalisation plus sage de Dupontel, moins épileptique, moins barrée. Mais le film demeure un récit picaresque de haute volée et l'un des meilleurs films de cette année.
N°10 - Logan de James Mangold
Wolverine revient pour sa troisième et dernière aventure solo et pour la dernière fois que Hugh Jackman interprète le rôle.
Et l'acteur a du être ravi de voir le résultat et de pouvoir partir sous les honneurs critiques et un succès au box-office déjà très important et mérité. Car oui, tous les fans attendaient de voir un Wolverine vraiment violent, sombre et une histoire qui ne soit pas sans saveur comme l'a été le premier film, nullissime. Le second, déjà réalisé par James Mangold, avait les défauts de son scénario que Mangold n'a pas pu entièrement remanier, il se regardait mais bon, le niveau était très en dessous de la plupart des films X-men.
Et bien là, "Logan" est non seulement un adieu en grande pompes mais c'est l'un des meilleurs films X-men. Les scénaristes ont choisi un monde où tous les mutants ont disparu sauf le professeur Xavier perdant la tête et géré par un vieux Logan et Caliban. Et dans ce monde entre Mad Max et un bon vieux western, il n'y a pas franchement d'espoir, juste celui de survivre, d'autant que Logan perd ses pouvoirs, moins efficaces et souffre. Ses griffes repoussent poins vite, ses blessures sont douloureuses et se referment moins, il est malade et se sait sur le chemin de la fin.
Et là débarque une fille qu'il n'a pas choisie, une gamine trafiquée par les mêmes salopards qui ont transformé son corps. Elle a besoin de lui et il va comprendre avec Xavier qu'ils forment une famille. Mais rassurez vous, ce n'est ni gnangnan ni cliché. Le réalisateur évite les blablas inutiles, la fillette étant muette la plupart du temps.
Le long métrage est R-rated donc ultra violent par moment puisque çà découpe, on voit du sang, des membres découpés et putain, çà fait du bien ! Enfin un film de supers héros adulte avec l'un des héros le plus badass et violents qui existe. Et c'est très très réussi.
Le scénario est simple, c’est une course poursuite, mais un certain Mad Max Fury Road a montré qu'aussi con que çà puisse paraitre sur le papier, le résultat peut faire preuve d'une haute tenue.
La grande force du film est qu'il est très sombre, crépusculaire et humain voire émouvant aussi. L'humour à la con des films de supers-héros est absent et c'est tant mieux !
Le film est mélancolique, sans issue, radical et tout simplement le film Wolverine qu'il nous fallait !
N°09 - "Star Wars - Les Derniers Jedi" de Ryan Johnson
L'épisode VII de la célèbre série de SF avait plutôt agréablement surpris le public car le niveau était plutôt bon et le fait de retrouver Chewbaca, Han Solo et Leia tout en introduisant une nouvelle génération avait été effectué avec soin, tout en respectant des effets spéciaux old school, loin de la débâcle de la prélogie du début des années 2000.
Mais "Star Wars, le réveil de la force" prenait quelques raccourcis, quelques facilités et une étrange similitude d'avancée du scénario avec le tout premier film, Un nouvel Espoir. Ceci faisait dire à une partie des fans que les studios Disney ne prenaient aucun risque.
Fort heureusement, ce deuxième épisode de la troisième trilogie ne décalque pas du tout "L'empire contre attaque", soit le meilleur de tous les films.
Au contraire, il joue la surprise. Là où on pouvait s'attendre à un entrainement ennuyeux de Rey par Luke façon Yoda, il n'en n'est rien. Le film fait place à un bestiaire très réussi, comme d'habitude certes, mais les images des chiens de cristal vous resteront.
Les personnages nouveaux ont enfin de la place et son travaillés tout en laissant un rôle de premier choix à Luke (Mark Hamill) et Leia (Carrie Fisher), qui ne jouent pas du tout les simples faire valoir. Deux scènes avec la regrettée Carrie Fisher sont d'ailleurs particulièrement épouvantes.
Mark Hamill est excellent dans son rôle de dernier Jedi et certaines de ses scènes marqueront la saga. Il a juste la méga classe.
Enfin Adam Driver trouve un rôle ambigu à souhait alors qu'il était relativement fade dans l'opus précèdent. Or un méchant humain et plein de fêlures, c'est indispensable pour que ce type de film fonctionne.
Ryan Johnson assure non seulement le show mais il casse le rythme à deux reprises par des surprises de scénari inattendues et très très bienvenues.
"Star Wars - Les Derniers Jedi" est donc un très bon divertissement, digne de la 1ère trilogie. Il trouve son chemin en rendant hommage à la légende de Star Wars, à ce que le film a provoqué dans l'histoire du cinéma comme ce que Luke représente dans cet univers de space opéra. C''est malin et c'est très réussi.
N°08 - "The Lost city of Z" de James Gray
Voici enfin "The Lost City of Z", une arlésienne de cinéma qui traine depuis de nombreuses années, le grand James Gray (de "Little Odessa" à "Two Lovers") tentant depuis une dizaine d'années de monter le projet. Brad Pitt était de la première mouture et l'a lâché à un mois du tournage avant de le produire, pour se faire pardonner.
Et le film est excellent et figure parmi les meilleurs opus du réalisateur new-yorkais, loin de ses univers habituels et citadins.
Voici l'histoire vraie de Percy Fawcett, colonel britannique qui est envoyé en 1906 par la Société géographique royale d'Angleterre, pour cartographier l'Amazonie afin d'éviter un conflit entre le Brésil et la Bolivie. Il est sur le point d'être père et va demander un sacrifice à sa femme qu'il aime plus que tout, pour pouvoir effacer le passé trouble de son père et reprendre une place dans la société londonienne.
Au cours de son premier périple, il découvre alors la légende d'une cité d'une civilisation perdue, ornée d'or, qui se trouverait dans cette immense océan de verdure.
Je rappelle qu'à cette époque, le Machu Pichu n'était pas encore découvert puisqu'il le fut en 1911 par des américains.
Va alors naitre dans son esprit une obsession, un idéal de vie et un but obsessionnel, trouver cette cité perdue de Z et ses mille trésors. Et il va y retourner, deux fois supplémentaires.
Le film est d'un très grand classicisme dans sa mise en scène mais d'une maitrise formelle et d'une beauté irréprochable. Charlie Hunnam, qu'on a vu dans Crimson Peak, Pacific Rim, ou les séries Queer as folk et Sons of Anarchy, trouve son premier grand rôle à 36 ans. On le verra bientôt en roi Arthur chez Guy Ritchie mais là il prouve qu'il joue très bien et qu'il n'est pas qu'une belle gueule. Accompagné d'un Robert Pattinson métamorphosé, l'équipée va nous rappeler les meilleurs films de jungle dont le Aguirre la colère de Dieu de Werner Herzog.
James Gray arrive à confronter par les allers-retours à Londres et les flashs backs la beauté de ce rêve au conformisme dont le personnage tente de s'échapper. Il aime sa femme et ses enfants mais c'est un pur aventurier qui a besoin de piment et qui a trouvé le Graal idéal car crédible ! Cette quête est magnifiée par la photo de Darius Khondji.
Dans "The lost city of Z" on parle d'idéal, d'honneur, de fidélité, de comment gérer la transmission à son enfant et James Gray le filme avec une très grande classe.
Le film avance, calmement, majestueux, comme le fleuve Amazone dans lequel s'engouffrent les personnages.
Il est rare en ce moment de voir des Odyssées au sens noble du terme, de partager cette soif d'absolu. Le fait que Gray ait tourné réellement en Amazonie ajoute évidemment au sentiment de danger et de fascination pour cette nature et pour les civilisations qui s'y sont adaptées.
Le souffle épique du film vire à l'obsession du personnage qui côtoie la folie et interroge l'homme sur le sens qu'il peut donner à sa vie quand il trouve un objectif plus grand que tout ce qu'il a pu imaginer.
The lost city of Z" est le grand film que j'attendais depuis son annonce et je ne peux que vous inciter à plonger avec ce personnage dans cette quête fascinante et d'une grande élégance.
N° 07 - "Dunkerque" de Christopher Nolan
Christopher Nolan est donc de retour avec un projet surprenant. Tout d’abord il s’éloigne des thématiques souvent SF de la plupart de ses longs métrages (de la trilogie The Dark Knight à Interstellar en passant par Inception ou Le prestige). Il s’encre pour la première fois au réel car même son Memento était confiné dans un espèce de jour sans fin pour amnésique. Mieux, il s’attaque à un genre, le film de guerre. Et pour le coup, c’est un genre souvent lourdaud car emprunt soit de patriotisme soit d’éloges héroïques dont les couleurs se délavent parfois avec le temps.
Et le premier constat évident en sortant de Dunkerque est que l’on reconnait une mise en scène d’exception venant d’un maitre par rapport au reste des sorties cinéma.
Le film est une démonstration du talent de metteur en scène de Christopher Nolan, ce dernier choisissant un angle très malin pour lier les différents groupes d’individus qu’il suit. Avec une économie de mots, l’utilisation de l’espace temps permet au film de monter en puissance et de maintenir une tension tout du long qui est accentuée lorsque l’on comprend le parti pris qu’a choisi Nolan.
Dunkerque parle certes de patriotisme mais pas pour le montrer en étendard. Il fait comprendre comment à un moment de défaite cuisante pour les alliés et sans jamais montrer Churchill ni aucun homme de pouvoir, comment le peuple britannique s’est uni et redressé d’un coup, préférant tirer parti d’une débâcle atténuée pour inciter chacun à s’investir pour son pays et pour les hommes qui le défendaient. D’un épisode peu connu de la seconde guerre mondiale, Christopher Nolan tire un film mémorable où l’on vit la peur, l’abnégation de ces militaire coincés sur des plages avec des allemands se rapprochant d’eux et coulant les bateaux tentant de fuir. On vit ainsi une sorte d’enfermement à l’air libre, prisonniers d’un cul de sac naturel implacable.
Et au final Nolan retrouve une thématique qui traverse toute sa filmographie, celle de l’enferment intérieur, auquel se fait écho cet enfermement absurde et implacable.
Il signe aussi des scènes mémorables comme celle introductive de Il faut sauver le Soldat Ryan, sauf que c’est durant tout le film.
Les mots laissent la place à des corps qui tentent de survivre par tout moyen, et l’on se trouve fasciné par cette approche par la mer le ciel et le sable sur des temporalités différentes. En unifiant ces temporalités dans son final, Christopher Nolan donne une réalité très humaine à un récit qui aurait pu rester relativement froid et désincarné.
Là où il a été souvent reproché à Nolan son perfectionnisme laissant peu de place aux émotions, son travail millimétré laisse au contraire ces dernières s’exprimer, l’intellectualisation par de grandes phrases étant quasiment bannie du film.
Au final si Dunkerque est magistral, c’est peut-être parceque Nolan ne l’a pas tourné avec les codes du film de guerre mais celui du survival, ux prises avec les forces de la nature et celles du destin. Nolan s’intéresse aux limites de la résilience et à l’impact du temps sur cette dernière. La maitrise du temps est impossible sauf à travers un film. Et là Christopher Nolan choisit de raconter l’immédiat plutôt que de se plonger dans le passé comme il avait l’habitude de le faire. C’est un moyen de mettre les évènements sous tension. C’est en déconstruisant la linéarité de chaque destin de personnage qu’il créé du volume, de la matière palpable à cette histoire incroyable, donnant une densité au temps qu’il n’aurait jamais obtenue par un récit chronologique simple.
Il ne perd à aucun moment le sens du suspens et préfère ne pas donner de visage à l’ennemi car ce dernier est à la fois le temps, les allemands, la mer et c’est ce qui fait que certaines scènes relèvent plus du rêve /cauchemar de survie que de la réalité… mais en matière de rêve et d’illusions, Nolan est passé maitre, d’Inception au Prestige…et on espère qu’il conservera ce niveau et poursuivra sa livraison de grands films à un tempo tout aussi rigoureux.
N°06 - "Baby driver" de Edgar Wright
Edgar Wright est ce genre de réalisateur avec un public de fans qui a toujours un peu de mal à passer la vitesse supérieure...et pour le coup, il signe son meilleur long métrage avec ce "Baby driver" qui sent grave le film culte en puissance !
"Le dernier pub avant la fin du monde" était barré mais conventionnel dans sa rupture de ton, "Scott Pilgrim" avait une bonne dose d'humour et d'action mais s'enlisait dans le film pour ados faussement rebelle, "Hot Fuzz" et "Shaun of the dead" étaient des parodies drôles mais là aussi trop référencées.
Ce qui rend incroyablement fun ce Baby driver, c'est que son concept n'est jamais écrasé par un déséquilibre entre les personnages, une baisse de régime ou une faute de goût improbable. Tout est huilé à un rythme qui force le respect, avec le même humour et la même cool attitude que d'habitude chez Wright mais une maturité inédite. Le film d'autant plus référencé que son héro fonctionne à la musique et donc à une bande son qui guide chacun des casses auxquels il participe. Et pourtant çà fonctionne à merveille grâce au talent de mise en scène d'Edgar Wright mais aussi à ses acteurs, dont un Kevin Spacey aussi
énigmatique que menaçant et un Ansel Elgort qui arrive à devenir attachant là où il aurait pu être une putain de tête à claque, ce qui aurait saccagé l'histoire. Et son rôle étant aussi casse gueule qu'un autre Baby, à savoir celui de Johnny Depp dans Cry Baby, c'est assez balaise.
Le film est un excellent divertissement Rock’n Roll dont la coolitude obsessionnelle du réalisateur fait un bien fou. L'action est menée avec soin, les courses poursuites, genre de scène qui m'a toujours gavé, sont rondement menées.
Le film est élégant, virtuose dans son montage et deviendra probablement un classique.
N°05 - "Okja" de Bong Joon-Ho
Bong Joon-Ho est l'un des meilleurs réalisateurs au monde, de "Memories of murder" à "Snowpiercer", en passant par "The Host" ou l'excellent "Mother".
La polémique cannoise autour de son nouveau film exclusivement produit par Netflix et ne sortant pas au cinéma mais sur la plateforme mastodonte, m'a un peu gonflé. Non que les détracteurs aient tord ou raison mais au bout d'un moment on parle de cinéma avant tout et "Okja" est une œuvre de cinéma très réussie.
Le problème est ailleurs, notamment dans le fait que Netflix ne finance pas avec son modèle le système français très particulier qui en fait notre exception culturelle ou ne paie pas ou très peu d'impôts en France. Mais ceci est davantage du domaine des choix et du courage politique de nos gouvernants que du débat entre sortie ciné ou pas sortie ciné.
Si nous revenons donc au nouveau film du maitre sud-coréen, le constat est qu'il choisit de mettre tant l'accent sur l'humour comme dans "The host" que sur la dénonciation des excès consuméristes et de l'hypocrisie du marketing bio. C'est souvent drôle, un peu surjoué par Tilda Swinton et Jake Gyllenhall mais au final le film est d'une efficacité redoutable. Il tape là où çà fait mal en montrant la monstruosité de l'abattage de masse et prenant partie pour la cause animale. Il le fait naïvement mais c'est cela qui rend Okja attachant et émouvant à bien des moments. L'animal en image de synthèse est très réussi et arrive à vous décrocher des larmes alors qu'il s'agit d'un gros cochon gris et çà, c'est balaise !
Mention spéciale à Paul Dano, toujours excellent mais là particulièrement dans le rôle d'un activiste écolo prêt à risquer sa vie pour libérer l'animal en question.
Bong Joon-Ho montre un monde caricaturé et pas forcément réaliste mais qui nous tend un miroir affligeant de notre mode de vie, les personnages portant des masques de théâtre pour mieux nous effrayer. Car au final, seule la petite fille est sincère et libre.
Le film parle de moralité et de la vanité de l'homme par un message fort et simple qui doit normalement toucher notre conscience. Sous ses airs de grand public, le film emporte le spectateur par sa générosité évidente, malgré la noirceur de son fond. C'est anticapitaliste, antispéciste et donc beaucoup plus politique qu'il n'y parait et c'est Netflix qui produit...et c'est lorsqu'Hollywood devient frileuse à produire ce type de sujets, qu'une firme ultra capitaliste s'en empare du moment que çà se vend!
Bong Joon-Ho a bien du se marrer en réalisant son film, car avec le recul, il utilise le cœur du réacteur pour le dénoncer et çà c'est sacrément gonflé!
Sauver le peu d'humanité qu'on peut dans une machine infernale de spectacle et de consommation, voilà le beau défi qu'a relevé Bong Joon-Ho, et c'est énorme !
N°04 - "La La Land" de Damien Chazelle
Le réalisateur du très bon "Whiplash" il y a deux ans, revient et signe à 32 ans LE film dont tout le monde parle, ultra favori des prochains Oscars et c'est une comédie musicale ! Sur le papier c'était super casse gueule de faire chanter le très hype Ryan Gosling et la douce Emma Stone et de revenir à ce genre qui fit l'âge d'or d'Hollywood et repointe le bout de son nez de temps en temps...
Alors comment dire...le film commence par une grande scène de chansons dans un embouteillage, façon "Chantons sous la pluie" ou "Un Américain à Paris" et c'est certes ultra bien filmé mais on se dit que si c'est çà tout le temps çà va être chaud à suivre.
Puis l'histoire débute et c'est une rencontre, une histoire d'amour ultra classique entre une comédienne en devenir qui écluse les castings échec sur échec et un pianiste de Jazz qui aime un style que peu de gens connaissent vraiment. Et là, petit à petit, grâce au talent des comédiens et à la grande élégance du réalisateur, on se prend au jeu et avec sourire. La caméra devient légère, délicate et c'est disons le clairement, hyper bien mis en scène sur des chansons originales dont les textes sont d'actualité. D'ailleurs le grand talent du film est à la fois de rendre hommage aux classiques du genre et de redonner un coup de jeune et de modernité à la comédie musicale. Tous les codes sont là et pourtant çà fonctionne. Le lien entre les scènes, l'introduction d’éléments surréalistes, la beauté des décors, le jeu des acteurs, les situations comiques, tout y est.
Mais si le film s'était contenté d'une simple histoire d'amour, il n'aurait pas provoqué la très forte émotion que j'ai ressentie sur le dernier tiers. Car le film touche, comme beaucoup de grands film qui marquent, à quelquechose d'universel...l'amour contrarié certes mais surtout l'impact des choix de vie, des renoncements à certains rêves pour préférer un destin plus communs. Le film est par surprise empreint de réalisme et parle de la difficulté de confronter son propre égoïsme, ses propres peurs à des rêves plus naïfs....ou en quoi les "choix de vie d'adultes" ne rendent pas toujours heureux et laissent un goût amer...et "La la Land" s'envole littéralement vers de très hauts sommets, touché par la grâce. Le tour mélancolique et désenchanté de l'histoire est tout simplement bouleversant.
On ne peut qu'applaudir à tant de talents concentrés pour raconter en chantant et avec le sourire la magie d'un amour et la douleur de vivre sans.
Damien Chazelle a signé un petit bijou d'émotion et devient de fait l'un des réalisateurs Hollywoodiens dont on attendra avec impatience la suite.
Le personnage d'Emma Stone dit qu'il faut sans cesse donner des couleurs à la vie...Damien Chazelle en a donné au cinéma, assurément.
N°03 - "The Age of Shadows" de Kim Jee-Woon
Kim Jee-Woon est l'un des grands maitres sud-coréens aux côtés de Bong Joon Ho et Park Chan Wook. Et heureusement qu'il est là car son talent est immense !
Toujours très inspiré par le cinéma français et l'âge d'or hollywoodien des westerns, le réalisateur de "2 soeurs", "A bittersweet life", "Le bon la brute et le cinglé" ou encore le génial "J'ai rencontré le diable" revient en très très grande forme.
Le scandale c'est que le film est disponible sur internet mais n'a aucune date de sortie prévue au cinéma en France.
Le film se passe dans les années 1920, alors que la Corée est occupée par le Japon. Un capitaine de police coréen collabore avec la police japonaise pour détruire la résistance coréenne. Il va tenter se s'infiltrer auprès de l'un de ses leaders, Kim Woo-jin.
"The Age of Shadows"est tout d’abord une déclaration d'amour à "L'armée des ombres" de Jean-Pierre Melville, et comment dire...il y a pire comme référence.
On y trouve l’héroïsme, le sens du sacrifice d'un petit nombre face à l’oppresseur tout puissant mais aussi le déterminisme, la volonté farouche et l'inventivité de la dissimulation. Et lorsqu'il s'agit de jouer avec le spectateur, de surprendre ce dernier tant par le scénario, brillant, que par des effets de mise en scène d'une efficacité redoutable, on peut compter sur Kim Jee-Woon.
Quel plaisir que de regarder un film divertissant, intelligent sur le rapport à l'honneur et à la réussite, sur la résilience mais qui brasse des tas de thèmes avec une fluidité qui ferait pâlir nombre de cinéastes occidentaux. Car le réalisateur n'oublie jamais de garder le spectateur sous tension tout du long.
Je me suis fait à plusieurs reprises la réflexion en me disant "wouah la classe ! çà c'est du cinéma d'action malin, du vrai !". La photographie est comme d'habitude d'un excellent niveau.
Ce thriller d'espionnage est malin, porté par les trois acteurs ultra stars en Corée et que vous connaissez probablement, Gong Yoo ("Dernier train pour Busan"), Byung-Hun Lee (A bittersweet life, Hero, Le Bon, la brute et le cinglé, "J'ai rencontré le diable"), et le génial Song Kang-Ho (Sympathy for Mr. Vengeance, Memories of Murder, Lady vengeance, The Host, Le Bon, la brute et le cinglé, Thirst, Snowpiercer).
Ce jeu du chat et de la souris est juste excellent ! Le double jeu des personnages et les effets de surprises sont un vrai bonheur de cinéphile.
Jetez vous dessus ! Ce sera l'un des meilleurs films de l'année.
N°02 -"Blade Runner 2049" de Denis Villeneuve
Denis Villeneuve est l'un des grands metteurs en scène du moment mais relever le défi de donner une suite à l'un des plus grands chefs d’œuvre de la SF était un pari ultra casse-gueule.
Ridley Scott ne s'est pas trompé mais il a surtout concocté avec le scénariste du film original, une histoire qui ne réédite pas du tout la précédente et se permet de prolonger le film précèdent. C'est sans doute la première grande force du film, celle de ne pas tomber dans le piège de l'univers si marquant du premier. On retrouve évidemment l'ambiance de villes polluées, où les voitures volent et les hologrammes publicitaires sont géants. Un élément a cependant disparu...les gens. Villeneuve s'attarde en effet peu sur cette population qui grouillait de partout dans Blade Runner car dans ce futur du futur, l'humain a quasiment disparu.
Et c'est en sortant de la ville et en nous montrant à voir des paysages d'une beauté froide et glaçante, d'une humanité qui est obligée de cultiver sous serres sur des étendues infinies, que le film prend son propre envol, sa propre indépendance par rapport à son écrasant ainé.
Denis Villeneuve prend alors le temps de dérouler son histoire, certains trouveront trop mais pas moi. Je n'ai pas vu le temps passer tout simplement parceque la mise en scène est fluide mais que l'interprète principal, Ryan Gosling, est tout de même très fort lorsqu'il s'agit de jouer les taiseux.
L'histoire casse les a priori qu'on peut se faire en connaissant le film d'origine et surtout s'avère émouvante car elle s'intéresse à ce qui fait que l'on est humain. On s'humanise en se trouvant un sens, un objectif à sa vie ...on a besoin de se sentir aimer et d'aimer en retour sinon pourquoi ? L'utilisation du personnage féminin holographique est une excellente idée, plus proche de Spielberg et d'AI que de Blade Runner mais non moins pertinente.
La thématique est aussi celle de l'humanisation face à la prise de conscience de l'immense solitude de l'humain face à la mort. Et c'est en cela que Blade Runner 2049 est un grand film. Sa thématique est différente de l'original et complémentaire.
Le seul problème est qu'elle ne se révèle pas facilement, l'émotion étant plus contenue que dans le premier film. Harrison Ford est très bon et son rôle ne fait pas figure de justification scénaristique. Seul le personnage de Jared Leto est un peu sous utilisé.
Denis Villeneuve utilise des décors en dur au maximum et use des effets spéciaux de façon intelligente, sans en foutre plein la vue et réussit à créer une identité visuelle aussi forte que l'original et pourtant différente.
Son film est contemplatif par moment mais ne se perd jamais dans une narration complexe, chaque scène étant justifiée malgré la durée du film.
"Blade Runner 2049" est une grande dystopie, une histoire dépressive et triste mais tellement réussie. Le film manque peut être du lyrisme qui le ferait accéder au niveau du premier mais il a une qualité énorme pour ce genre d'entreprise, l'humilité.
N°1 ex aequo - "A Beautiful Day" de Lynne Ramsay
Il est rare de sortir d'une séance de cinéma en se disant qu'on vient de visionner un chef d'oeuvre instantané. Et pourtant Lynne Ramsay, qui m'avait déjà impressionné il y a 7 ans avec "We need to talk about Kevin", vient de produire un chef d’œuvre, un vrai.
Avec cette histoire de vétéran tueur à gage, traumatisé par son passé, à la limite du suicide, hors sol, Lynne Ramsay donne à Joaquin Phoenix un de ses plus beaux rôles et il en a déjà eu de sacrément bons. Son prix d'interprétation à Cannes est une évidence tant il incarne avec puissance cette masse brutale et fragile, totalement perdu, déshumanisé par les horreurs de la guerre et le boulot d'effaceur, naviguant en eaux troubles, avec pour seul repère sa vieille maman qu'il aime.
Et un jour on lui propose de récupérer une adolescente prostituée de force dans un réseau pédophile car c'est la fille d'un sénateur. Et là, il va trouver un sens à son existence, une rédemption pour ses pêchés.
Le film est magistral du point de vue de la mise en scène, de la bande-son stridente et parfois mettant de gros coups de pression sur le suspens. La caméra épouse totalement cet ogre barbu dont on ne sait si il veut mourir ou rester ce fantôme de la mort qui assassine des gens sans aucun affect. Il est la figure désincarnée car sans âme, des laissés pour comptes de l'Amérique, de types de l'Amérique pauvre envoyés en Afghanistan, et laissés dans leur puit sans fond à leur retour du front.
Le rapport entre cet homme fracassé et cette enfant victime de l'ignominie des adultes, est d'une grande sensibilité, romantique et désenchanté. Et pourtant le film est parfois quasi muet, l'économie de dialogues se justifiant par leur inutilité. Tout est sur l'écran, Joaquin Phoenix crève l'écran.
"A Beautiful Day" aurait dû garder son très beau titre d'origine "You Were Never Really Here".
C'est un uppercut de cinéma, un très grand film qui deviendra un classique assurément. Courrez le voir ou ne prétendez pas "aimer" le cinéma. C'est l'un des deux films de l'année, avec "120 battements par minute".
N°1 ex aequo - "120 battements par minute" de Robin Campillo
Le Grand Prix du dernier festival de Cannes, qui a bouleversé la Croisette sort enfin et c'est un film important.
La première réussite est la direction d'acteurs de Robin Campillo, qui a été membre d'Act Up et çà se sent profondément dans le détail des échanges entre les protagonistes. Le lieu récurrent est donc l’amphithéâtre dans lequel l'association d'activistes se réunissait chaque semaine afin de discuter des actions à mener pour sensibiliser l'opinion publique, faire de la prévention contre le VIH et bousculer l'état, les corps intermédiaires peu actifs et les laboratoires.
La justesse et le naturel du jeu des acteurs qui s'invectivent et discutent de fond est bluffante. Bien sûr l'histoire d'amour entre le très attachant personnage joué par Nahuel Perez Biscayart et le garçon plus en recul joué par Arnaud Valois, permet au film d'avoir une ossature et un fil directeur. Mais l’ensemble des acteurs donne corps à cette rage qu'avaient les militants de réveiller les consciences et de choquer le public endormi. D'ailleurs le film montre très bien des homos qui début des années 90 fustigeaient le comportement d'Act up car ceci les dérangeaient, leur faisait peur et ils préféraient se voiler la face et nier la réalité de l'épidémie. D'autres scènes montrent l'incrédulité des adolescents dans les lycées, l'irresponsabilité des adultes refusant de parler de sexe et de capotes quitte à mettre en danger la jeune génération. Act up dénonçait le retard considérable que les campagnes de préventions mirent à s'installer. On y voit même une homophobie violente de jeunes filles préférant considérer que c'était une maladie réservée aux Pd.
Robin Campillo nous fait revive ce parcours d'une bande dont la plupart étaient séropositifs, de leurs divergences d'opinions, de leur volonté d'agir et de combattre plutôt que de laisser la maladie s'installer et les emporter. A l'image de Nahuel Perez Biscayart, le film fonctionne comme une force portée par des êtres humains qui n'ont rien à perdre.
Le film est politique, romanesque, à la fois porté par l'espoir d'obtenir des avancées et l'immense tristesse face à la disparition de certains. Mêlant la joie de la gay pride ou de relations amoureuses, l'humour des activistes, la colère de leurs actions ou de leurs débats, "120 battements par minute" nous déchire aussi et nous tire des larmes lorsque le rideau tombe sur certains. Mais il le fait sans mélo, sans violons, juste porté par ce jeu encore excellent des protagonistes, dont la sincérité crève l'écran de réalisme.
Et puis le film a un scénario très bien construit, allant du collectif vers son couple de héros, de la force du groupe à la solitude face au déclin et c'est particulièrement fin dans la mise en abîmes.
"120 battements par minute" est parsemé de morts mais il respire le désir de vivre et c'est ce qui fait que c'est un très grand film. Il vibre de la palpitation de ses héros qui ne veulent pas se laisser aller au déterminisme d'une maladie dont certains se foutent car elle vise les Pd.
Le film est passionnant de part ce qu'il décrit de cette lutte, emballant par sa vigueur et l'énergie des personnages, très émouvant et il aurait mérité la palme d'Or.
Il restera l'un des plus beaux films de l'année, digne, fier, et bouleversant.
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