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Photo du rédacteurBlanc Lapin

2009 à 2013 : 15 ans de Ciné du Blanc Lapin, les films qui ont marqué

Ceci fait 15 ans que le blanc lapin existe...tentant de faire passer le maximum de personnes de l'autre côté de l'écran et découvrir le cinéma en train de se fabriquer des annonces de projets aux bandes-annonces en passant par les accueils en festivals puis la critique et la piste aux lapins...d'abord un blog, lecinedublanclapin s'est mué il y a deux ans en site.


Beaucoup de résilience pour tenir le fil sur 15 ans, avec régularité et il est vrai en écrivant et tenant seul, il faut avoir une certaine rigueur. Mais j'ai toujours rédigé rapidement et j'écris avec de plus en plus de fluidité.


Merci à celles et ceux qui passent de temps en temps ou régulièrement.


Et pour fêter cela, je vous propose 4 dossiers reprenant les meilleurs films vus et classés par année.


On commence par 2009 à 2013 avec 61 films. Et si vous en avez loupés certains, n'hésitez pas à les rattraper sur l'une des plateformes de streaming. Ils sont tous très réussis.





2009


N°10 - “OSS 117, Rio ne répond plus” de Michel Hazanavicius


Une comédie française devenue culte, c'est rare mais une suite meilleure que le premier...Jean Dujardin est parfait dans ce rôle et on rigole encore plus de cette France si fière d'elle même, en élargissant les thèmes de moquerie, en écornant l'image d'Epinal des années 60...












N°09- The Wrestler de Darren Aronofsky


Un ancien catcheur, cardiaque, remet en jeu tout ce qui lui reste pour un dernier match contre son pire adversaire, au risque d'y laisser la vie.

Mickey Rourke trouve l'un des rôles de sa vie là où il aurait pu se ridiculiser un peu plus. Aronofsky, toujours aussi brillant, montre qu'il sait aussi changer de style, finis les montages qui impriment la rétine...un bon scénar, une caméra à l'épaule à la Dardenne et voici un Lion d'or 2008 fort mérité. 









N°-08 - “Boy A” De John Crowley


A 24 ans, Jack sort de prison où il a passé toute son adolescence pour un meurtre qu'il a commis lorsqu'il était enfant. Dès sa libération, Terry, assistant social, l'emmène le plus loin possible de ce scandale encore présent dans tous les esprits. Terry lui donne un autre nom, lui trouve un travail, une maison. Aux côtés d'un Peter Mullan magnifique comme chez Ken Loach, on découvre Andrew Garfield pour son 1er grand rôle avant de devenir une star. Un très beau film sur un ado qui ne sait dans quelle direction mener son existante brisée très tôt.








N°7- “L'enfer d'Henri Georges Clouzot”


En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de L'Enfer. Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un "événement" cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l'on disait "incroyables" ne seront jamais dévoilées.

Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l'avait prédit.


Fascinant documentaire décrivant comment l'un des plus grands réalisateurs français de l'époque, avec un casting au top, s'est lui-même autodétruit dans sa psyché et empêtré dans son projet pour s'y noyer. Les naufrages de grands films malades ont souvent donné des résultats fascinants tel "Lost in la mancha" sur le 1er Don Quichotte de Terry Gilliam avec Johnny Depp et Jean-Rochefort. Ce film là est dans la même veine, où comment un projet qui avait tout pour donner un grand film se fracasse contre un mur.


N°6 -  “Un prophète” de Jacques Audiard



Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire, ni écrire. A son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a 19 ans.

D'emblée, il tombe sous la coupe d'un groupe de prisonniers corses qui fait régner sa loi dans la prison.


L'un des films majeurs de Jacques Audiard, dans sa veine d'apprentissage d'un jeune homme ar une racaille amorale, comme dans "Regardes des hommes tomber" avec deux immenses acteurs, Niels Arestrup et un jeune homme qui allait exploser et devenir un acteur français incontournable, Tahar Rahim.




°5- "The Box" de Richard Kelly Avec Cameron Diaz, James Marsden


Norma et son époux mènent une vie paisible dans une petite ville des Etats-Unis jusqu'au jour où une mystérieuse boîte est déposée devant leur domicile. Quelques jours plus tard, se présente l'énigmatique Arlington Steward qui leur révèle qu'en appuyant sur le bouton rouge de la boîte, ils recevraient 1 000 000 $, mais cela entraînerait la mort d'un inconnu...Le réalisateur du culte Donnie Darko n'a hélas jamais retrouvé le succès et s'est même gaufré avec Southland Tales qui l'enterrera à Hollywood. Le film The box était pourtant une grosse claque, qui a divisé la presse mais une vraie proposition de cinéma SF originale et gonflée.



N°3 "Louise Michel" de Gustave Kervern et Benoît Delépine



Quelque part en Picardie, le patron d'une entreprise de cintres vide son usine dans la nuit pour la délocaliser. Le lendemain, les ouvrières se réunissent et mettent le peu d'argent de leurs indemnités dans un projet commun : faire buter le patron par un professionnel. Gustave Kervern et Benoît Delépine livrent l'un de leurs meilleurs opus avec les excellents Yolande Moreau et Bouli Lanners. Un film punk, du côté des petites gens et très très drôle et provocateur.








N°2ex-æquo - “Inglorious Basterds”de Quentin Tarantino



Dans la France occupée de 1940, Shosanna Dreyfus assiste à l'exécution de sa famille tombée entre les mains du colonel nazi Hans Landa. Shosanna s'échappe de justesse et s'enfuit à Paris où elle se construit une nouvelle identité en devenant exploitante d'une salle de cinéma.

Quentin Tarantino revient à son meilleur et surprend tout le monde par la fin de son film de cabochards, inspiré des 12 salopards mais avec sa propre narration, un Brad Pitt génial, la découverte de Christoph Waltz en nazi inoubliable ou d'un Michael Fassbender avant qu'il explose. Un très grand Tarantino, impertinent et drôle.





N°2ex-æquo - The Watchmen

De Zack Snyder


Le film "Watchmen", adapté du célèbre comic book de Allan Moore (V for vendetta, from hell) et Dave Gibons était l'arlésienne du cinéma fantastique. Gilliam a tenté de l'adapter puis a voulu en faire une série tellement le matériau d'origine était dense. Aronofsky s'y est cassé les dents et bien d'autres... C'était donc l'un des films les plus attendus de l'année 2009. Et s'il s'est planté au box office, il aura eu le mérite d'intégrer le cercle très restreint des films de super héros réussis. Le film traite de la folie nucléaire, de la déshumanisation des dirigeants ou des héros face à certains choix. La protection du bien commun n'est pas la somme des intérêts individuels. Et en ce sens, la critique des limites du système politique et économique est intéressante, sans tomber dans la facilité. Ce n'est pas nihiliste, c'est plus complexe...


Il fallait un faiseur pour ce projet et non un auteur. Zack Snyder ne s'abstient pas de réfléchir, il est juste assez malin pour ne pas rajouter au matériau d'origine sa propre vision, ce qui aurait donné un film lourd voir incompréhensible.

 


N°2ex-æquo - L'imaginarium du Docteur Parnassus

De: Terry Gilliam


Avec sa troupe de théâtre ambulant, " l'Imaginarium ", le Docteur Parnassus offre au public l'opportunité unique d'entrer dans leur univers d'imaginations et de merveilles en passant à travers un miroir magique. Mais le Dr Parnassus cache un terrible secret. Mille ans plus tôt, ne résistant pas à son penchant pour le jeu, il parie avec le diable, Mr Nick, et gagne l'immortalité.


L’imaginarium du docteur Parnassus est l’invitation d’un gentil fou à rentrer dans sa tête pleine comme un œuf, dans son foutoir ambulant tellement bien rempli qu’on voudrait en voir plus de l’imaginarium de Mossieur Gilliam. Mais tout le talent d’un conteur est de laisser s’envoler les histoires dans la tête des spectateurs suffisamment tôt pour qu’elles prennent de l’ampleur. Laisser des zones d’ombres bienvenues afin de permettre à chacun de faire sien ce film si bigarré et ouf ouf ouf.

Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce film et je vous le recommande sans aucune réserve si ce n’est que vous pouvez ne pas être sensibles à l’univers du réalisateur, ce qui est bien entendu une question de goûts… "Et voilà !!"



N°1 ex-æquo- “Là haut” de Pete Docter et Robert Peterson



Première fois que je chiale devant un Disney ou plutôt...un Pixar !!! C'est plein de bons sentiments certes, mais c'est amené avec délicatesse, poésie. La maitrise de l'image de synthèse par la firme à la lanterne est décidément bluffante à chaque fois...alliée à un scénario intelligent et drôle. C'était la grande époque de Pixar qui alignait des chefs d’œuvre à chaque sortie.










N°1ex-æquo - “Les noces rebelles” de Sam Mendes



Au milieu des années 50, un couple de banlieusards qui ont tout pour être heureux (enfants, maison...) sont confrontés à un dilemme : écouter leurs désirs ou s'adapter à la société.


Sam Mendes, le réalisateur de American Beauty et Les sentiers de la perdition, signait avant Skyfall et 1917 un chef d’œuvre d'une grande dureté sur un couple qui se fracasse contre le mur des illusions du rêve américain. Léonardo Di Caprio et Kate Winslet se retrouvent après Titanic pour une partition bluffante de nuances et un véritable choc cinématographique.




2010


N°13 - "Toy Story 3″ de Lee Unkrich


Toy story 3 rend un superbe hommage, intelligent et respectueux du spectateur, au pouvoir de l'imagination d'un enfant, à la transition vers le monde adulte, à la mémoire que nous devons tous garder précieusement tel le feu de Prométhee, cette folie magique que seul un enfant peut créer, avec tout un tas de jouets déparayés ou avec trois bouts de bois et une ficelle...

C'est déjà très fort d'arriver à restituer ce sentiment là dans un blockbuster grand-public et pour ceci, encore une fois, merci Pixar !




 N°12 - “Les amours imaginaires” de Xavier Dolan


Avec "les amours imaginaires", Xavier Dolan pouvait se planter méchamment puisque la thématique du trio amoureux est un genre ultra parcouru. Mais ce qui pouvait agacer dans son premier film se transforme ici en force. Sa fougue, sa spontanéité, son humour malicieux et le choix de ses interprètes (dont lui-même) font de cette comédie romantique une très belle réussite.

Les blessures du désir et de la déception amoureuse ont trouvé un bel écho chez notre petit québécois qui devint de plus en plus le chouchou des critiques tant sa rigueur de forme, de direction d'acteur, de scénario et de mise en scène semblaient limpides et évidents...avant qu'il ne finisse par s'autocaricaturer 10 ans plus tard.





N°11 - “I love you Philip Morris” de Glenn Ficarra et John Requa


Je déteste la plupart des comédies "gay" ou "gay friendly", qui tombent systématiquement dans la caricature de l'homo.  Ce dernier est forcément joyeux, festif, extraverti avec plein de plumes de partout. Bref, que ce soit "in and out", "la cage aux folles" ou "pédale douce", je suis affligé à chaque fois. Le film raconte l'histoire vraie, ce qui semble d'ailleurs hallucinant, d'un homme ayant menti toute sa vie et fait des allers et retours en prison par amour pour un autre homme, Phillip Morris (Ewan Mac Gregor), rencontré en prison justement.Si Ewan Mac Gregor est parfait en contre-emploi, d'une sensibilité désarmante, Jim Carrey nous livre là un festival de ce qu'il sait faire de mieux, alterner sans cesse entre pitrerie loufoque et tragédie bien sentie. L'intérêt principal du film réside dans cet individu clownesque mais sincère, qui se cache derrière divers masques de personnages afin de disposer d'assez d'argent pour rendre heureux l'homme qu'il aime. e film vous cueille au moment où il vous a conquis par le rire avec un sérieux de bon aloi. Non, ce n'est pas qu'une comédie, c'est bien davantage. Et l'ironie du long métrage est d'arriver à faire des pieds de nez aux clichés ou justement à les contourner habilement. Bref, un parcours sans faute et une grande réussite que ce très original et gonflé.



N°10- "Des hommes et des dieux" de Xavier Beauvois


Xavier Beauvois est un réalisateur que je respecte beaucoup pour l'exemplarité de sa carrière, jalonnée de films aux univers différents, aux scénarios écrits au cordeau, que ce soit "Nord", "N'oublies pas que tu vas mourir", "Selon Mathieu" ou "Le petit lieutenant". Je ne le voyais en revanche absolument pas s'attaquer à l'assassinat des moines de Tibhirine en 1996. Pour raconter ce drame, Xavier Beauvois se base sur un casting impeccable mené par Lambert Wilson et Michael Lonsdale. Il a la délicatesse de laisser chaque individualité de chaque moine s'exprimer à sa façon.Beauvois réussit donc à dépeindre des êtres de relief, ayant chacun une identité dans cette communauté si unie. Cette texture de la foi palpable grâce à la mise en scène va donc côtoyer deux violences parallèles, celle du pouvoir militaire dictatorial et celle des extrémistes fondamentalistes du FIS. Mais le choix de Beauvois de ne pas trop détailler les affrontements et les actes terroristes accentue l'épure de ces vies dévouées aux autres.



N°9- “Mother” de Joon-ho Bong


Une mère cherche à disculper son fils d'une accusation de meurtre. Mais son fils a tout contre lui puisqu'il est légèrement attardé... Le réalisateur coréen surprend à chaque film, que ce soit son film de monstre teinté de critique sociale avec "the host" ou son superbe polar "memories of murder". Avec "Mother", il change de nouveau de style tout en gardant un peu des ingrédients de ses précédents longs métrages. En fait il récréé un style, entre le thriller psychologique, la chronique sociale teintée d'humour noir, l'enquête policière classique, ou le mélodrame familial. Il nous brouille les cartes pour mieux entretenir le suspens et l'émotion. Mais pas de l'émotion tire larmes, bien au contraire, il nous montre les limites de la résistance, de la lutte pour un être aimé. Au bout de 2h de long métrage, l'empathie provoquée par cette mère "courage" nous explose à la tronche dans un des plus beaux final des films sortis cette année. Une très grande réussite.



N°08- “The social Network” de David Fincher


Avec "the social Network", David Fincher, qui s'est illustré de façon brillante avec "Seven", "Fight club" ou "Zodiac", revient avec un sujet pas si grand public que cela.En effet, présenter les personnages qui sont à l'origine du phénomène "Facebook" peut sembler mercantile à première vue et relativement inintéressant. Mais toute la finesse de Fincher est d'avoir su partir de ce postulat d'étude de geeks coupés du monde pour mieux brosser le portrait de jeunes gens brillants mais incroyablement solitaires. Des jeunes dont les idéaux sont réduits à néant puisqu'ils ont tout, argent et intelligence, et sont souvent blasés. Des individus sans rêves, sans aucune conscience politique. Elevés à la culture du paraitre et de la réussite sociale, c'est l'épate qui mène leur existence, puis le fric mais au final cet argent n'est même pas l'enjeu pour eux. L'enjeu c'est de trouver une place et une reconnaissance dans ce monde d'individualités. le plus plaisant dans cette histoire de success story d'un connard, c'est que Fincher abandonne ses effets visuels habituels, ou plutôt les rend plus discrets pour se concentrer sur la mise en scène pure, la direction d'acteur et nous faire progressivement comprendre cet énergumène pour lequel on finit par avoir de la peine. The social Network est donc un brillant exercice de style, passionnant. Il est difficile de le comparer à un autre long métrage mais il est certain qu'il témoigne de son temps et qu'il restera probablement comme un classique du fait de la finesse et de l'intelligence de son propos.



N°7- “Shutter Island” de Martin Scorsese


Des 7 collaborations entre Léonardo Di Caprio et Scorsese, c'est l'une des meilleures avec "Gangs of New York" puis plus tard "Le loup de Wall Street".

Di Caprio est tout simplement brillant. C'est un excellent thriller avec un twist final réussi, une musique bien oppressante et un Scorsese qui s'intéresse davantage que d'habitude aux tréfonds de l'âme. C'est la première fois je crois qu'il filme des cauchemars ou des souvenirs, le fash back n'étant pas très présent dans son œuvre. Il y'a peu de maitres du septième art en vie, Martin Scorsese en fait partie. "Shutter Island" fait partie de ses chefs d'oeuvre.









N°6 - “A single man” de Tom Ford


1962, Jim, professeur d'université à Los Angeles, vit reclus dans le deuil de son compagnon, décédé d'un accident de voiture quelques mois plus tôt. Seule sa meilleure amie, Charley (superbe Julianne Moore) pimente un peu sa vie. Il n'a goût à rien, il veut mourir.  Le film est doté d'une photographie et d'une utilisation du bruitage impressionnants. C'est d'ailleurs la stylisation à l'excès qui a déplu à certaines critiques, y voyant un film papier glacé, à l'image des très belles photos de mode dont Tom Ford est l'une des figures emblématiques. C'est beau, sensuel. Tom Ford sait très bien filmer les corps, la peau, les regards et leurs non-dits, le souffle léger d'un personnage. Cette élégance dans l'expression des caractères ne les rend pas moins terriblement humains...Ainsi au final, de l'émotion se dégage de toute cette histoire, de la mélancolie, de la tristesse, de l'ironie, de l'espoir...et surtout, une belle allégorie de la vie et de la mort, du couple et de la réussite de ce dernier. Bien entendu, celui qui porte le film est Colin Firth, pour qui la coupe Volpi du meilleur acteur (festival de Venise) était une évidence. Julianne Moore est très bien castée en meilleure amie, sublime quarantenaire qui vit là les derniers feux de sa beauté fatale sans avenir aucun. Et puis il y'a Nicolas Hoult, mon pari sur les jeunes acteurs en devenir. Parfait en ange de la dernière chance. Il imprime la péllicule. Un film d'une classe qui force le respect. Le twist final est impérial.


N°5- “Inception” de Christopher Nolan


Ce qui frappe le plus à la vision de ce film, c'est la minutie, le timing d'orfèvre, l'exigence avec laquelle Christopher Nolan et son frère Nathan ont écrit le scénario. Un récit labyrinthique et architectural faisant référence lui même à ce voyage dans l'esprit d'autrui, cette Inception. Nolan nous livre un film intelligent, qui part du postulat que le spectateur l'est aussi. Nous retrouvons les références à la mémoire et à ses méandres (Memento et Insomnia), les regrets d'une relation gâchée et la volonté de rattraper le passé, de se reconstruire une identité (The dark knight) ou la manipulation des illusions (Le prestige). Ce qui marque étrangement c'est l'action permanente très référencée à la Michael Mann (Heat) comme arrière plan d'une intrigue complexe mais pas incompréhensible. Inception joue habilement de l'effet de poupées russes et alterne entre film d'espionnage à la 007, film de SF, film de casse, et une histoire plus profonde d'acceptation du pass.


N°4- “The Ghost Writer” de Roman Polanski


A 77 ans, Polanski signe l'un de ses meilleurs films, une compilation de tout ce qui a fait le génie du bonhomme, un regard ironique et brillant sur une carrière. L'histoire de ce "ghost writer" est celle d'un écrivain, Ewan Mac Gregor, choisi par l'entourage d'un ex-premier ministre, Adam Lang (Pierce Brosnan), pour rédiger ses mémoires et lui servir de nègre. Quand on visionne le nouveau Polanski, il est impossible de ne pas penser au cinéaste assigné dans sa résidence en Suisse. Pourtant, il ne faudrait pas y voir un parallèle évident mais plutôt une coïncidence. En effet, on reconnait surtout les obsessions de Polanski qui ne datent pas d'hier mais d'il y a 40 ans...dès ses premières réalisations. Polanski fait des clins d'œil à sa propre filmographie, à "la neuvième porte" et "frantic" pour la course poursuite et le jeu de pistes, à "pirates" et "le bal des vampires" pour l'humour décalé, à "le locataire" ou "répulsion" magnifique film oppressant avec Catherine Deneuve...et enfin les cadavres dans le placard de politiciens bien sous tous rapports ("la jeune fille et la mort"). C'est donc un film somme. Mais comme tout grand film, vous n'avez pas besoin de connaitre la vie de Polanski ou sa filmographie pour l'apprécier. Terriblement efficace et bourré d'adrénaline.

 

N°3- “Moon” de Duncan Jones


Le pitch : Sam Bell est cosmonaute sur la lune. Il gère seul l'extraction de l'hélium 3, nouvelle source d'énergie qui permet à la Terre de sortir de la crise énergétique. Son employeur, un grand consortium, lui a donné cette mission solitaire durant 3 ans.

Duncan Jones a certes pu monter ce film grâce à l'aide de son papa, un certain David Bowie....et réussit avec brio à nous captiver pour son histoire avec un seul acteur, Sam Rockwell, et un tout petit budget. Ce huis clos entre ce cosmonaute et lui-même est si bien écrit, si bien pensé, que de multiples sentiments et réflexions jaillissent là où a priori on ne s'attend à rien. Si la science-fiction peut certes s'avérer ludique voir régressivement jouissive, elle atteint également des sommets de profondeur spirituelle lorsqu'elle titille des thématiques universelles qu'elle arrive à isoler des considérations terrestres pour mieux en tirer la substantifique moelle. C'est assez fort d'arriver à faire ressentir ce sentiment étrange d'isolement et d'espoir lié uniquement à l'appartenance à un monde, à une espèce. Toute la thématique du film est donc l'identité, l'identité en tant qu'être humain, au milieu de l'univers. Une puissante mélancolie s'échappe de cette vision, portée par la superbe bande originale de Clint Mansell (Requiem for a dream, the fountain).


N°2 - "Submarino" de Thomas Vinterberg


Thomas Vinterberg revient enfin...12 ans après son chef d’œuvre écrasant et premier film, "Festen". Il est parfois mortel artistiquement de commencer très haut. Et la chute fut dure pour le jeune danois, ses deux films suivants se cassèrent les dents d'un point de vue critique. De retour dans son pays natal avec "Submarino", Vinterberg n'abandonne aucunement la noirceur sans fond et limite suicidaire de ses protagonistes, balayés par un vent froid, celui d'un certain pragmatisme social. Le titre "Submarino" fait référence à une torture par asphyxie sous l'eau et résume parfaitement l'état des personnages, dont les multiples tentatives de surnager se heurtent à l'engrenage de la misère. Vinterberg aurait pu tomber dans le pathos et nous agacer très rapidement. Mais sa mise en scène et le jeu des acteurs sont pudiques et délicats, ne s'accordant aucune facilité. Passer dans ce style de cinéma après Ken Loach, Stephen Frears, les frères Dardenne ou Robert Guediguian n'est pas facile tant de si grands films ont été réalisés. Thomas Vinterberg n'a pas le même succès mais c'est une grande claque de cinéma à laquelle j'ai eu droit, et ce fut le début du renouveau pour le réalisateur des futurs "La Chasse" et "Drunk".


N°1 - "Tetro" de Francis-Ford Coppola


Il y a des moments rares au cinéma où l'on contemple une œuvre en ayant la certitude qu'elle est en train de nous faire chavirer, que l'on regarde un chef d'oeuvre. Et comme le mot est galvaudé, je vais juste préciser ce qu'est un chef d'œuvre pour moi. C'est lorsqu'un artiste arrive à imposer cette œuvre avec un style qui lui est propre, un jeu d'acteur irréprochable, un choix de casting brillant, enfin une histoire qui vous empêche de perde haleine. L'intensité dramatique ne tombe jamais dans le pathos, il n'y a aucun moment de relâche, chaque scène est parfaite. Le noir et blanc rappelle bien entendu "Rusty James" avec Mickey Rourke et Matt Dillon, d'autant que le jeune acteur, Alden Ehrenreich a des similitudes avec le magnétisme de Matt Dillon jeune. Et puis l'utilisation de la couleur est effectuée avec brio. Pourtant TETRO est bien plus abouti. Cette histoire de famille sur deux générations recèle en elle des moments aussi intenses que les tragédies shakespeariennes que sont "le parrain 1" et surtout "le parrain 2". C'est en auteur parfaitement libre, produisant son film tout seul, un film d'art et essai, à 70 ans, que Francis Ford Coppola revenait sur la croisette l'an dernier mais hors compétition. Et il n'était pas très content car il était fier de son film, il le disait partout, il n'avait pas signé une telle œuvre depuis fort longtemps.

Et bien il n'avait pas menti, cela faisait 18 ans qu'il avait tourné Dracula, son dernier film potable. 30 ans depuis son dernier chef d'œuvre, Apocalypse now. C'est donc une vraie joie de le retrouver. Une leçon de mise en scène car seuls les maîtres arrivent à impressionner sans aucune débauche de moyens.



2011


N°10 - "The Tree of life" de Terrence Malick


Terrence Malick remporte la palme d'Or en 2011 pour ce film qui a fortement divisé le public puisque sans aucun dialogue et qui allait entamer une période à la fois très productive chez un réalisateur qui n'avait fait que 4 films en 40 ans mais aussi des films qui vont devenir de plus en plus difficiles d'accès et sans histoire avec un narratif de dialogues. Malick est un réalisateur rare et culte, respecté de tous pour son intégrité jusqueboutiste et son amour de la nature, pour la quasi perfection de ses œuvres, des "moissons du ciel" au "nouveau monde".


D'une naïveté confondante, d'un lyrisme appuyé par une bande-son aux cœurs angéliques, des chuchotements de phrases philosophico-religieuses ponctuent un récit au final ultra croyant en un dieu, EN un créateur, en cette nature si belle et si fragile. Le film est déroutant à bien des titres. On est chez du pur Malick, son film le plus personnel, qu'il couve depuis qu'il a 30 ans, une ode à la nature et à la magie de la création, de l'évolution, de la vie et une relativisation des codes sociaux au regard de l'immensité de cette nature. L'homme et sa fierté, son égo, est bien peu de choses et passe à côté de l'essentiel. Terrence Malick arrive à capter la construction d'un individu, d'un caractère par des sons et des images découpées de la vie quotidienne d'un jeune garçon des années 50. La narration ou l'absence de narration est la clé de voute de ce poème, de cette prière. Les sentiments humains sont passés en revue, de la colère, du questionnement, du doute, de la compréhension et de l'acceptation du divin. Un vrai parcours spirituel vers Dieu. Le cinéma de Terrence Malick est sensoriel et puissant, unique comme son auteur.

 

N°09 - "X-men, le commencement" de Matthew Vaughn


"X-men first class" est l'adaptation très attendue d'une série de comics books déclinant les célèbres X-men au tout début, lors de la création de l'école du professeur Xavier et l'histoire de l'amitié puis de la lutte entre Xavier et Magneto.  En effet, l'équipe de production utilise habilement le contexte socio politique de l'époque des années 60. Le film est intelligent et surfe sur une uchronie à la manière des "Watchmen" pour marquer les racines des prises de consciences des mutants mais avec le fun et la nonchalance des sixties. Matthew Vaughn livre un film aérien, clair, subtil, bref, très réussi.

D'abord parceque le scenario prend le temps sur quelques scènes de rendre crédible l'amitié et le respect des deux personnages et parceque les acteurs ont un charisme évident. James McAvoy tord le cou au coté froid et intello de Xavier en montrant un homme brillant mais jeune et fêtard tout en restant "so british". Michael Fassbender apporte à son Erik - Magneto une subtilité et une graduation dans la violence que même l'excellent Ian Mckellen restituait moins bien en vieux Magneto dans les premiers X-mens. Cette allégorie du racisme et de la lutte pour le droit à la tolérance et à la normalité n'est jamais développé au détriment de l'action.



N°08 - "Une séparation" de Asghar Farhadi


Le pitch : Simin vit en Iran avec son époux Nader, dont elle veut divorcer parcequ'il ne veut pas la suivre et partir avec elle et leur fille à l'étranger, alors que son visa expire dans 40 jours. Nader veut rester pour s'occuper de son père atteint de la maladie d'alzheimer. Il va donc embaucher une femme pour s'occuper de lui la journée. Mais rien ne va se passer comme prévu. 


L'ours d'or 2011 est un film brillant et original sur la place de la femme en Iran mais aussi l'investissement de l'homme et son positionnement dans le cercle familial. La comparaison des rapports sociaux entre une classe moyenne qui s'en sort et vit confortablement et une classe sociale pauvre, davantage tournée vers la religion, est passionnante. Que veulent dire justice et morale dans chacun des couples et quelles en sont les limites quand la survie de la famille en dépend ? Au-delà du drame et de la tension de l'excellent scénario, l'intérêt majeur est donc cette vision moderne de l'Iran. Le couple qui se sépare est ancré dans le 21ème siècle.

 "Une séparation" parle des tabous de ce grand pays et de leurs limites très rapidement atteintes.


N°07 - "Incendies" de Denis Villeneuve


Le pitch : A la lecture du testament de leur mère, Jeanne et Simon Marwan se voient remettre deux enveloppes : l’une destinée à un père qu’ils croyaient mort et l‘autre à un frère dont ils ignoraient l’existence. Jeanne voit dans cet énigmatique legs la clé du silence de sa mère, enfermée dans un mutisme inexpliqué les dernières semaines précédant sa mort. Elle décide immédiatement de partir au Moyen Orient exhumer le passé de cette famille dont elle ne sait presque rien…


Voici donc le film qui a lancé la carrière Denis Villeneuve. Le réalisateur opte pour un scenario recelant un drame à multiples fonds, chacun enfonçant un peu plus le spectateur dans l'émotion des diverses révélations qui vont jalonner le film. Au fil de l'enquête de ces deux frères et sœurs sur leur mère disparue, plusieurs thèmes vont être évoqués et entremêlés. L'atmosphère d'enquête dans ce pays dont on ne cite jamais le nom (mais qu est le Liban) est posée, une guerre honteuse qu'on veut oublier. Le périple commence alors dans le passé de cette mère décédée et mystérieuse. Deux êtres qui aimaient leur mère malgré son absence, vont la découvrir par devoir de mémoire, par envie de trouver des racines dont elle ne donne la direction que lorsqu'elle n'est plus et n'a plus à avoir honte de sa vie et de ses échecs.


C'est donc un film sur le deuil, les deuils. Un film sur le pardon. Pardonner à ses bourreaux pour revivre ou plutôt laisser ses enfants revivre. Film sur l'importance de la filiation et de la connaissance de ses parents pour se constituer une identité, une base pour se propulser en avant, comprendre les erreurs et les choix des ainés pour créer son propre cadre, forcément construit en creux, en confrontation avec les parents.


N°06 - "The artist" de Michel Hazanavicius


Avec " the artist", Michel Hazanavicius a fait forte sensation à cannes puiis a cartonné aux Césars et aux Oscars. Hazanavicius ose un pari risqué et gonflé, en sortant un film muet en noir et blanc en 2011 ! Idée de génie, pas novatrice car déja tentée par le passé mais toujours avec lourdeur...

Hazanavicius frappe livre un hommage très émouvant au cinéma à travers une histoire simple mais écrite avec finesse, basée sur le jeu sans fausses notes de ses acteurs Jean Dujardin et Berenice Bejo. Il sait raconter des histoires et arrive à s'imprégner des tics d'un cinéma mort pour mieux nous démontrer que ce dernier bouge encore et qu'il s'est juste transformé et entouré de techniques de plus en plus élaborées. L'essentiel, la base de la réussite d'un film sont toujours les auteurs, le metteur en scène et les acteurs, même sans paroles, la parole n'étant que la première des avancées technologiques qu'a connu le cinéma.

 Au- delà de cette histoire bouleversante du passage d'un monde à un autre, du comment devenir has been et rejeté de tous du jour au lendemain, Hazanavicuis va plus loin et c'est tant mieux. En effet, l'immense Billy Wilder avait déjà abordé ce thème du passage du met au parlant et des ravages sur une star déchue dans son chef d’œuvre "sunset boulevard" ou "boulevard du crépuscule". Ici, la tendresse pour les personnages et leur profonde humanité touche de façon évidente et surprend d'autant plus qu'on n'attendait ni Hazanavicius ni Dujardin sur ce créneau. Un exercice de style casse gueule qui aboutit à un film ambitieux, généreux et d'une nostalgie ultra classe.



N°05 - "Shame" de Steve McQueen


"Shame" est le second long métrage de Steve McQueen, après avoir remporté la caméra d'or à Cannes en 2009 avec "Hunger". Michael Fassbender interprète un baiseur fou dont le train train est bouleversé quand sa petite sœur débarque en ville pour squatter chez lui. McQueen va laisser le temps au récit de se construire et de nous livrer un film d'atmosphères, un film à l'image très léchée.

Le film présente les couleurs pales d'un monde de limbes, ce purgatoire de la mythologie grecque. Pourquoi ce personnage s'est il perdu ? La couleur pâle des scènes, la couleur du vide, sera aussi celle de l'absence de personnalité du personnage. Ce dernier n'a aucune passion à part le sexe, aucun ami, aucune famille à part cette sœur venue d'ailleurs, aucune racine. Il a créé sa bulle, son monde aseptisé, un appartement blanc et sans âme, mais qui lui sert de lieu d'isolation.

"Shame" est donc l'histoire d'un homme seul qui s'est construit une prison à force de sombrer dans cette drogue qui le coupe de toute sociabilité, à savoir le sexe. Mcqueen utilise admirablement le corps de Fassbender, corps qui exprime davantage la souffrance que la jouissance avec cette fuite en avant dans du sexe désincarné. On en vient à éprouver une profonde empathie pour cet être déconnecté de toute joie, qui s'accroche à sa seule éjaculation pour rythmer sa vie.

Le plaisir semble se focaliser de plus en plus sur la conquête, l'acte en lui même n'étant qu'un enchaînement mécanique. Comme si la virilité du personnage ne pouvait que s'exprimer en laissant l'animal prendre le dessus. Le danger qui guette l'homme moderne est d'oublier ce qui forme le tissu social, au delà des rapports futiles. C'est le message assez juste et universel que Steve Mcqueen réussit brillamment à démontrer dans ce film qui fit date.



N°04 - "Polisse" de Maiwenn


Avec ce quotidien de la Brigade de Protection des Mineurs, Maiwenn s'attaque à des sujets sensibles que sont la pédophilie, l'inceste, le viol de mineurs, la maltraitance physique. Autrement dit, un sujet casse gueule qui peut verser très vite dans le pathos. Karin Viard est décidément l'une des meilleures actrices de sa génération. Joey Star  trouve à nouveau un rôle extrêmement touchant et charismatique. Marina Foïs enterre définitivement son image de Robin des Bois et trouve à nouveau chez Maiwenn l'occasion d'impressionner par l'incarnation qu'elle rend du personnage. L'aspect pseudo documentaire fait évidemment penser au brillant "L. 627" de Bertrand Tavernier. Notamment parce que Maiwenn s'est inspirée de faits réels et que cette réalité dépasse la fiction et nous explose à la gueule dans certaines scènes déchirantes, lourdes d'émotions mais jamais de misérabilisme. Ces flics trop humains qui font face à des affaires extrêmement dures sur enfants, nous redonnent de l'humain en intraveineuse à travers leur quotidien. Son film est violent par les mots et les situations mais il donne à voir systématiquement l'ambivalence de chacun de ces flics. Leur côté obscur, leurs contradictions, les traumas sécrétés par leur métier et le débordement de ce dernier sur leur vie personnelle, tout ceci permet d'embraser le film, de lui donner un souffle et une vigueur qui force le respect. "Polisse" est un film qui réveille et qui ne peut laisser indifférent. Son prix du jury au festival de Cannes 2011 récompensait un coup de cœur et il était très mérité.


N°03 - "J'ai rencontré le diable" de Kim Ji-Woon


Le pitch : Un agent secret recherche le serial killer qui a tué sa fiancée...


Kim Ji-Woon a engagé son fidèle acteur Lee Byung-hun, de tous ses films, sorte d'Alain Delon coréen époque "le samourai" et a confié le rôle du tueur à l'excellent acteur de "Old boy", Choi Min-sik, au visage impressionnant de violence, une tête de tueur qui vous glace le sang. Avec "J'ai rencontré le diable", tous les codes du film d'horreur sont là ainsi que l'absence de retenue du cinéma coréen. Il se lâche l'animal. Le sang gicle de partout, certaines scènes sont bien crades et choquantes et Kim Jee-Woon ne se refuse rien. Mais il a l'intelligence de se baser sur un scénario classique et malin, sans aucune interruption de rythme, la spirale infernale n'ayant jamais de pause. Le flic poursuit un monstre qui ne sera jamais rassasié de crimes. Certains scènes vous clouent au fauteuil de terreur mais c'est diablement efficace et plus profond qu'il n'y parait. C'est triste, c'est froid, c'est glauque mais c'est scotchant d'intensité. Kim Jee-Woon se permet même des touches d'humour dans les situations les pires. La furie du vengeur n'est pas du tout esthétisée de manière différente, elle aussi gratuite et stupide. Le contact d'un diable, d'un être sans aucune humanité rend t il mauvais ou ramène t il juste le poursuivant justicier à l'état de chasseur qui guette la bête...et se prend au jeu inhumain du bourreau car c'est un jeu enivrant. Il est plus facile de se venger que d'accepter que l'ordre et la justice légale s'accomplissent. Kim Ji-Woon réussit donc, derrière l'apparente débauche de violence jouissive et écoeurante à nous pondre un bon plaidoyer contre la peine de mort. Et c'est ce qui est très très fort dans sa mise en abîmes et son traitement de l'évolution des personnages. Le mal pur est vraiment flippant et il est contagieux.



N°02 ex-æquo - "Black Swan" de Darren Aronofsky


Le retour de Darren Aronofsky après son lion d'or deux ans plus tôt pour "the wrestler", où Mickey Rourke renaissait de ses cendres devant la caméra du cinéaste. Natalie Portman trouve le rôle de sa vie. La force du récit est appuyée par une mise en scène de plus en plus étouffante, qui va en crescendo à la manière de "Requiem for a dream". Une force centrifuge emporte peu à peu le récit à une vitesse de plus en plus grande. Aronofsky filme en gros plans son actrice pour ne jamais la lâcher, le personnage  est seul face a son destin, face à ses choix, cruels.

Le déterminisme de cette tragédie et son réalisme sont parsemés de touches fantastiques, maintenant le long métrage dans un genre indéfini et inquiétant, à la manière d'un Polanski ou d'un Kubrick, toujours sous tension forte. L'expérience de Natalie Portman dans la danse classique accentue le réalisme des meurtrissures du corps qui se propagent à l'âme, ne sachant jamais si l'on nage en pleine schizophrénie et à quel moment le cauchemar se détache t il de la réalité. L'utilisation des codes d'un cinéma de genre fantastique pour mieux perdre les repères du spectateur, permettent de l'emmener plus violemment vers l'apogée du récit, en accélérant, à la manière d'une ballerine qui tourne sur elle même jusqu'à perdre connaissance, jusqu'à s'abandonner. Et puis il y a l'histoire, la solitude du personnage, son unique obsession étant de devenir quelqu'un, être admiré aux yeux de tous, atteindre la perfection dans son art au sacrifice de tout le reste, la vie n'étant plus liée qu'à cet objectif, pas d'amis et peu de famille qui compte...un film bien plus profond qu'il n'y parait car il touche à quelquechose d'universel. Que recherche ton à réussir dans une vie ? Quel est le but, l'ambition, et pourquoi ? pour qui ? Le personnage de Portman le fait-il pour soi ou pour sa mère ?


N°02 ex-æquo - "Drive" de Nicolas Winding Refn


Il est toujours émouvant de voir un auteur au style unique se révéler au grand public et récolter les grands prix, monter une marche de plus et s'imposer comme un grand, un très grand. Le réalisateur suédois de la trilogie "pusher", de l'excellent "bronson" et du barré "whalla rising, le guerrier silencieux", Nicolas Winfing Refn réalise son chef d’œuvre.

Il est rare d'être frappé d'une telle cohérence, d'une telle évidence. Et Winding Refn utilise pour cela tous les codes du genre qu'il a si bien digérés. J'ai pensé à David Cronenberg pour le brio de la mise en scène, le même qui m'avait éclaboussé sur "history of violence". Une histoire très banale mais un film majeur. Et puis à David Lynch pour ces temps ralentis bercés d'une bande originale de haute tenue et tailladés de saillies bien sanglantes. Et puis des courses poursuites de voitures comme les deux ou trois du film, on n'en n'avait pas vu depuis combien de temps ? Et puis "drive", c'est la mise en lumière d'un acteur, Ryan Gosling, impressionnant. Ses dialogues se résument à quinze phrases mais il crève l'écran. "Drive" est donc l'un des grands films de l'année 2011.


N°01 - "Rabbit Hole" de John Cameron Mitchel


Le pitch : Becca et Howie ont perdu leur fils lors d'un accident. Huit mois après, ils n'arrivent toujours pas à gérer leur douleur et tentent diverses façons de s'en sortir.


Avec "Rabbit Hole", John Cameron Mitchell signe le retour au sommet de Nicole Kidman, qui livre une prestation magistrale.

 

John Cameron Mitchell retrouve la recette de ses deux précédents essais "Hedwig and the angry Inch..." et "Shortbus" à savoir poser des questions simples crument, sans tabous. Ici, il n'existe pas de mise en abime de la tragédie. Le metteur en scène estime que vous avez lu le pitch et que vous êtes assez grand pour comprendre ce qui s'est passé. Pas la peine de mettre en scène la mort de l'enfant. Ceci pour le coup aurait été du voyeurisme. Non, ici il est question de deuil ou plutôt d'absence de deuil définitif. Comment exprimer ses émotions lorsque le pire vous arrive à savoir perdre votre enfant, très jeune. La vie continue et les autres avancent tandis que le temps est figé ou qu'il bégaie pour les parents. Le manque et la tristesse se rappelant toujours à la mémoire, devenant simplement différents, évoluant, se transformant. Le long métrage ne cherche pas à démontrer quoique ce soit, juste à filmer l'évidence, on ne partage pas la peine des autres, les personnes qui entourent une famille endeuillée de cette façon ne peuvent pas apporter grand-chose. Et les "survivants" font mine d'accepter ces politesses comme réconfortantes mais ceci reste du lien social, rien de plus. La peine est bien encrée et ne disparaitra pas. Il faut l'accepter et vivre avec. Mais le film n'est pas sans espoir, il n'est pas noir et sombre, non, il est plus complexe, il montre justement comment évoluent ces sentiments et comment extirper quelquechose d'un tel drame pour poursuivre sa route.


John Cameron Mitchell signe un film profondément universel et d'une grande finesse, d'une sensibilité touchante car non versée dans le pathos gratuit, une œuvre bouleversante qui n'utilise pas du tout les travers du mélo mais plutôt une approche psychanalytique du sujet.



2012


N°12 - "Argo" de Ben Affleck


Après un excellent premier film, "Gone baby gone", Ben Affleck confirmait tout le bien qu'on pensait de son choix de carrière.

"Argo" s’intéresse par ailleurs à un épisode historique peu connu et développé, la libération de six otages ayant fuit l'ambassade des Etats-unis à Téhéran au moment de la prise de cette même ambassade par une foule de militants iraniens soutenant Khomeini.

La première force du film est d'éviter de tomber dans les clichés du film "histoire vraie" en optant pour un traitement scénaristique très malin. Affleck va nous raconter l'histoire comme un thriller, faisant monter la pression et le stress sur de petits détails. L’excellent John Goodman apporte quant à lui son physique charismatique à l'homme de l'art de l'industrie cinématographique. "Argo" bénéficie d'un tempo, d'une orchestration qui en font tant un divertissement intelligent qu'une prise de distance par rapport à nos grands principes occidentaux, sans jamais juger les révolutionnaires mais en les regardant d'un œil extérieur, conscient de la dangerosité de leurs excès et de leur absence de limites mais aussi de nos fautes dans cet engrenage. "Argo" est donc une bonne surprise et la confirmation d'un talent de plus en plus affuté de Ben Affleck, dans la droite ligne de ses prédécesseurs, Clint Eastwood, Georges Clooney, Robert Redford et bien d'autres...des acteurs de talent qui ont bien appris sur les plateaux !



N°11- "La Taupe" de Tomas Alfredson

Avec "La taupe", Tomas Alfredson confirme le talent de mise en scène froide et méthodique qui l'avait fait connaitre avec "Morse", film de vampires atypique où un enfant se prenait d'amitié pour une vampire adolescente.


En adaptant "Tinker, tailor, soldier, Spy" de John Le Carré, spécialiste du genre, Tomas Alfredson  se situe clairement dans l'hommage au cinéma seventies de ce genre de films. Les histoires d'agents y prenaient leur temps, les dialogues étant souvent remplacés par des silences, des non-dits, des déductions laissées au spectateur, supposé suffisamment pertinent pour lier les scènes entre elles. J'ai adoré cette façon de tisser l'histoire par des scènes décousues que le réalisateur laisse relier entre elles comme les pièces d'un puzzle. Ce petit jeu de déduction demande au spectateur d'être attentif et actif là où aujourd'hui le cinéma explique tout de manière didactique. Or tout le suspens du film repose sur cette enquête de l'agent Smiley pour découvrir la taupe infiltrée par le KGB au sein de la direction des services secrets de sa majesté, le Cirque. Alfredson filme Gary Oldman, tout en retenue so british, dans l'un de ses meilleurs rôles. Mais il n'oublie pas que ces espions sont aussi tous d'excellents dissimulateurs, capables de tout jouer. Et c'est sur du velours que Colin Firth, Mark Strong, Tom Hardy, John Hurt, Toby Jones, ou Benedict Cumberbatch  vont livrer cette performance assez bluffante car feutrée. Il nous fait plonger dans ce sinistre quotidien d'agents secrets pour lesquels la vie privée n'existe pas. Ils sont ternes, d'un teint pâle, et évoluent dans des tons beiges et gris, comme vidés de leur humanité par des années de mensonges, de dupe, de manipulations et d'enquêtes. Ils sont sans identité et leur vie semble bien triste, voués à servir le pays mais soucieux de faire partie des cinq agents faisant partie du comité stratégique. Ils sont brillants mais vivent coupés du monde dans une bulle intellectuelle orientée de façon obsessionnelle sur l'ennemi. L'esthétique du film permet quant à elle de faire passer plus facilement le récit lorsqu'il s'avère un peu plus brumeux. "La taupe" est un grand film paranoïaque comme on n'en n'a pas vu depuis des lustres. Restituer une telle complexité devait passer par une mise en scène stylisée, un montage rigoureux et un jeu d'acteur d'une grande finesse.


N°10 - "La part des anges" de Ken Loach


La grande classe de Ken Loach est d'alterner le style de ses films et de montrer parfois des situations sociales déprimantes avec une belle politesse, celle du désespoir, qui passe par l'humour, la bonne humeur de personnages simples et résistants.


Et c'est vrai que j'ai eu le sourire aux lèvres tout au long du film. En montrant de jeunes écossais condamnés à des travaux d'intérêt général, Loach va explorer la naissance d'une camaraderie et d'une lutte de classe au milieu d'une vie sans avenir. Vous me direz qu'il n'y a rien de très nouveau...mais cette fois-ci, il choisit de nous conter une histoire lumineuse. Une histoire à la morale émouvante, où l'argent reste un moyen, pas une fin en soit, gagner le max de blé sur un coup a moins de sens que de remercier son bienfaiteur désintéressé. Les personnages refusent la violence physique et entreprennent un coup tordu pour se refaire, repartir sur des bases saines et sereines. Et le regard tendre pour ses personnages paumés et exclus du système n'a d'égal que l'optimisme taquin et goguenard de l'ensemble du long métrage. Un cinéma qui ne donne jamais dans les grands discours, qui ne fait que montrer des pauvres se démerder comme ils peuvent pour surnager. Parfois c'est triste et noir, parfois c'est drôle et terriblement touchant comme dans cette "Part des anges", très réussie.


Mais dans tout Ken Loach de bon niveau, c'est la justesse du scénario, du jeu d'acteurs non professionnels et du style épuré hérité du documentaire qui font que la recette fonctionne à merveille et font de Ken Loach un grand monsieur. Respect pour ce film et la régularité de cette filmographie, très classe.


N°09 - "Twixt" de Francis Ford Coppola


Francis Ford Coppola  a été absent une dizaine d'années avant de revenir avec des films qu'il voulait à petit budget, souhaitant retrouver l'inspiration d'un jeune réalisateur, tenter de nouvelles expérimentations à 70 ans.


Coppola choisit donc de nous conter l'histoire d'un écrivain au rabais, sorte de Stephen King du pauvre, qui se retrouve dans un bled paumé pour dédicacer son dernier livre. Le shérif du coin, un peu frappé sur les bords, lui montre le cadavre d'une jeune fille assassinée, un pieu dans le cœur. Il lui propose de co-écrire un roman sur l'affaire, à base de vampires. L'écrivain va se laisser convaincre lorsqu'il croise, la nuit même, le fantôme d'une adolescente. Coppola choisit de nouveau le numérique, pour le pire et le meilleur. La réalité semble sortir tout droit d'un mauvais téléfilm mais la bizarrerie de l'histoire fait penser a celles d'un Lynch et permet au final à cette laideur de passer. Mais surtout, le maitre compense par des scènes de rêveries ou de réalité parallèle assez bluffantes où le burlesque côtoie la tragédie, la folie, et mixte les univers. Au centre de son récit, une tour d'horloge à sept cadrans indiquant des heures différentes, image balourde mais touchante du mélange entre passé présent et rêve.


Entre série B et film d'horreur seventies, ces histoires de vampires et de fantômes ont surtout pour objectif de servir de catharsis. Celle d'un homme, Francis-Ford Coppola, qui a perdu l'un de ses fils, Gian-Carlo, décédé en 1986, dans un accident de hors-bord. Le personnage de Val Kilmer, l'écrivain, a lui aussi perdu sa fille dans un tel accident. Coppola traite donc de manière directe de sa culpabilité d'avoir été absent pour son fils, de son nécessaire besoin d'exorciser ce vide en faisant de ce dernier une source d'inspiration pour son œuvre. Comme l'écrivain, c'est en se confrontant à ce fantôme qu'il a résolu ses problèmes. Et si le principal était l'inspiration, le manque de démarche créative. Val kilmer rencontre dans ses rêves un autre fantôme, celui d'Edgar Allan Poe, auteur qui inspira fortement Coppola tout au long de sa carrière. Ce dernier va guider l'écrivain, lui qui a également perdu un proche, son épouse, et dont l'œuvre fut marquée de ce décès trop prématuré. Le fantôme dit d'ailleurs " We share this little ghost, my friend... », beau moment triste et mélancolique.


Coppola reprend sa patte de "Rusty James" et de "Tetro" et utilise un noir et blanc teinté de rouge vif, d'une très grande beauté plastique. Coppola mélange les genres, l'inspiration par le rêve qui mélange son propre passé et celui d'une histoire sordide de massacre. Il est vraiment plaisant de voir l'auteur du "Parrain" et d'"Apocalyse Now" retrouver une telle vigueur. Un film à détester autant qu'à déguster mais un film très original.



N°08 - "Dans la maison" de François Ozon


Après un "Potiche" très frais, François Ozon confirme la régularité de son talent singulier avec une histoire pour le moins originale.


A la manière de "Swiming pool", Ozon va nous parler de la fascination qu'une jeune personne peut provoquer sur un adulte dont les rêves sont un peu derrière lui. Ici c'est l'élève d'un prof de français, joué par un Fabrice Luchini, parfait pour le rôle, qui va tirer les ficelles d'un jeu pervers dont on ne sait pas quel est le but. Ici, il est question de la mise en place d'un rapport qui s'auto-alimente et pousse les protagonistes vers des situations borderline peu à peu, sans crier garde, de façon insidieuse.


Sur la thématique de comment conter une histoire et l'écrire, travailler un style, créer tout simplement, le réalisateur nous parle de la mise en scène de sa propre vie, de l'obligation pour l'artiste de provoquer des émotions dans son quotidien pour trouver l'inspiration, de théâtraliser cette vie pour y trouver des histoires à raconter. Luchini joue quant à lui un type qui a raté sa carrière d'auteur et procède à un transfert sur le jeune homme, cherchant à revivre la réussite qu'il n'a pas connue dans le talent de ce dernier qu'il tente de guider. Mais le manipulateur n'est pas l'adulte et le professeur se trouve rapidement pris au piège dans un engrenage dont la fin reste le grand mystère tout au long du film.  En refusant d'apprendre la morale à son élève, au nom d'un anticonformisme qu'il fantasme alors qu'il se trouve lui-même prisonnier de clichés, le maitre perd son rôle et surtout sa maitrise. Sa créature va se révéler moins fictionnelle que prévue et plus imprévisible, plus dangereuse. Le coté passionnel de ce rapport épistolaire va alors consumer la vie du brave professeur de français. C'est que dans un rapport passionnel, il y a parfois un maitre et un esclave, un qui gère son ascendant et l'autre qui suit derrière et ne peut que s’autodétruire. Et le rapport des deux s'entretient de lui même pour aller de pire en pire. Ici le manipulateur se retrouve être le pantin transporté dans une histoire qu'il ne peut plus arrêter.


Le récit de François Ozon peut sembler moins sombre que d'apparence, l'ironie permettant de désamorcer un épilogue que l'on espère surprenant et noir depuis le début. Et comme le personnage le dit lui même, une bonne fin doit couper net et ne pas être attendue. En ce sens, Ozon boucle son film avec élégance et classe et prouve qu'il a atteint une certaine maturité, se débarrassant des quelques derniers écueils que son sens de la provocation laissaient transparaitre parfois. Une grande réussite.



N°07 - "The Dark Knight Rises" de Christopher Nolan


Quatre ans après avoir scotché la presse et remporté le troisième plus grand succès de tous les temps au box office, Christopher Nolan conclut sa trilogie autour de son Batman réaliste et adulte.


Certains ont été déçus, peut être parceque « The dark knight rises » n'est pas exactement dans la continuité de style que « The dark knight » mais plutôt dans un mixte de « Batman begins » et du second volet. Car ce qui frappe c'est évidemment la cohérence de l'ensemble des trois films, les renvois aux deux précédents et la logique implacable de la trilogie. Bruce Wayne / Batman se construit par rapport à la mort de ses parents et l'évolution de Gotham city.

Et les méchants qui s'attaquent à la ville, l'agressent comme un individu et se construisent eux aussi en creux par rapport à Gotham. Dès lors il serait injuste de passer au second plan le super méchant de cette histoire, Bane, joué par l'excellent Tom Hardy, au prétexte que le joker d'Heath Ledger  était parfait. Bane est lui aussi un terroriste mais pas pour les mêmes raisons. Il est intelligent et bien plus dangereux physiquement. Mais il ne souhaite pas jouer avec batman, contrairement au Joker. Ce dernier était le nemesis de Batman, il avait besoin de Batman, et besoin du chaos et de l'anarchie comme toile de fond permanente pour satisfaire sa folie. Bane au contraire est encore plus flippant car il veut tout détruire, tout raser et ne pas laisser Batman survivre. La relation entre Bruce wayne et Alfred (excellent Michael Caine) prend quant à elle une tournure touchante, une relation tout en délicatesse à comparer à la brutalité du long métrage. Christopher Nolan exploite aussi l'actualité et s'inspire des dérives criantes du capitalisme pour donner un peu de morale à tout cela. Pas une morale donneuse de leçon mais une humanisation des convictions et motivations des terroristes. Ceci ne les rend pas moins effrayants mais c'est moins binaire qu'à l'accoutumée.


Et puis pour terminer cette critique plus que positive de ce petit bijou, Nolan a eu l'intelligence de terminer sa trilogie sur un final comme j'en ai rarement vu, une fin véritablement à la hauteur des promesses. Il va être très difficile pour un autre réalisateur de passer derrière Nolan et de donner une autre vision tout aussi pertinente de Batman. Nolan ne s'est pas répété, il s'est renouvelé et a imbriqué les trois films ensemble, c'est classe, très très classe.



N°06 - "La chasse" de Thomas Vinterberg


14 ans après son chef d’œuvre, "Festen", et deux ans après son retour artistique réussi avec "Submarino", Thomas Vintergerg  confirme qu'il a retrouvé l'inspiration et le talent qui lui a manqué pendant les années 2000, écrasé par son ultra succès très jeune. "La chasse" a divisé la presse tant à Cannes qu'aujourd'hui lors de sa sortie en salles. Seule le prix d'interprétation masculine à Cannes pour Mads Nikkelsen ne suscite pas de controverse, tant son jeu est parfait.


Ici il est question du rejet de la foule, de la société mais cette fois l'injustice qui touche le personnage s'ancre dans une période où les scandales pédophiles ont parsemé l'actualité de blessures très vives et d’inquiétudes bien normales de tout parent normalement constitué. L'homme que l'on observe est donc accusé par une fillette d'attouchements sexuels et cette fillette n'est autre que la fille de son meilleur ami. Il n' y a pas de preuve de l'affirmation de l'enfant mais juste la parole de cette dernière et l'impossibilité pour l'adulte de se défendre. Vinterberg va nous montrer comment sur un rien, un mensonge d'enfant, toute la vie de ce type va basculer suite à l'engrenage du doute.


Une fois qu'un adulte se fait sa propre opinion sans fait objectif pour la valider, tous vont se mettre à croire au monstre, qu'ils ont vus partout dans les médias et qui pourrait donc se tapir auprès d'eux, parmi eux. Le déterminisme de ce jeu de massacre, d'exclusion et d'autopersuasion dans la haine et le rejet est finement abordé. Par quelques évènements, l'adulte va mettre la parole de l'enfant au dessus de tout et va même jusqu'à ne pas croire ce dernier lorsqu'il fait marche arrière et avoue son mensonge. On pense évidemment à l'affaire d'Outreau mais pas pour les erreurs judiciaires puisqu'ici la justice fait très bien son travail. "La chasse" montre les conséquences inaltérables de la rumeur, de l'opprobre, l'impossibilité de laver ces accusations, qui resteront quoiqu'il advienne.


Contrairement à "Festen" et davantage dans la veine de "Submarino", Vinterberg choisit la lumière et l'espoir via ces quelques personnes qui décident de croire en l'humain qu'ils connaissaient et le soutiennent jusqu'au bout. Le personnage du cousin et celui du fils de l'accusé amènent une bouffée d'espoir, dressant au passage une belle image de l'amour père-fils et du lien familial. "La chasse" parle aussi de la confiance dans un ami d'enfance, qui ne peut se prouver par rien de concret, juste par une connaissance de l'autre, de son "moi intérieur", de son humanité. Le film parle aussi de pardon, de communauté, et regarde de l'avant avec une fin tout de même très maligne et dénuée du cynisme.


La chasse est un grand film, implacable, glaçant, traversé de très belles touches d'humanité, d'émotion, sans pathos et avec le recul et la froideur nécessaire à ce type de sujet.



N°05 - "A dangerous method" de David Cronenberg


Après deux chefs d'oeuvre, "A history of violence" et "Les promesses de l'ombre", David Cronenberg revient avec un film plus âpre et moins facile d'accès. Faisant preuve d'un Grand classicisme dans la réalisation, le maitre prend son temps pour installer ses personnages et les laisser se livrer à leurs échanges intellectuels, au demeurant passionnants.   La relation entre Carl Jung et Sigmund Freud est alors disséquée par échanges verbaux et lectures épistolaires sur leur approche respective de la psychanalyse.


Une confrontation du père au fils spirituel va dès lors avoir lieu sous nos yeux...il faut tuer le père pour prendre son envol, illustration !Jung s'éloigne des théories de Freud tout en respectant son impact et son apport, il souhaite aborder la parapsychologie, apporter une réponse au patient, lui indiquer le chemin qu'il devrait suivre pour être épanoui en fonction de ses attentes. Freud souhaite quant à lui se limiter à la définition des causes d'un trauma. Il ne veut pas se transformer en dieu qui indique au patient que faire. Il reproche d'ailleurs à Jung ses origines ariennes et fait une remarque surprenante à la disciple de Jung qui est juive comme lui. Il estime que Jung étant arien, il faut se méfier de son approche "supérieure" et influencée par la haute opinion qu'un arien a de lui-même. Réflexion rapide mais d'autant plus significative que Jung, sur le même sujet, ne comprend pas pourquoi faire une distinction d'origines et de religions, et n'adhère absolument pas au racisme de ces temps troublés.


Un bel exemple de la richesse et de la profondeur du propos, à savoir les limites du chercheur et de sa raison, même pour les découvreurs de cette discipline. Limites qui trouvent racine dans les rapports de classe, les règles sociales qui font tenir une organisation humaine, règles morales ou idées préconçues qui préservent de l'anarchie. Qui évitent et classent certains sujets pour ne pas mettre en péril les fondements d'un système d'organisation politique humain.

Il est donc question de sexe, de désir et d'amour, de la définition de la limite entre le désir pur et davantage, de l'impossibilité même pour ces éminents chercheurs de se départir de leur passions, même sur la longue durée. Cronenberg réussit donc une oeuvre certes aride mais d'une telle exigence intellectuelle qu'elle force l'intérêt et captive. Viggo Mortensen est brillant mais Michael Fassbender lui vole la vedette. L'acteur est un caméléon et prouve après "shame", "hunger", "fish tank" et "x-men first class" qu'il peut tout jouer. Quel plaisir qu'un tel acteur rencontre ce succès et soit aussi pertinent dans ses choix. En 2012, nous le verrons dans "Prometheus", prequel d'Alien de Ridley Scott et nous verrons Cronenberg dans un tout autre style avec Robert Pattinson, de Twilight, un sacré défi pour le jeune homme et un pari gonflé pour le maitre canadien. "A dangerous method" est en tout cas une belle réussite, mais moins évidente à premier abord que d'autres longs de Cronenberg...


N°04 - "Holy Motors" de Léos Carax


Léos Carax est l'auteur maudit par excellence, une image un peu agaçante parfois mais pourtant bien vraie. Alors que "Mauvais sang" l'avait propulsé comme un jeune prodige estimé de tous, "Les amants du pont neuf" avaient créé le scandale par le coût faramineux du long métrage et le four au box-office qui s'en suivit, faisant oublier au passage la qualité du film. Puis ce fut un long désert, un "Pola X" pas terrible, et pas grand chose en vingt ans. Dès lors, que ce soit le réalisateur lui-même qui ouvre la première scène de "Holy Motors" et nous invite à entrer dans son imaginaire est chargé de sens et de promesses.


Seulement voilà, pour celles et ceux qui voudraient de la cohérence et du scénario linéaire, il faudra repasser une autre fois. Car très honnêtement, on ne comprend pas tout. Et c'est tant mieux. L'acteur fétiche de Carax, Denis Lavant, endosse avec brio un rôle protéiforme, celui de Monsieur Oscar, un homme payé pour jouer des rôles et entrer dans la peau de vrais personnages. Edith Scob joue la conductrice de l'énorme Cadillac dans laquelle il se change et se maquille. Elle l'emmène d'histoires en histoires. Il faut bien évidemment y voir une métaphore ou plusieurs mêmes, dont celle du métier d'acteur, qui n'aide pas franchement à avoir des racines mais se résume plutôt à devenir un passeur de vies.


Cette très belle idée est particulièrement bien rendue et donne lieu à des scènes relativement perchées. Le danger de ce genre de film, c'est ne pas adhérer et de s'emmerder ferme. Pour ma part, ceci m'a touché, pas au point de crier au génie comme l'on fait certaines critiques à Cannes. Mais j'avoue avoir été bluffé à plusieurs reprises. Le film n'est pas prétentieux, il est juste décousu, volontairement, sans ligne directrice, ce qui s'avère perturbant mais pas chiant. On se retrouve simplement frustré de ne pas tout saisir tout le temps. Voir Kylie Minogue chanter avec mélancolie son amour gâché en pleine Samaritaine en ruine a quelquechose de kitsch et de poétique.


L'autre force du film est son humour, chose surprenante mais oui, Léos Carax  s'amuse avec son spectateur, avec qui, dès le départ, il assume le côté toc du film. Il regarde la salle et l'invite à passer de morceaux d'histoires en morceaux d'histoire, comme dans un envers du décor surréaliste où les vrais gens seraient pour certains des acteurs qui se croisent et vivent de multiples vies. Le film se métamorphose, Carax s'autocite que ce soit en explorant cette samaritaine si proche de son fameux Pont Neuf ou en faisant revenir le personnage de Piccoli de "Mauvais sang". C'est sûr que pour les non cinéphiles, ceci vous laissera de marbre.



C'est une manière d'autoparodier sa propre vie d'artiste, cinéastes incapable de faire un choix sur une histoire à raconter et voguant de projets avortés en projets avortés depuis 15 ans. On ne comprend pas toujours un poème et ce n'est pas bien grave au final, le tout est d'en ressortir ému, transpercé de diverses sensations, de bribes d'histoires et de visuels fantaisistes, un film détonant par la liberté qu'il s'offre. Un objet filmique non identifié et unique.



N°03 - "Moonrise Kingdom" de Wes Anderson

Voici enfin "Moonrise Kingdom", première incursion en compétition officielle à Cannes pour l'un des meilleurs réalisateurs quadras hollywoodiens.

 Il y a peu de metteurs en scène dont on reconnait la patte au premier plan. Comme dans "La vie aquatique", Wes Anderson  commence son film par des travellings virtuoses de camera au travers du décor de la maison familiale des protagonistes. En accentuant cet aspect carton pâte et décorum de cinéma, il nous insère avec brio dans ce cocon familial clos, maison isolée elle même sur une ile et, au passage, nous livre un clin œil, une invitation à entrer dans son petit univers.

Les couleurs jaunies très sixties sont complétées par un montage, un séquençage des scènes très efficace et d'un niveau bluffant. On ne sait pas où on va mais on y va en rythme ! Certains critiques reprochent à Wes Anderson de ne pas se renouveler, de toujours raconter une histoire de famille sur un ton situé entre nostalgie, absurde et déconnexion lunaire. Mais contrairement à un Tim Burton qui ne fait que "copier coller" sans âme ses marques visuelles, Anderson construit bien une autre histoire, différente des précédentes. La thématique est toujours familiale, une famille qu'on ne choisit pas, une adolescence qui laisse des traces, mais c'est le cas de la plupart des réalisateurs que de retourner à des sujets fétiches.  Ce qui interpelle dans ce nouvel opus, au-delà du jeu de cette brochette d'acteurs (Bruce Willis, Frances McDormand, Edward Norton, Bill Murray), c'est ce souci du détail dans chaque plan, cette délicatesse dans l'expression des états d'âme de chaque personnage, tout en survolant l'ensemble avec un second degré permanent. Une légèreté qui prend racine dans une dérision assumée, qui pourtant traite de sujets bien en relief. L'image, la colorimétrie sont là pour accentuer cet espace isolé où cohabitent des protagonistes tous un peu perchés. Mais ces thématiques n'en demeurent pas moins universelles et il serait dommage d'en zapper la profondeur.

"Moonrise kingdom" c'est un peu l'aventure et l'imaginaire de l'enfance qui rencontre la frontière de l'âge adulte.


Ces adultes sont tristes, dépressifs et n'ont plus de projets, plus d'entrain, ils restent coincés dans leur vie de famille comme Bill Murray et Frances MacDormand, couple qui ne se s'aime plus mais reste ensemble par commodité, pour les enfants.

 Le burlesque des situations provoque des rires mais jamais des éclats car la tendresse qu'a Wes Anderson pour ses personnages est incroyablement communicative. Elle vous donne la patate car on se reconnaitra tous dans les errements de ces gamins qui cherchent à échapper à cette destinée peu reluisante et figée du monde des adultes.

 Les enfants cherchent à être des grands et les adultes à jouer aux scouts ou aux amoureux adolescents plutôt que de prendre des décisions concrètes et engageantes. Un film sur le pouvoir de la naïveté. Les enfants veulent être libres et adultes le plus vite possible alors que les adultes cherchent à retourner dans cette période si particulière. Un chassé croisé drôle et rocambolesque. Anderson est timide et cache ses messages derrière son drôle de style qui n'appartient qu'à lui mais qui en fait décidément un des très grands auteurs mondiaux d'aujourd'hui.



N°02 - "Bullhead" de Michael R. Roskam


Les belges sont décidément un peuple surprenant. Non contents de nous apporter régulièrement des artistes majeurs, du cinéma des frères Dardenne à Benoit Poelvoorde en passant Bouli Lanners, c'est cette fois-ci à un cinéaste flamand de faire une entrée fracassante avec "Bullhead".

Ici point de comédie ni de chronique sociale, plutôt un exercice de style avec une approche cinéma de genre particulièrement inspirée, entre western et polar.


En nous plongeant dans le milieu des éleveurs de viande bovine mêlés au trafic d'hormones, Michael R. Roskam  brasse les styles. Entre film de mafieux et chronique d'une enfance détruite , le réalisateur va suivre un jeune homme brutal, proche des animaux qu'il élève et abat. Tellement proche qu'il prend des stéroïdes et de la testostérone comme il injecte des produits chimiques à ses animaux.


Matthias Schoenaerts trouve ici un rôle difficile car quasi muet. Et ce dernier va exploser à n'en pas douter. Jacques Audiard vient d'ailleurs de le faire tourner dans son prochain film, "un goût de rouille et d'os" aux côtés de Marion Cotillard. L'année 2012 devrait donc faire connaitre cet acteur au grand public.


Mais c'est surtout un homme seul que l'on suit, un homme coupé du monde par son milieu rural, par l'aspect clanique de sa famille, par la chape mafieuse des hommes avec qui sa famille travaille, par l'infirmité qu'il essaie de combattre en devenant un sur-homme, en cherchant à réparer sa masculinité par l' apparence de son corps. On se prend bien entendu d'empathie pour cette bête blessée et maladroite, cet homme rustre qui n'a d'humain que ses souvenirs mais dont le trauma originel explique tout le reste. Au-delà de cela, son amitié d'enfant coupée en plein vol avec un garçon qui reparait dans sa vie à l'âge adulte, rajoute une dimension supplémentaire à cette tragédie. Les parallèles entre passé et présent permettent alors au film de décoller vers des niveaux de dramaturgie très très hauts perchés.

Que dire aussi de la mise en scène ? Michael R. Roskam montre dès le départ son parti pris, en filmant la première scène par une caméra frolant la portière d'une voiture qui s'arrête et ne s'attardant pas sur le personnage principal mais sur l'homme avec qui il vient régler des comptes. Une façon d'introduire de nombreuses scènes. Il plante d'abord le décors et les protagonistes extérieurs pour mieux faire ressortir l'immixtion brute et violente du personnage dans un univers où il est forcément perçu avec crainte et interrogation, même par ses proches. L'image est léchée, le montage incisif, la lumière crépusculaire.


  La vie peut faire d'un être un monstre et c'est toute la force du film que d'entrer dans cette origine du mal et d'en revenir bluffés par la qualité du récit, sans un gramme de graisse en trop, que de la chair brute et efficace, rien de plus. Un film saisissant sur le déterminisme social, un film noir comme rarement on a l'occasion d'en découvrir et une réussite évidente.

Après ce premier film très référencé, Michael R. Roskam va être très attendu pour la suite de sa carrière.


 


N°01 - "Amour" de Michael Haneke


Voici une palme d'or évidente pour l'autrichien Mickael Haneke, trois ans après sa première palme pour un "Ruban blanc" un peu austère et auteuriste par rapport au reste de sa carrière.

L'homme a toujours eu un regard clinique, notamment sur la violence, d'où ces coups de poings comme "Funny games" ou "La pianiste".


Mais cette fois-ci, il choisit un thème assez rare au cinéma et abordé de façon différente, que ce soit par exemple chez Julien Duvivier dans "La fin du jour" ou Ingmar Bergman dans "Les fraises sauvages". Il nous parle de la fin de vie, de la vieillesse et de la mort, mais pas pour la confronter aux regrets, aux souvenirs ou à la jeunesse comme dans les deux chefs d’œuvre précités. Non, Haneke choisit de nous parler d'Amour, de l'amour d'un couple qui a vécu 60 ans ensemble, et de ce qui se passe quand la vieillesse s'empare d'une telle union, d'une telle proximité, d'une telle intimité. Il nous parle de ce qu'il reste d'un couple qui a traversé tant d'épreuves et se trouve au crépuscule de sa vie. Et contrairement à ce qu'on pouvait attendre de l'autrichien froid et distant, "Amour" porte très bien son nom et nous parle de cette tendresse profonde et de ce lien qui fait que ces deux personnes octogénaires ne peuvent vivre l'une sans l'autre comme mourir l'une sans l'autre.


C'est un film beau et sublime car dépourvu de pathos, de sentimentalisme et bénéficiant du regard sensible d'un réalisateur connu pour son recul et du jeu tout en nuances et en retenue de deux immenses acteurs, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant. Les deux auraient mérité le prix d'interprétation à Cannes mais le règlement du festival interdit au jury d'attribuer ces prix si la palme revient au film. Et pourtant, le film n'existerait pas tel quel sans eux. D'ailleurs Haneke a écrit le film pour Trintignant et a réussit un exploit, celui de faire sortir de sa retraite de 15 ans l'un des plus grands acteurs français, d'abord lassé de jouer autrement qu'au théâtre puis pour les raisons qu'on connait et la disparition de sa fille Marie.


Trintignant est majestueux, sa voix énonce avec clarté son texte avec le ton si particulier qu'on lui connait, face à une Emmanuelle Riva tout aussi classieuse et dont le rôle et loin d'être évident. Les deux acteurs arrivent à faire passer autant la dureté de ces deux êtres qui se connaissent par cœur et ont tout vécu ensemble que la tendresse dans des regards, des petits gestes qui lors de certaines scènes m'ont véritablement ému aux larmes.


Ils sont beaux tous les deux à l'écran et donnent à ce couple et cette marche vers la mort une dimension tragique, fataliste mais finalement pas si morbide que cela. "Amour" est un film parfois dur à regarder car il nous confronte à ce qui nous attend tous, au fait que nous sommes seuls face à la mort quoiqu'il arrive, quelque soit votre entourage. Le film rappelle et pose cette évidence dans une société où le jeunisme n'a jamais été aussi fort et la volonté d'être immortel jamais été autant bercée d'illusion par notre société marchande de rêve. La sobriété et l'unité de lieu du récit, la froideur et la retenue de leur fille interprétée par Isabelle Huppert, l'absence d'enfants et quasiment d'intervention extérieure, permettent justement d'isoler le couple dans un espace où le temps est suspendu. On imagine très bien tout ce qui a pu se passer dans leur appartement parisien, tous les livres qu'ils ont lu l'un à coté de l'autre, les moments où elle a joué du piano pour lui, les silences qu'ils ont su apprécier à deux. Les mots se font d'ailleurs économes à cet âge là car ils n'ont plus besoin d'exprimer le lien qui les unit, il se voit en les regardant se tenir la main et moduler le ton de leur voix pour parler plus doucement.


La générosité d"Amour" est de nous livrer une belle leçon de vie, sur un sujet qu'on évite en général car on préfère ne pas le regarder en face. Un film pudique mais direct sur la fin de vie et le courage qu'il faut pour l'affronter dignement. Haneke a longtemps montré la cruauté de l'être humain dans toute sa profondeur et livre aujourd'hui une belle croyance dans ces mêmes individus et dans l'amour, qu'on définit si mal en général. Il démontre que la vie vaut d'être vécue ne serait-ce que pour ce type de lien, car même lorsque le corps vous lâche et qu'il se détruit, il peut rester cette tendresse jusqu'au bout. Haneke nous parle de ces vieillards qui s'en vont et en ont parfaitement conscience, qui ne veulent pas quitter la scène, qui ont toujours soif de culture, de savoir mais n'ont pas le choix et l'acceptent. Haneke aurait pu se contenter de filmer la déchéance mais il arrive à capter l'empathie, à filmer avec épure la fin d'une très belle aventure avec tout ce qu'elle projette de peur sur nous mais aussi de vérité.


C'est toujours un peu idiot de parler de chef d’œuvre mais pourtant, il y a des films qui sonnent tel quel dès leur première vision. Savoir que Jean-Louis Trintignant termine cette carrière sur cette brillante prestation est en soit un très bel adieu. Cette palme d'or était une évidence, oui.



2013



N°12 - "Gravity" d'Alfonso Cuarón


Il est difficile de faire une critique d'un film aussi attendu et dont on parle depuis longtemps, teazé par d'éminents réalisateurs comme James Cameron.


Il faut dire que le concept de Gravity est fort et que son réalisateur, Alfonso Cuarón s'est illustré par le passé avec de bons films comme "Y tu Mama tambien", "Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban" ou encore l'excellent film de SF, "Les fils de l'homme".

Le film est en effet un tour de force technique assez bluffant. Il commence par un long plan séquence aboutissant sur l'explosion de la station spatiale de deux cosmonautes propulsés dans l'espace et laissés à eux mêmes.


Puis les séquences s'enchainent avec deux personnages et deux acteurs parfaits dans leurs rôles. Sandra Bullock est plutôt habituée aux comédies sentimentales et pour ce film, elle change radicalement de registre en interprétant une scientifique qui n'a plus d'attaches sur terres. Georges Clooney apporte quant à lui la dose d'humanité et d'humour nécessaires, contrebalancant cette femme qui se retrouve seule au monde au sens propre comme figuré.


La réussite majeure de Gravity est de vous immerger dans l'espace, dans son silence, son infinité, et de faire en sorte que vous y plongiez comme aucun film n'a réussi à le rendre de façon aussi crédible. Le réalisme est sidérant, que ce soit la violence des chocs en apesanteur que la vitesse. Des images somptueuses au service d'un film dont on pourrait craindre l'ennui puisque la nana va quand même se retrouver seule à flotter dans l'espace en attendant la mort. Et même 1h35, c'est long.


Sauf que bien entendu, Alfonso Cuarón prévoit des rebondissements et ne nous permet pas un instant de relacher la tension de ce survival hyper réaliste, sans aliens, juste une femme, l'univers et la terre à rejoindre à tout prix.


Mais pourquoi? Pourquoi rejoindre la terre ? C'est là que le film prend une dimension plus intéressante encore que le résultat technique. Qu'est ce qui fait qu'on a un instinct de survie et pourquoi ?


Le film réussit à y répondre mais fait à mon sens deux fautes de goût qui le font trébucher sur la dernière marche menant au chef d’œuvre tant hurlé par toute la presse.


D'abord une scène montre Bullock dans une position faisant référence à 2001, l'Odyssée de l'espace...une scène que j'ai trouvée facile là où le film évite pourtant la niaiserie et le pathos. Car même dans les pires moment, Gravity arrive à émouvoir de façon adulte, avec le recul de l'individu ayant pris conscience de sa petitesse face au grand vide. Une espèce de sagesse et de déterminisme qui marque les personnages et donne justement au film une belle patine. Le second écueil est aussi cette fin pompière et particulièrement chargée en terme de symbolisme...c'est dommage, Cuaron aurait pu soit éviter cette musique insupportable soit couper son film deux scènes plus tôt.


Mais ne boudons pas notre plaisir, Gravity est un excellent mixte de divertissement et de réflexion, de film grand public et de film d'auteur, original, novateur.



N°11 - "Trance" de Danny Boyle


Le pitch : un jeune commissaire priseur est complice du vol d'une œuvre de Goya mais au cours du vol, les choses tournent mal et il perd la mémoire. Ses ex complices vont tout faire pour retrouver cette dernière car avec elle s'est envolée la toile...une femme spécialiste de l'hypnose va tenter d'y remédier...


Après l'excellent "127 heures", Danny Boyle a choisi de mettre de côté tous ses autres projets dont "28 mois plus tard" ou la suite de "Trainspotting" pour se concentrer sur un thriller, tourné en 2011 puis monté un an plus tard, après qu'il en ait eu terminé avec la cérémonie d'ouverture des JO de Londres.


Est force est de constater que Boyle n'a pas perdu la main et revient en très grande forme, avec un retour aux sources, celui de la comédie noire qui fut son premier succès, "Petits meurtres entre amis". Ici, c'est moins le côté immoral du récit qui est mis en avant mais cette même noirceur et cette même ironie donne aux deux longs métrages un goût de parenté.


Sauf qu'entre temps, Danny Boyle  s'est essayé au film de zombie, au film de Sf, au film hommage à Bollywood et qu'il maitrise encore mieux ses talents de mise en scène. Comme toujours la bande originale est excellente et le travail sur les effets visuels, quasi clipesque, qu'on a pu lui reprocher, est toujours aussi présent, mais au service de son histoire.


Le film est malin et se tourne et se retourne comme prévu entre twist scénaristiques qu'on attend de découvrir mais qui arrivent à surprendre. Boyle sait que son public est averti, il joue donc avec lui d'autant mieux que les codes du thriller et les codes de son propre cinéma ont été défrichés depuis longtemps. James McAvoy et Vincent Cassel sont parfaits. Je suis content de voir Cassel poursuivre sa carrière internationale avec brio. Fâce à eux, Rosario Dawson assure grave et pas que physiquement.


Le film est brillant car il se déroule sans temps morts, sans certitude sur qui manipule qui et avec des ruptures de tons soulignées par la mise en scène habile mais jamais tape à l’œil. Mais surtout Boyle n'use jamais de facilité, à aucun moment il ne laisse une grosse ficelle porter l'histoire d'une rive à l'autre. Le suspens est total car le jeu des possible est ouvert, multiple. Et puis toujours pour retourner à Trainspotting ou Petits meurtres entre amis, chaque personnage a la caractéristique d'être protéiforme, ni bon ni mauvais ou tout du moins, on ne sait jamais vraiment jusqu'au bout du bout.


J'attends donc avec toujours le même enthousiasme le prochain opus du réalisateur britannique, quel que son soit le projet, il aura le respect du travail ultra bien ficelé. Son film est une vraie réussite.

 


N°10 - "Stoker" de Park Chan Wook


Sur un scénario de Wentworth Miller (celui de Prison break, oui, oui!), le maitre coéren à l'origine des brillants Sympathy for Mister Vengeance ou Old Boy, passe donc à Hollywood pour son premier long américain.

Le film ne fait visiblement pas l'unanimité. Pourtant, dès les premières images, le génial réalisateur marque sa présence par un style qui a du chien, avec une violence tapie prête à bondir à tout moment.


Ce qui marque c'est bien cette mise en scène de très haute volée au service d'un seul but, la tension et le mystère qui entoure cet oncle pervers qui vient habiter chez sa belle soeur et sa nièce à la mort de son frère. Matthew Goode était un choix parfait, avec son beau visage au sourire énigmatique et son allure de dandy. Nicole Kidman a certes droit à une scène très Oscar "regardez comme je joue face à la caméra" mais c'est un peu la rançon du succès.


A force de la voir exceller, ses prestations sont encore plus regardées de près et on en oublierait presque le niveau qu'a atteint l'actrice depuis 15 ans. Bon en revanche niveau botox, ça se voit....son visage est un peu trop de cire et c'est bien dommage. Quant à Mia Wasikowska, elle confirme qu'elle est l'une des actrices indispensables du moment. A seulement 23 ans, sa carrière est déjà bien remplie car elle fait des choix exigeants.


Le trio d'acteurs est donc parfait et peut se mouvoir avec aisance dans ce superbe écrin stylistique que Park Chan Wook semble dédier au Maitre Alfred Hitchcock. On est toujours en plein suspens, on fleurte joyeusement avec l'immoralité des personnages et surtout, on y prend du plaisir, un plaisir coupable, celui de voir une histoire sombre se dérouler devant nous avec classe.


Park Chan Wook prend dès la première scène un parti pris. Il filme le parcours d'une araignée et dès lors nous incite à tout regarder de très près, maintenant une tension lorsqu'il n'y a rien qui se passe scénaristiquement à l'écran. La perfection de cette mise en scène est bouleversée parfois par des cadrages un peu particuliers ou inhabituels, comme pour montrer que cette maison familiale n'est pas un refuge, que le mal est à l'intérieur. L'atmosphère se fait alors ambiguë, perverse et envoûtante à la fois. La sensualité de certaines scènes s'explique par la thématique à peine voilée du film, celui d'une adolescente qui découvre le désir, le sexe et qui passe à l'âge adulte, de façon certes particulière.

Je ne suis donc nullement déçu par ce film que j'attendais depuis trois ans et qui se trouve comme prévu être une réussite et l'un des longs métrages à ne surtout pas louper cette année.



N°09 - "L'inconnu du lac" d'Alain Guiraudie


"L'inconnu du lac" a fait son petit buzz à cause de maires un peu trop zélés ayant retiré les affiches pour une raison ridicule. Mais si le film s'est distingué des autres sorties ciné, c'est surtout parcequ'il a marqué les esprits à la quinzaine des réalisateurs cette année.   Alain Guiraudie  choisit une histoire se situant exclusivement dans un lieu de drague gay, au bord d'un lac. Pas une femme n'apparait à l'écran. En revanche des hommes on en voit, nus, totalement, puisque c'est une plage nudiste et qu'on les voit aussi se balader dans le bois d'à coté pour baiser. C'est cru, homophobes s'abstenir...mais je crois que le buzz de l'affiche évitera les cris d'orfraie dans la salle...   Il y a beaucoup d'hommes murs, de gras du ventre et on se retrouve très loin des clichés pink du marais parisien. Ces corps qui s’entrelacent n'ont rien de beau, c'est réaliste et c'est du sexe triste. Guiraudie aurait il pu s'abstenir d'aller si loin dans ce qu'il montre ? De montrer autant de bites ? Oui, bien sur mais son choix permet d'évacuer très vite la gêne de voir ces corps nus et de s'y habituer, laissant le champ au fond de l'histoire. La nudité fait partie du cadre, ne pas la montrer aurait été compliqué et n'aurait pour le coup, rien apporté. Et pourtant, le film n'est pas réel et semble parfois relever du conte par l'atmosphère qui s'en dégage.


En effet le réalisateur choisit l'économie de lieux et de plans. On voit le parking sur lequel la voiture du jeune personnage principal arrive, scène multipliée pour souligner l'habitude et l'addiction. On voit la plage et le lac et on voit le bois de tous les ébats. Point. Les scènes sont cadrées à l'identique au plus près des corps et des visages. Certains peuvent trouver cela ennuyeux, d'autant que ce que se disent les personnages n'a rien de passionnant, mais c'est justement ces partis pris de mise en scène qui resserrent l'étau sur un final oppressant à souhait.

Le film m'a fait monter l'angoisse peu à peu jusqu'à un niveau étouffant. La fascination qu'a le "héros" pour un être mortellement sensuel, sexuel et mystérieux, attire le personnage malgré tous les signaux qui devraient l'alerter. Ce rapport de fascination, cette ambiance crépusculaire mélangée à la solitude de ces types qui ne viennent là que pour baiser, qui ne semblent pas avoir de vie sentimentale, donnent à cet "Inconnu du lac" un gout effrayant. Mais un gout irréel aussi.


Le réalisateur transforme un film qui pouvait sembler voyeuriste en thriller noir et flippant avec une efficacité redoutable. La frontière du bois des désirs fait basculer l'ensemble dans un conte pour adultes où le petit Pd se trouve face à un inconnu manquant d'humanité, au point de n'être homme qu'en apparence. La photo et la lumière du film baignent l'ensemble dans ce même mystérieux. L'humour arrive même à s'immiscer entre deux scènes de cul.

Jusqu'où désir et passion peuvent elles amener un individu à s'aveugler alors qu'il sait qu'il fonce dans un mur ? Alain Guiraudie situe son film simplement dans un milieu et un cadre qu'on ne voit pas si souvent, avec des protagonistes pour lesquels classe sociale et cadre familial n'ont pas d'incidence. Le lien de ces hommes est le sexe bestial dès lors comment se prémunir d'un prédateur? Le long métrage peut choquer certes mais pour ma part j' ai trouvé l'exercice de style brillant.


N°08 - "Jodorowsky's Dune" de Frank Pavich


Dès l'annonce du projet, votre blanc lapin préféré s'était fait l'écho d'un enthousiasme débordant à l'idée de voir enfin racontée l'une des histoires de tournage les plus extravagantes de ces 30 dernières années. Car ce documentaire allait nous détailler comment Alejandro Jodorowsky, réalisateur barré chilien et scénariste de bd cultes comme l'Incal, Juan Solo, ou "la caste des méta-barons", avait tenté un rêve impossible au milieu des années 70.


Ce dernier a en effet failli adapter Dune de Frank Herbert, l'un des plus ambitieux romans de SF avec un casting de malade mental, Salvador Dali en empereur de l'univers, Orson Welles en immonde baron Harkonnen, Mick Jagger en Feyd Rautha, les Pink Floyd à la Bo, le dessinateur Moebius au storyboard et HG Giger, créateur d'Alien pour les décors de la planète harkonnen...

 C'était un projet fou, produit par Jérome Seydoux, mais c'était un projet de passionnés.

Le film avait réuni 2/3 du budget et s'est cassé les dents face à des executives d'Hollywood pour qui Sf ne rimait pas avec gros budget...car c'était avant Star Wars.


"Jodorowsky's Dune" nous conte donc une aventure, celle d'artistes qui ont irradié la Sf des années 80, de Alien à Blade Runner ou Star Wars, ou de l'Incal aux Méta-Barons, après s'être donnés à fond dans ce projet hors normes. Jodo se définit comme un général à la tête d'artistes guerriers dont l'objectif était de livrer une adaptation qui révolutionnerait le genre, un chef d'orchestre fou qui réussit à fédérer des talents divers autour d'un idéal de film somme. Jodo fut le catalyseur et le destructeur de son projet, son originalité faisant peur aux studios américains et faisant trébucher le film sur la dernière marche avant le décollage.


Il est toujours passionnant de voir pourquoi et comment un film qui avait tout pour devenir un objet culte, s'est vrillé et s'est transformé en échec. On se souvient du doc "L'enfer d'Henri Georges Clouzot" ou de l'excellent "Lost in la mancha" sur le Don Quichotte de Terry Gilliam qui fit naufrage.

 Mais le talent de Frank Pavich est de mettre au centre du récit cet iconoclaste artiste touche à tout qu'était Jodo, qui nous fit l'honneur d'être au forum des images un dimanche soir pour présenter le film. Agé de 84 ans, l'homme est bluffant d'optimisme, de rage créatrice, de volontarisme et insuffle au long métrage un vent de fraicheur incroyable. Mais surtout, le recul amusé, 30 ans après ce terrible échec, donne lieu à un récit parfois hilarant. Car c'est la surprise de "Jodorowsky's Dune", oui, le film est drôle, très drôle.


Au lieu de présenter cette histoire comme un cataclysme artistique, Frank Pavich choisit au contraire de retenir l'émulsion de ces artistes, leur grain de folie, leur indépendance acharnée, et l'héritage évident qu'ils ont laissé, réutilisant eux mêmes leurs matériaux dans d'autres œuvres passées à la postérité. Ou comment positiver un échec pour construire autre chose de grand sur une autre route. En voyant Nicolas Winding Refn, réal de Drive, ami et fan de Jodo témoigner, se vanter malicieusement d'être le seul à avoir lu l'énorme "bible" du story board (il en resterait deux au monde) avec les commentaires de Jodo...en entendant Jodo souhaiter que même après sa mort son projet renaisse...on se prend à rêver...et au final c'est la réussite de Jodorowky, son film n'existe pas mais il est bien plus culte que celui boursoufflé qu'a pondu David Lynch quelques années plus tard.


Mais même sans ce film ou sans sa reprise en main dans X années par un autre visionnaire, ce documentaire suffit à vous ouvrir la boite à imaginaire. Les non aficionados de Dune peuvent aussi prendre part à ce voyage excentrique car au final on y parle juste de liberté créatrice, de la l'art pour transcender la mort, lui survivre, se projeter et toucher à l'universel...c'est enthousiasmant et c'est beau, très beau...


N°07 - "Effets secondaires" de Steven Soderberg


Je ne pensais pas pouvoir mettre un jour 4 gros lapins bien assurés à Steven Soderbergh. Il faut dire que l'animal m'a souvent agacé avec sa filmographie éclectique mais très inégale. L'homme est coutumier du fait de sortir un à deux films par an, à tourner plus vite que son ombre, surtout dans les années 2000, pour livrer au final des films malins et roublards mais très moyens au final.


Son "Sexe, mensonges et vidéo" lui valu une palme d'or en tout début de carrière pour un film surestimé mais qui comportait déja les limites du réalisateur. Il rêvait de devenir un auteur ultra bankable et s'y évertué avec des films biens consensuels comme "Erin Brockovich" ou la trilogie "Oceans eleven". Et puis il lui fallait une caution auteuriste et ses insupportables "Bubble", "Full frontal", "Girlfiriend expérience", étaient là pour montrer sa recherche artistique en même temps que provoc.


Mais Soderbergh vaut bien mieux que cela quand il prend le temps. Son "Traffic" est un bijou en terme de recherche de mise en scène et de scenario. A 50 ans et à la veille de prendre une retraite de cinéaste qu'il a annoncée partout, il sort donc son dernier film, "Effets secondaires". Et c'est comme si il voulait prouver une bonne fois pour toute la virtuosité et le sens du récit qu il a assimilés très tôt via sa cinéphilie puis son travail de stakhanoviste compulsif.

  "Effets secondaires" est l'un de ses plus brillants exercices de style dont Sir Alfred Hitchcock ou Brian de Palma  n'auraient pas rougi. Il aborde la thématique de l'addiction médicamenteuse aux antidépresseurs et du lien pervers entre le milieu médical et l'industrie pharmaceutique, débutant son long métrages avec une première demi heure haletante, passionnante. Elle pose tout de suite un cadre propice à ce qui va suivre. Tout comme avec la lutte anti drogue dans "Traffic", il pose des questions sensibles sur le mélange des genres, de morale et d'argent, mais son but est ailleurs. Son film aurait pu s'essouffler et devenir un pensum si il n avait pas opté pour un thriller et une rupture de ton d'une efficacité redoutable, où quand mise en scène et scénario ne font qu'un pour divertir, intelligemment. Le film ne vous lâche pas un instant quitte à ce que les rebondissements foisonnent de toute part. Mais l'atout essentiel est ici le casting.


Rooney Mara et Catherine Zeta Jones sont excellentes. Jude Law  trouve quant à lui son meilleur rôle. Il est juste parfait et prouve de façon magistrale toute la finesse de son interprétation. Bien entendu, tout le monde s'accorde à dire que Jude Law est bon acteur mais ce dernier s'est souvent planté dans ses choix. Il était bon mais avec un manque de bol incroyable, dans des opus de grands metteurs en scène peu inspirés en général, que ce soit chez Spielberg (A.I), Kenneth Branagh (Le limier), Wong Kar Wai (my blueberry nights), Antony Minghella (Par effraction), Fernando Mereilles (360), David O Russell (J'adore Huckabees), Jean-Jacques Annaud (Stalingrad)...et je ne cite pas les films oubliables. On connait Jude Law mais à Part "Bienvenue à Gattaca", citez moi un très bon film dans sa filmo...


La chose est donc réparée et j’espère que sa carrière va s'épaissir dans le bon sens mais c'est une question d'opportunité car Jude est très demandé, juste pas dans les bons projets.

 Courez donc voir "Effets secondaires, une réussite indéniable et une façon ultra classe pour Soderbergh de tirer sa révérence...pour l'instant...il n'a que 50 ans et largement le temps de changer d'avis...



N°06 - "9 mois ferme" d' Albert Dupontel


Albert Dupontel revient avec son meilleur film depuis Bernie, jouissif et méchamment drôle, fidèle à l'humour du réalisateur et à ses references. Il est vrai que j'avais trouvé "Enfermé dehors" poussif et pas très drole, versant trop dans la caricature sociale. Et puis "Le vilain" était réussi mais un peu trop sage, trop lisse. En revanche il avait trouvé dans ce dernier une esthétique qu'il n'avait pas autant auparavant.

 Ici Dupontel retrouve l'idée d'un duo avec une actrice de talent, Sandrine Kiberlain, qui s'était faite rare ces dernières années et revient ici avec un rôle de pétage de plomb idéal. Dupontel la met d'ailleurs au premier plan et a l'humilité de ne pas trop se mettre en avant, offrant à chaque second rôle des scènes hilarantes. Car oui, "9 mois ferme" déclenche des hurlements de rire avec un comique mélant tex avery et le cartoon, comme toujours chez Dupontel mais aussi un humour facon Monty Python ou Fluide glacial.


La caméra sert le scénario et les situations cocasses et crée une vraie différence avec les comédies françaises formatées et souvent laides en terme d'image. Ici tout est léché, ne considérant pas que de bons acteurs et de bonnes répliques ou gags suffisent. Non, Dupontel est précis et exigeant et c'est tant mieux pour nous. Quel bonheur de voir un rire intelligent, sans stars du petit écran ou du one man show recasées par des potes dans un truc gentillet.


Mais attention, Albert Dupontel se permet même des touches de poésie voir de tendresse pour ses personnages, avec la pudeur qu'on lui connait mais qui rajoute encore à ce film qui a déja atteint son but initial : faire rire.


C 'est comme si Dupontel, après avoir expérimenté des idées pendant 15 ans sur des longs métrages de très bonne facture, revenait avec une certaine maturité tout en retrouvant la fougue et les délires de Bernie.


Il est plaisant et rassurant d'avoir un artiste comme lui dans le paysage cinématographique français. Non content d'être un excellent acteur chez les autres, l'homme a créé un style de comédie qui lui ressemble et dont on souhaite qu'il en fasse plein d'autres du même niveau d'excellence.


N°05 - "The Master" de Paul Thomas Anderson


Voila enfin le nouveau film de Paul Thomas Anderson, l'un des meilleurs réalisateurs américains du moment, à la carrière sans fautes, de "Boogie nights" à "There will be blood", en passant par "Magniola".

  Il faut dire que "The master" est un rescapé car depuis 6 ans qu'il traine comme projet, il a bien failli ne pas se tourner, les grands studios ayant eu peur du thème, la montée d'une secte qui ressemble étrangement à la scientologie. Et sans la milliardaire productrice Megan Ellison, Anderson n'aurait pu aborder ce sujet fascinant qu'est le rapport entre le gourou d'une secte et son numéro deux, et la montée en puissance de ses idées dans une Amérique des années 50, déboussolée par la seconde guerre mondiale.

La première évidence du film c'est que la double interprétation de Philipp Seymour Hoffman en gourou et Joaquin Phoenix  en disciple est magistrale, récompensée à juste titre au dernier festival de Venise. Joaquin Phoenix avait quitté les plateaux depuis 5 ans et revient donc maigri et transformé. En jouant cet homme alcoolique, ex marine brisé par la guerre, il rencontre un rôle d'une grande finesse. En jouant à la fois vouté et parlant avec la bouche déformée, Phoenix est bluffant. Face à lui, Seymour Hoffman confirme qu'il est l'un des meilleurs acteurs au monde. Il donne à cet avatar de Ron Hubbard une bonhommie séduisante et dangereuse.


Mais là où Anderson est très fort, c'est qu'il ne présente pas les dirigeants de la secte uniquement comme des manipulateurs mais plus comme des aficionados déboussolés par le charisme d'un homme. Et cet homme complexe est lui même un peu fou et croit en partie aux délires qu'il tente de théoriser. Le détournement qu'il fait des esprits est manifeste, telle une grande entreprise de reformatage des pensées, de croisade non dénuée d’intérêt personnels et financiers.


La démonstration d'Anderson est subtile. Sa mise en scène épurée et classieuse sert le récit car contrairement à ce que certains ont reproché à ce trop bon élève qu'est le metteur en scène chouchou des festivals, le manque d'émotion de l'ensemble est volontaire. Anderson ne cherche pas à provoquer de l'empathie mais plutôt à décortiquer un mécanisme et un caractère. Sa réalisation très proche de "There will be blood" permet justement de conserver la distance nécessaire. Tout comme l’infâme pétrolier que jouait Daniel Day Lewis dans l'opus précité, il ne servait à rien d'épouser de trop prêt l'humanité du gourou. C'était même dangereux pour le propos général. Grâce à ce parti pris, Hoffman nous livre la figure d'un homme qui peut entrainer derrière lui des centaines de personnes sur de petits détails de personnalité, mélangeant théories scientifiques fumeuses pour créer une nouvelle croyance qui sera d'autant plus suivie qu'elle sera aberrante !

   Et puis "The master" est aussi une histoire d'amour entre deux hommes hétéros que tout oppose. D'un coté l' intellectuel délirant, ogre égocentrique qui avale toute personnalité sur son passage et de l'autre la bête blessée sans aucune direction, sans attaches et totalement exclue de la société. Les deux se fascinent autant qu'ils se détestent, s'aiment autant qu'ils se rejettent. Paul Thomas Anderson  nous montre que même un grand gourou de secte peut être faillible et dépendant d'un être très éloigné de lui. Le sujet est donc brillament traité, du jeu à la mise en scène, un grand film.


N°04 - "Frances Ha" de Noah Baumbach


Le réalisateur Noah Baumbach et son actrice Greta Gerwig, coscénaristes, nous offrent avec Frances Ha un film merveilleusement gai, frais, et joyeux.

  Pourtant, l'histoire de Frances n'est pas très marrante. Danseuse en devenir mais trop vieille pour faire carrière, elle n'a plus de fric et plus d'avenir professionnel. Pire, son mec la largue car elle est trop proche de sa meilleure amie et colocataire, Sophie.


Et puis Frances a un problème, elle est trop franche, trop naturelle, et trop bizarre. Disons qu'elle est particulière. Et surtout, qu'elle ne veut pas grandir. Ca lui plait de vivre comme ça, de boire, de faire l'amour et de se sentir libre, en éternelle étudiante...sauf qu'elle a 27 ans.


L'un des atouts majeurs de "Frances Ha" est de réussir à saisir quelquechose de pas si courant au cinéma, l'amitié féminine. En entrant dans l'intimité de cette amitié dans ce qu'elle a d'attachant et de cruel parfois, le film vous cueille et en sort les plus belles scènes, vraiment émouvantes. On se dit au début que le personnage risque d'agacer, mais c'est sans compter sur le scénario, et actrice, suffisamment barrée mais pas trop, juste assez pour emporter l’adhésion et la bienveillance. Sa nonchalance réchauffe dans un monde un peu trop normé et balisé vers la "réussite".


Cette réussite sociale, et amoureuse sont autant de schémas de vie que la société recommande à Frances, afin de devenir adulte. "Tu es incasable" lui dit un de ses amis, un peu intéressé. Car oui, il faut se caser et choisir une voie, et devenir une grande, abandonner ses rêves, ici celui d'être danseuse professionnelle. Seulement voila, Hana n'est pas comme cela et ces choix...elle ne voit pas pourquoi les faire. C'est ce qui fait que le film est frais réjouissant. Elle aime son immaturité. La naïveté, la gaucherie et le naturel du personnage vous emportent. On pense évidemment à Woody Allen pour le lieu (New York), le noir et blanc et les dialogues infinis comme dans Manhattan ou Hannie Hall.

  Sauf qu'ici il n'est pas question d'une histoire d'amour mais d'une histoire de choix, de route à trouver quand tous les autres de son âge sont déjà partis. Nostalgique, drôle, ce film est décalé à l'image de son personnage et c'est l'une des excellentes surprises de cette année.



N°03 ex aequo - "Le loup de Wall Street" de Martin Scorsese


En s'attaquant à l'histoire délirante de Jordan Belfort, jeune homme issu d'un milieu modeste, devenu courtier multimillionnaire en vendant du vent, Martin Scorsese renoue avec les histoires bigger than life qui ont abouti à certains de ses chefs d'oeuvres comme "Les affranchis" ou "Casino". La longueur du récit, 3 heures se déroulant à toute vitesse et la folie des personnages nous ramène forcément à ce must du must du grand maitre.

Mais c'est aussi près du superbe et écorché "A tombeaux ouverts" qu'il faudrait rapprocher ce "Loup de Wall Street", pour sa mise en scène au couteau, frénétique, son rythme délirant ne faisant qu'un avec son sujet.


Et pour leur cinquième collaboration, Léonardo DiCaprio livre une prestation hallucinante. C'est probablement le meilleur acteur de son âge et pour son père de cinéma qu'est Scorsese, il nous livre l'une de ses meilleures performances, génial de bout en bout.

Quand en sortant du film, on se dit qu'aucun autre acteur actuel n'aurait pu interpréter ce rôle, c'est que pour le coup, Léo est au top de sa forme.


DiCaprio avait déjà interprété pour Scorsese un grand mégalo addict aux drogues avec Howard Hughes dans "Aviator". Mais le film souffrait de longueurs et DiCaprio en faisait peut être un peu trop, justement.


Ici il est parfait. La débauche de grand n'importe quoi, de drogues en tout genre et de prostituées défilant dans les bureaux de la compagnie de courtage, sont autant de pétages de plombs euphorisants parfois, et transgressant la morale la plupart du temps. On peut être choqué par les lancés de nains mais ce qui marque le plus, c'est justement cette absence totale de limites morales, de bornes. Belfort et son équipe n'ont qu'un seul crédo, se faire du fric et partir du principe que tout est possible.


Cette exagération du mythe américain où n'importe qui peut partir de rien et se construire au sens capitalistique du terme, n'est cependant ni condamnée ni adoubée par Scorsese.


Ce dernier se contente de transposer une histoire hautement cinématographique par ses excès et se garde bien de rendre sympathique ou antipathique le personnage. D'ailleurs, l'idée de le juger ne vous traverse pas durant le long métrage, au même titre que le DeNiro de Casino ne suscitait pas de dégoût. Ici nous avons à faire à des malfrats en col blanc, prêt à tout et n'importe quoi. La seule différence est qu'ils ne tuent pas et vendent du rêve de devenir riche. Ils surfent sur les illusions entretenues par l'American way of life. A ce titre la scène avec Matthew MacConaughey est assez bluffante, même si pour le coup, son discours est un peu caricatural.

Virtuose et chaotique, le film est cynique sur l'envers du modèle américain, provocateur en diable, souvent très drôle. Mais l'absurdité de cette fuite en avant cache aussi l'obsession du personnage pour le plaisir, tel un ogre jamais repu, près aux comportements les plus suicidaires et dangereux pour avoir la possibilité de jouir une fois de plus.


Cette passion dévorante et cette course d'un type qui brûle la vie par les deux bouts, a forcément un côté enivrant mais aussi une facette sombre qui font du film une oeuvre bien plus complexe qu'elle n'y parait. Le rapport des américains à l'argent et du monde actuel aux apparences est décortiqué avec brio. "Le loup de Wall Street" est rock'n'roll et peu fréquentable mais il a la force de vous amuser et de vous tendre un miroir de nos vils instincts matérialistes sans jamais montrer du doigt, juste en se moquant, comme les blagues de mauvais goût du personnage principal.

"Le Loup de Wall Street" est donc le grand film qu'on attendait de Martin Scorsese après son "Hugo Cabret" un peu ennuyeux et beaucoup trop sage. Scorsese a 71 ans et il reste l'un des plus grands cinéastes en vie, à la carrière impressionnante, alignant des bijoux régulièrement, avec la même fougue qu'un jeune cinéaste. Alors certes, il revient à un genre qu'il maitrise parfaitement, loin de ses expériences sur "Gangs of New York" ou "Shutter Island", mais se serait débile de se plaindre qu'un grand cinéaste conserve son style pour nous livrer un nouveau chef d’œuvre. Or ce "Loup de wall street" en sera probablement un.



N°03 ex aequo - "Django Unchained" de Quentin Tarantino


J'ai vu "Django unchained" en avant première ! Et outre le fait que Quentin Tarantino a l'air d'un mec bien sympathique et barré, ce fut LA grande classe de découvrir son nouvel opus dans de telles conditions.  Tarantino continue donc à revisiter le passé de l'Amérique avec, comme dans "Inglorious basterds", trois objectifs. D'abord il revisite un genre, après le film de guerre façon "12 salopards", c'est au tour du western Spaghetti, toujours entre le pastiche et l'hommage. Ensuite l'animal veut nous donner un film fun et jouissif. Enfin il donne aux opprimés de l'histoire une vengeance et une revanche par procuration puisque le cinéma permet toutes les libertés. La controverse de Spike Lee sur le fait que Tarantino serait raciste parcequ'il utilise le mot "nègre" est d'autant plus stupide que non seulement le film est un playdoyer contre toute forme d'avilissement mais qu'en plus, Spike Lee devrait commencer par refaire de bons films, après on en reparlera.


Tarantino commence donc "Django Unchained" par 45 minutes de scènes absolument géniales, drôles, dans le pur style qu'on lui connait, entre dialogues perchés à se plier en quatre et violence gratuite et stylisée mais oh combien brillante et racée. En gros, il nous enchaine plusieurs scènes qui devraient devenir cultes. On pense à un mixte entre "Killl Bill" et "Inglorious basterds". A ce titre, le rôle qu'il a écrit pour Christoph Waltz  est en or. Autant l'acteur allemand était bluffant en Nazi sadique, pervers et cultivé chez les Basterds, autant son personnage de sympathique chasseur de primes raffiné est une force indéniable du film. Waltz est un acteur au charisme qui crêve l'écran.


Puis vient un petit ralentissement de rythme mais qui n'endommage pas la rapidité à laquelle passent ces 2h50. Et là, Léonardo Di Caprio  entre en scène! Autant dire que tout cinéphile rêvait de voir le petit génie du jeu dans un rôle d'immonde ordure ! Alors la déception c'est qu'il cabotine et qu'il ne surprend pas. Il est très bon, son rôle est taillé pour lui mais il ne réserve aucune surprise. Le tout accompagnant un rythme plus lent et bavard, ceci donne au long métrage la même impression de rupture de rythme que dans "Inglorious basterds", compensée par une fin digne de très bon moments de "Kill billl". Ca saigne, ça gicle durant le film mais c'est un pur bonheur régressif ultra référencé avec deux ingrédients qui en font un des très bons Tarantino. La bande originale et les dialogues sont au top, avec le même effet euphorisant !

   Bref, grande réussite que cet opus, qui devrait s'insérer dans une trilogie sur l'histoire américaine. Le prochain reviendrait au "débarquement", cette fois ci avec des soldats noirs américains devenus fous et prêts à buter du soldat blanc quel que soit son uniforme, tout un programme ! Et on l’espère d'un aussi bon niveau que son western !



N°02 - "La Danza de la Realidad" d'Alejandro Jodorowsky


Scénariste culte de l'Incal de Moebius et d'autres Bd Sf assez excellentes, cinéaste iconoclaste des années 70, de "La Montagne sacrée" hallucinogène à son western "El Topo", Alejandro Jodorowsky  est un personnage marquant. Je vous avais parlé dejà de lui cette année avec le brillant documentaire sur l'adaptation de Dune qu'il a failli monter fin des annees 70 (voir ici). Mais 2013 est aussi le retour du chilien au grand écran après 20 ans d'absence!


Et vous savez quoi ? Fellini et Buñuel ne sont pas morts ! Ils revivent grace à un jeune réalisateur de 84 ans, complétement barré ! "La danza de la realidad" raconte l'enfance d'Alejandro Jodorowsky au Chili et plus particuliérement de son rapport à un père communiste autoritaire et fan de staline. Et dans le film, c'est le fils de Jodorowsky qui joue, son père !

J'avoue ne pas être fan du suréalisme de Buñuel, Fellini ou de l'épure provocatrice de Pasolini.

Mais ici, "Jodo" ne fait pas que s'en inspirer, il y rajoute son experience de la Bd, avec un humour taquin, et balance une poésie et des tableaux visuels d'une grande beauté, une imagerie entre le kitch et le délire démiurge. Mais il le fait avec un sens du récit limpide, ce qui était un peu la crainte que j'avais, ayant vu ses précédentes oeuvres. Non ici, le film est plutôt facile d'accès et convoque juste le fantastique et l'imaginaire au beau milieu du réel.

  Jodo raconte son enfance tel un mélange de rêves et de souvenirs. Sa mère ne s'exprime qu'en chantant comme une cantatrice, et pisse sur son père pour le soigner de la maladie, exemple hallucinant de ce qu'on peut voir dans cette oeuvre totalement libre, furieuse et tendre à la fois, une ode à la vie et à l'héritage.

Jodorowsky joue pour de vrai son personnage aujourdhui, qui parle derrière son double enfant et apporte l'experience qu'il tirera plus tard de ses aventures de gamin tiraillé entre idées communistes du père et profonde croyance catholique de la mère. Il renvoie dos à dos les cultes politiques et religieux, se moque d'un dictateur pantin façon Chaplin et fait preuve d'une mise en scéne vigoureuse assez bluffante.

Il apporte un vent d'air frais cinématographique en convoquant les fantômes de son passé et ceux du cinéma suréaliste. Mais comme il aime à le dire, la meilleure facon de rendre hommage c'est de violer l'oeuvre et de la faire sienne.

J'ai été scotché par cet intriguante déclaration d'amour à son passé, ce regard malicieux et perché d'un vieil homme vers le terreau de sa personnalité. Quel hommage magnifique à ses racines ! Quel spectacle de clown fou ! Courrez y !



N°01 - "Mud" de Jeff Nichols


Pour être très franc, je suis allé voir "Mud" pour deux raisons. L'excellent accueil critique et le fait que mon meilleur ami ait été touché. Car de Jeff Nichols, j'avais surtout le très mauvais souvenir de "Take shelter", sorti l'an dernier, encensé également par la presse et qui m'avait très sérieusement ennuyé.


Cette "seconde chance" donnée à Nichols fut donc la bonne. "Mud" est un récit initiatique sur le passage de l'adolescence au monde adulte mais ce n'est pas que celà.


On a un peu peur tout au long du long métrage qu'un cliché surgisse à un moment et rompe le charme de ce bel équilibre, fragile, cette belle histoire d'amitié entre un marginal fou amoureux d'un amour impossible et deux gamins de 14 ans qui, en cherchant de l'aventure, finissent par la trouver et même par apprendre bien plus encore.


Ils se font défenseurs d'une histoire qu'ils fantasment car ils ne connaissent rien des rapports amoureux, ils ne font que les deviner au travers des relations entre leurs parents, ou de leurs premiers tâtonnements avec les filles. Ils y vont avec cet aplomb du jeune homme qui ne connait rien mais qui veut être un homme et le prouver, même si ses sentiments d'enfant le rattrapent souvent pour lui rappeler que la vie d'adulte c'est rude, enfin, en tout cas, çà en a sacrément l'air. Et du panache, Matthew McConaughey en a sacrément lui aussi. Cet acteur plutôt cantonné aux rôles fadasses quand il était le beau blond jeune premier, a su en quelques rôles décoller, à l’approche de la quarantaine. Il incarne à la fois toute la naïveté d'un gamin qui s'est élevé tout seul en pleine nature, bercé de bien des illusions, et cet homme mur façonné par cette nature sauvage et ses multiples déceptions avec la femme de sa vie. Cet amour impossible est l'un des arcs scénaristiques vraiment touchants du film. Un récit sans pathos, avec une économie de mots par moments, car les situations parlent d'elles mêmes.


Le fait de faire découvrir au spectateur l'identité de ce Mud  par le regard admirateur de ces deux ados est excellente. Ils cherchent à devenir des hommes et voient donc forcément ce mystérieux Mud à travers le prisme de leurs aspirations propres, de leur idée de la virilité, de leur espoir dans une pureté de l'amour homme-femme, dans l'idée que les sentiments sont immuables, sauf qu'ils ne le sont pas. La prise du temps abime bien des choses et les plus naïfs en sont pour leurs frais. Mais loin de tout cynisme, le film porte sur ses épaules un regard tendre sur cette découverte de l'envers du décors des adultes.


Le long métrage pourrait avec ces seuls ingrédients, cette seule utilisation de la nature comme personnage à part entière (comme dans Take shelter), suffire à sa réussite. Sauf que les seconds rôles sont tout aussi bons, de Mickael Shannon en oncle sympa à Sam Shepard  en vieil homme qui a lui connu les déceptions jusqu'au bout du bout. Le rapport père fils constitue lui aussi une histoire secondaire qui donne un relief au tout. Sans crier gare, Jeff Nichols, y aborde l’incommunicabilité entre un père et un fils dont la pudeur virile se fendille, confrontée à l'impuissance du père à sauver son couple. Ce dernier ne peut prouver qu'il est porteur d'un projet qui puisse motiver son épouse et sauver du naufrage l'échec de leurs rêves, de leurs aspirations qui se sont éloignées, confrontés au mur du quotidien.


Et puis "Mud" montre deux adolescents découvrant que le temps détruit les plus belles histoires, eux qui ne rêvent que d'aventure et d'idéal et pour qui "Mud" incarne un peu tout celà. Cette projection qu'ils se font du futur, de ce que c'est qu'être homme, est d'autant plus touchante qu'elle est faite avec retenue, comme les personnages, pour qui montrer n'est pas franchement un truc de mecs. La mélancolie de ce récit d'aventure vous touchera probablement. A brasser des thèmes aussi universels, Nichols aurait pu sombrer dans un mélo chiant, sirupeux et démonstratif. Il n'en n'est rien. Au contraire, on ressort plus léger de cet exercice d'équilibriste particulièrement réussi.

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